Depuis ses garrigues calcaires jusqu’à sa montagne granitique en passant par les grès et schistes du piémont cévenol, l’Ardèche du sud dispose d’un patrimoine culturel, monumental et environnemental d’exception. Reconnaissons-le : sans pour autant faire preuve d’un chauvinisme excessifs, nous sommes fiers de cette situation dont nous avons hérité et, bien sûr, très attachés à la voir perdurer.
Aujourd’hui, une partie importante de ce patrimoine est menacée. Il s’agit de la Montagne méridionale ardéchoise dont un projet d’implantation d’éoliennes géantes pourrait détruire, irrémédiablement, l’identité rare (voir ici). Nous avons souhaité rappeler ici que ce territoire particulier possède à lui seul des richesses nombreuses qu’il a su conserver jusqu’à nos jours et qui doivent être préservées dans leur contexte originel comme autant de précieux témoignages.
La montagne ardéchoise : une très longue histoire
Loin du vide que la rudesse de son climat a longtemps laissé imaginer, cette montagne a connu une occupation humaine remontant à plusieurs milliers d’années. Ainsi, déjà à l’époque néolithique, les premiers pasteurs cévenols ont occupé ces lieux. Ils y ont dressé des menhirs ; sur des dalles de schistes ils ont creusé des cupules et gravé des signes dont le sens profond nous reste inconnu. Mais aussi ils y ont établi des sépultures, sortes de petits dolmens témoignant d’une implantation physique pérenne et d’une vie spirituelle avancée.
Des voies de circulation très anciennes
Probablement dès la fin de la période néolithique, ce sont sur des espaces sommairement aménagés, les drailles, puis sur des chemins muletiers que les transhumances ainsi que les marchandises de toutes sortes ont transité. La photo ci-après montre une de ces drailles à Montselgues près du hameau bien nommé de Cheminas, sur le serre de l’Estelle (l’Etoile), c’est-à-dire le point où de nombreuses voies et pistes se retrouvaient.
Mais d’autres vestiges subsistent comme la spectaculaire voie à ornières de Saint-Jean de Pourcharesse (ci-dessous).
Un patrimoine monumental religieux important
La montagne ardéchoise a été de longue date un lieu de passage de pèlerins très fréquenté. Ce passé religieux a fortement marqué l’histoire de la région d’où les nombreux monuments remarquables (églises, chapelles, croix de chemins) qu’elle en a conservé. Beaucoup ont vu le jour au XIIe siècle et cinq d’entre eux (Thines, Saint-Jean-de-Pourcharesse, Saint-André-Lachamp, Faugères et Sablières) ont fait l’objet d’une inscription aux Monuments historiques. Si l’on y ajoute l’église de même époque de Montselgues, l’abbaye cistercienne de Notre-Dame-des-Neiges à Saint-Laurent-les-Bains, on voit que la liste est longue des édifices religieux à visiter ici.
Un espace géologique remarquable
A l’instar du département de l’Ardèche tout entier, la montagne cévenole ardéchoise présente une diversité de roches dont la liste est particulièrement longue. Pour ne retenir que les plus représentatives – celles qui permettent de lire les paysages et ont déterminé les différents types d’habitats – on citera bien sûr les schistes (le socle des Cévennes), les granites dont l’omniprésent « à dents de cheval », les grès, les gneiss, les quartzites…
Depuis 2014, à l’initiative du Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche, plusieurs sites géologiques ardéchois ont fait l’objet d’un classement sur la liste mondiale des Géoparks de l’Unesco. Deux de ces sites concernent tout particulièrement notre région. Il s’agit du chaos granitique de Montselgues et de la source d’eau chaude alimentant les thermes d’origine gallo-romaine de Saint-Laurent-les-Bains.
Une faune avicole exceptionnelle adaptée aux paysages et très protégée
La chose est désormais bien connue et notamment des spécialistes de l’ornithologie : pour voir les grands rapaces il n’est plus nécessaire de se rendre dans quelque secteur sauvegardé des Alpes ou des Pyrénées. Dans la région, grâce à la ténacité de quelques personnalités et associations, ces grands oiseaux sont de retour et leur rôle dans le maintien d’une biodiversité vraie peut y être observé au mieux et, surtout, en respectant leur tranquillité.
Si certains de ces grands oiseaux ne font que des incursions, tels les vautours lozériens fréquentant la placette d’équarrissage de Montselgues, d’autre sont désormais ici à demeure, y nidifient et s’y reproduisent. C’est le cas, entre autres, d’un couple emblématique d’aigles royaux qui a établi depuis plusieurs années son aire à Montselgues et dont le dernier aiglon a, lui aussi, pris ses quartiers localement. Les moyens modernes de localisation dont il a été équipé permettent de suivre le détail de chacun de ses déplacements sur les territoires alentour et notamment sur celui de Laval-d’Aurelle.
