La SAS Rocher Mistral à La Barben : quatre ans d’illégalismes, de procédures judiciaires et de pertes financières

La déchetterie, les baraquements de la base de vie et un des parkings illégaux de la SAS Rocher Mistral au pied de la chapelle et du château classés. Photo : X. Daumalin / Sites & Monuments.

Depuis son inauguration en grande pompe le 1er juillet 2021, le parc d’attraction créé par la SAS Rocher Mistral dans et autour du château de La Barben (établissement classé) n’a cessé de défrayer la chronique médiatique et judiciaire pour ses nuisances et ses innombrables infractions aux codes de l’urbanisme, de l’environnement et du patrimoine. Quatre ans après son ouverture où en est ce projet dont le promoteur se plait à laisser entendre qu’il serait soutenu par les plus hautes autorités de l’Etat ?

Il y a tout d’abord l’existant, c’est-à-dire les aménagements qui accueillent des spectacles censés illustrer la culture provençale. Ces derniers ont fait l’objet d’un premier jugement par le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence le 13 février 2024. La SAS Rocher Mistral, qui a bénéficié de plus de 6 millions d’euros d’argent public, et son président, Vianney-Marie Audemard d’Alançon, ont été condamnés à des amendes avec sursis (70 000 € pour la SAS Rocher Mistral et 20 000 € pour son président), à remettre en état les lieux incriminés dans un délai de 9 mois et à verser 1 000 et 2 000 € de dommages et intérêts à France nature et environnement (FNE 13) et à la commune de La Barben. Les condamnés ont fait appel, nous sommes dans l’attente d’un nouveau procès.

Entre temps, deux nouveaux procès-verbaux de la DRAC sont venus compléter les infractions déjà jugées en première instance. Le premier, du 27 juin 2023, fait état de travaux non autorisés réalisés à l’intérieur et à proximité immédiate du château (notamment autour des galeries à l’Est) : « Il en résulte une dénaturation des lieux. Les matériaux utilisés sont de nature à remettre en cause la conservation des ouvrages et à altérer la présentation du monument. Le suivi archéologique des travaux n’a pas pu être réalisé, source de perte d’informations et de destruction possible de vestiges, les décors historiques du château ne sont plus accessibles ; leur surveillance et protection rendues impossibles ». Le second procès-verbal, du 24 mai 2024, porte sur des travaux non autorisés réalisés sur des arbres protégés au titre des monuments historiques (platanes, séquoia) : il s’agit cette fois de la pose pérenne, par des clous plantés directement dans les troncs, de plusieurs appareils d’éclairage et d’une plate-forme pour cascadeurs « de nature à en altérer la présentation et la conservation ». Ces deux procès-verbaux n’ont pas encore fait l’objet d’un jugement. L’ensemble de ces infractions n’en souligne pas moins l’illégalisme structurel et récidiviste d’une stratégie sciemment assumée et déjà expérimentée au château de Saint-Vidal par le même entrepreneur, comme en témoigne les mémoires du préfet honoraire Yves Rousset (La préfecture est en feu, 2024, p. 151-158) ou la pitoyable affaire du label « Jardin remarquable ».

Au demeurant, le business model de la SAS Rocher Mistral n’est pas viable. Le résultat d’exploitation est constamment négatif : - 5,3 millions d’€ en 2021 ; - 6,1 en 2022 ; - 5,8 en 2023. Les pertes s’accumulent : 2,4 millions d’€ en 2021 ; 6,4 en 2022 ; 6,8 en 2023. Malgré de gros investissements publicitaires, la fréquentation n’est pas au rendez-vous. Les avis déposés insistent régulièrement sur le fossé qui existe entre ce que fait miroiter la publicité et l’indigence culturelle de ce qui est présenté. Entre 2021 et 2022 les recettes de billetterie sont constantes autour d’un million d’€, ce qui, au prix moyen d’une entrée à 25 €, donne environ 40 000 visiteurs par an. Nous sommes loin des chiffres annoncés à l’époque (plus de 100 000 personnes). Sans compter que les conditions d’accueil du public sont parfois inquiétantes.

