La Maison Zilveli, située dans le 19ème arrondissement de Paris, est un bijou de l’architecture du XXe siècle mais elle a deux ennemis mortels.
Le premier et le plus menaçant est peut-être son nouveau propriétaire, Jean-Paul Goude, publicitaire, qui s’apprête à la démolir.
Lorsqu’il l’a achetée, il a mené une importante campagne dans les médias. Il a protesté à qui voulait l’entendre qu’il rêvait de sauver la maison depuis près de quarante ans.
Il avait garanti aux voisins du quartier huppé qu’il souhaitait restaurer ce chef-d’œuvre, cette conception unique et brillante, " la maison la plus avant-gardiste de toute la région parisienne " (selon le grand historien de l’architecture Tim Benton), et qu’il la protégerait de toutes ses forces, en dépensant autant dans le processus de restauration qu’il avait dépensé pour l’acheter (plus de deux millions d’euros).
Jean-Paul Goude a en réalité fait naitre un conte fabuleux : pour sauver le rêve de Jean Welz, l’architecte de la Maison Zilveli, la villa devait être détruite et remplacée par son fac-similé. Le dessin de la copie réalisé par l’architecte de Jean-Paul Goude est moins le rêve de Jean Welz qu’un dessin d’enfant dans lequel son innovant balcon d’origine, soutenu par une lame de six centimètres de renfort - présentant la première surface extérieure en béton brut de décoffrage de l’histoire de l’architecture - est omis.
Le Louvre applaudirait-il une copie de la Joconde, ou ajouterait-il des bras au Laocoon ? Une maison a beaucoup plus de pièces qu’une peinture ou une sculpture : des millions de détails qui ne pourraient jamais être reproduits. Un pastiche de la Maison Zilveli, construite en 1933 avec un budget très modeste mais avec une imagination et une intelligence des plus brillantes, s’apparente pour nous à de la barbarie culturelle.
Jean-Paul Goude a prévu de glisser sous le pastiche ce qu’il appelle "une boîte à chaussures" pour abriter ses archives. Il s’agit donc aussi de démolir afin de construire une structure moderne plus pratique.
Le second ennemi mortel de la maison Zilveli est la bureaucratie française.
Alors qu’en 1964 André Malraux a sauvé la Villa Savoye de Le Corbusier de la démolition, l’actuelle ministre de la Culture n’a jamais répondu à la lettre d’une dizaine d’experts internationaux de l’architecture du XXe siècle envoyée fin novembre, qui demandent la protection de la maison et qui estiment que sa restauration est possible, comme l’association Docomomo France. La DRAC Ile-de-France ne s’est pas non plus opposée au projet de Jean-Paul Goude, en dépit de l’avis initial de la Commission du Vieux Paris.
Il existe pourtant un vaste catalogue d’expériences dans le domaine de la sauvegarde de l’architecture du XXe siècle, et en particulier du béton armé, dans le monde.
Jean-Paul Goude fait appel à l’expertise de son architecte qui n’est ni un architecte du patrimoine, ni un spécialiste du béton armé, ni un ingénieur structure. Pourquoi n’a-t-il pas cherché les meilleurs conseils auprès des plus grands experts internationaux de l’architecture du XXe siècle ?
Il existe pourtant des experts estimant qu’il peut être relativement facile et économique de sauver la maison Zilveli et des méthodes appropriées permettant d’évaluer si la maison peut effectivement être sauvée.
Pour être tout à fait honnête, Goude a eu recours à l’avis d’une architecte du patrimoine. Cette dernière a écrit dans son rapport que la structure de Zilveli posait des problèmes et que les innovations contemporaines de l’ingénieur Eugène Freyssinet sur le béton armé précontraint n’étaient pas largement connues des architectes de l’époque. Elle a ajouté que Jean Welz n’avait été qu’un employé, avec peu d’expérience de chantier.
Ces informations sont fausses puisque Jean Welz a conçu au moins 27 projets lorsqu’il vivait à Paris, entre décembre 1927 et l’été 1936, dont 24 ont été réalisés. Ironiquement, la maison Zilveli serait la première à être détruite.
Bien qu’inconnu en tant qu’architecte, Welz était "un ami" de Le Corbusier et "un ami proche" d’Adolf Loos. De plus, il s’avère que Welz a connu personnellement Eugène Freyssinet pendant de nombreuses années et qu’il a probablement discuté avec lui de la structure de la Maison Zilveli.
Dès juin 1921, le bulletin du diplôme de Welz à l’université de Vienne, rédigé par un architecte de premier plan et collaborateur de Loos, était le suivant : "Techniquement talentueux, doué pour le dessin, a une connaissance magistrale des aspects pratiques de la construction et très bon goût... un dessinateur qualifié très consciencieux avec beaucoup de connaissances techniques". Le responsable du cours, Joseph Hoffmann, a tout de suite embauché Welz. Marqué par l’exposition internationale des Arts décoratifs de 1925, Welz rejoint ensuite Paris où il travaille notamment avec Raymond Fisher. Il abandonne alors son prénom Hans pour adopter l’équivalent français, Jean, tout comme son meilleur ami à Paris - le photographe André Kertesz, qui a troqué Andor pour André.
Ars Longa Vita Brevis, mais s’il reste de la justice en France, la maison Zilveli doit être sauvée - même à minuit moins une !
Peter Wyeth - Auteur du livre L’architecture perdue de Jean Welz