… et, bien sûr, un ensemble de paysages hors du commun
On vient de voir, très rapidement évoquées, quelques-unes des richesses que nous offre la Montagne cévenole ardéchoise. Ce survol est bien loin d’être complet ; il y manque notamment ce qui frappe d’emblée tout visiteur ici, c’est-à-dire ces forêts profondes et ces grands espaces ouverts si particuliers que bruyères cendrées et genêts purgatifs ont colonisés. Ces paysages où il est bon de venir se ressourcer, de très nombreux sentiers permettent de les pénétrer, mais on peut aussi les admirer à partir d’observatoires naturels ou aménagés parfois de longue date comme au Col de Meyrand.
Pour conclure
On le voit, la montagne cévenole ardéchoise, limitrophe du Parc National des Cévennes, est riche de son histoire, de sa faune, de ses villages et monuments, de ses paysages et de ses espaces hors du commun.
Cette petite région montagneuse est une exception identitaire où l’on vient pour vivre sereinement ou se reposer. Pour beaucoup de ceux qui passent ici, elle est devenue une forme de sanctuaire à préserver impérativement en vue de sa transmission dans son intégrité aux générations à venir.
Et cependant elle est gravement menacée.
L’implantation de machines industrielles gigantesques (23 éoliennes de 150 mètres de hauteur dont le pré-dossier est en cours d’instruction) y est, en effet, projetée laissant redouter un enchaînement inéluctable d’installations encore plus nombreuses et importantes dans des zones pour l’heure qualifiées de "réduction du projet" (voir ci-dessous).
Cette situation pose un grand nombre de questions essentielles pour la préservation de l’identité ardéchoise. Ainsi, un ensemble industriel de ce type est-il admissible dans un territoire tel que celui dont nous venons de rappeler très brièvement les atouts exceptionnels, de plus en plus rares dans notre pays ? Serait-il conciliable avec ses paysages, ses monuments, son habitat particulier, la quiétude de ses habitants ? Serait-il sans danger pour la survie de sa faune avicole emblématique ? Serait-il de nature à favoriser un tourisme vert à l’origine de nombreux emplois locaux de valeur ou, au contraire, agirait-il tel un repoussoir ?
Suffit-il d’affirmer, comme le fait le promoteur, que, « selon les experts, la perception d’un paysage est une donnée subjective » et qu’« un sondage CSA d’avril 2015 [commandité par la FEE] montre que 71 % des riverains de parcs éoliens les considèrent comme bien implantés dans le paysage » (voir ici) ?
Poser ces questions c’est déjà y répondre et si, contre toute raison, un tel bouleversement devait se produire, que pèseraient alors ces kilowatts/heures épisodiques et autres euros chichement distribués face à la perte incommensurable d’un patrimoine collectif exceptionnel ? Rien, ou plutôt de simples broutilles qui laisseraient vite la place à des regrets puis à des remords !
Quelques éléments concernant l’éolien et l’Ardèche
Avec 21 parcs regroupant près d’une centaine de machines, le département de l’Ardèche est, d’ores et déjà, le plus important contributeur éolien de toute la région Auvergne-Rhône-Alpes. Il « accueille » en effet le tiers des machines installées dans ce grand territoire et produit plus de 31% de l’électricité éolienne régionale.
La production électrique globale de l’Ardèche dépasse de très loin sa propre consommation.
L’ancien Schéma régional éolien avait exclu de tout développement éolien la quasi-totalité des communes concernées par le projet en cours de Prataubérat.
La Cévenne ardéchoise est soumise aux dispositions de la Loi Montagne qui prévoit que les décisions d’occupation du sol doivent être compatibles avec les exigences de préservation des espaces.
Par délibération en date du 15 octobre 2019, le Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche a donné, par 17 voix pour et 5 abstentions, un avis négatif sur le pré-projet d’installation du parc éolien exposé ci-dessus en invoquant, notamment, des impacts forts sur les paysages « à valoriser et à préserver de tous éléments perturbateurs ». Le PNR a également soulevé dans cet avis les « enjeux de préservation de la biodiversité et particulièrement des grands rapaces ».
Alain Combe, président de « La Corniche du Vivarais cévenol, Vent de Respect », association adhérente de Sites & Monuments
Jean-Louis de Bénédittis et Claude Besset, président et vice-président de l’Association de Préservation et protection du site de Peyre et de ses Environs (APPPE)