Le 10 juillet 2024, la sous-commission départementale pour la sécurité pointait plusieurs problèmes graves. Dans le jardin dit « Le Nôtre » elle révélait que les installations scéniques réalisées sans les autorisations nécessaires faisaient subir aux structures et à la végétation des dégradations potentiellement irréversibles et dangereuses pour les visiteurs : « Le rapport identifie en outre clairement la zone « tour petit bassin » comme devant faire l’objet de travaux urgents (sous 3 mois). Il attire en outre l’attention sur l’état du mur en pierre le long de la rivière, du côté duquel sont concentrés les échafaudages et la zone d’accueil du public, pour lequel il recommande la dévégétalisation de ce mur et le comblage des sous-cavages (travaux à réaliser sous 6 mois maximum). […]. Il ressort de cette étude que les structures et échafaudages mis en place sont sensibles ou très sensibles au risque de crue, mais également au risque d’arrachement ou de déstabilisation lié au vent. Par voie de conséquence, l’accès au public devra être interdit lorsque ces conditions climatiques seront annoncées ». La sous-commission indiquait encore que, dans le jardin potager, « les ombrières présentent un risque fort d’inflammabilité. Ces éléments sont placés au-dessus du public dans une zone qui subira les effets d’un feu de forêt comme en atteste les précédents historiques. Leur inflammation est susceptible de faire courir un risque direct au public et de provoquer un mouvement de panique au sein de celui-ci ». La SAS Rocher Mistral est régulièrement rappelée à l’ordre pour que les principes élémentaires de mise en sécurité du public soient mis en œuvre.

Vianney-Marie Audemard d’Alançon étant très minoritaire au sein du capital de la société qu’il préside (6,14 % via la Financière de La Lance), comment comprendre que les principaux actionnaires de la SAS Rocher Mistral – Habert Dassault Finance (26,78 %), Nunc Gestion (Montagne, 26,78 %), Ricardo Financière du Steir (Dréau, 26,36 %), Dia (Nouzarede, 8,32 %), Ranch (Deniau, 5,63 %) –, dont certains sont des mécènes reconnus du patrimoine par l’intermédiaire de leurs fondations, puissent accepter de soutenir à ce point une société si peu respectueuse des normes et des lois en participant à ses augmentations de capital ou en apportant chaque année autour de 10 millions d’€ en comptes courants ? Comment « peut-on ainsi donner de l’argent pour des restaurations de monuments historiques, et parallèlement participer au vandalisme d’un monument historique » (voir ici) ? Quel est le but poursuivi ?

C’est là qu’intervient la version XXL du projet qui prévoit d’accueillir plus de 300 000 visiteurs par an. C’est le second étage de la fusée. Le plus inquiétant aussi. La SAS Rocher Mistral a déposé trois demandes de permis d’aménager pour créer, à l’endroit même où ses aménagements actuels ont fait l’objet de plusieurs refus de la part des services de l’Etat, davantage de parkings, des tribunes pour les spectateurs, un plan d’eau pour des batailles navales, une reconstitution du pont d’Avignon, du moulin de Daudet, un village avec des commerces, des logements etc. ce qui, au passage, nécessiterait un nouvel investissement de plusieurs dizaines de millions d’euro. Comment imaginer un seul instant que ce qui n’a jamais été permis pour les aménagements actuels, puisse le devenir pour la version XXL du projet ? Par quel subterfuge ? Avec quels appuis ? La finalité de toute cette affaire ne serait-elle pas, en dernière analyse, une simple opération de spéculation immobilière dans un écrin patrimonial et environnemental réputé inconstructible ?

Compte tenu de leur ampleur, ces trois permis ont d’abord fait l’objet de sursis à statuer de la part de la municipalité. Instruite et échaudée par l’illégalisme structurel de la SAS Rocher Mistral, elle s’inquiétait à juste titre – comme les riverains, FNE 13 et plusieurs associations – des conséquences dévastatrices que ce projet pourrait avoir sur l’avenir du château, du village de La Barben et de ses habitants. Elle souhaitait se donner le temps de la réflexion avant de prendre une décision. Après de nombreuses péripéties, la justice en a finalement décidé autrement. L’architecte des bâtiments de France ayant déjà émis un avis négatif sur ces permis, les sursis à statuer ont été invalidés et la municipalité de La Barben a été invitée à se prononcer d’ici la fin de l’été. Comme le lui impose la loi, elle vient donc de se conformer à l’avis de l’architecte des bâtiments de France et refuser à son tour les permis d’aménager (arrêtés du 12 août 2024). Comment réagira la SAS Rocher Mistral ? Finira t-elle par comprendre et admettre, comme le souligne les conclusions d’une expertise récente de la DRAC (mai 2024), que le site remarquable du château de La Barben, d’une si grande richesse patrimoniale, n’est pas fait pour recevoir un parc d’attraction ? Décidera t-elle, au contraire, d’aller à nouveau en justice pour attaquer les avis de l’architecte des bâtiments de France ? Nous ne devrions pas tarder à le savoir.

Xavier Daumalin, correspondant de Sites & Monuments pour le pays salonais