Le rejet par E. Macron de l’ordonnance sur "l’instance de protection" et ses conséquences sur la chapelle Saint-Joseph à Lille

Ordonnance du 27 avril 2017, prise sous François Hollande, devenue caduque au 28 octobre 2017 faute pour le gouvernement d’Emmanuel Macron d’avoir déposé un projet de loi de ratification dans les 6 mois (voir ).

Nous allons montrer comment le Gouvernement d’Emmanuel Macron a créé une situation législative inextricable - en provoquant la caducité d’une ordonnance prise sous François Hollande - dont il se prévaut aujourd’hui pour ne pas agir, notamment à Lille, dans le cas de la chapelle de l’école libre de Saint-Joseph (voir ici). Mais cela est valable partout où des permis ont été délivrées sur des bâtiments justifiant une inscription au titre des monuments historiques. À ce stade, rien ne doit plus pouvoir arrêter les démolisseurs ! Parmi les bâtiment patrimoniaux concernés figurent notamment le domaine de la Horie à Granville (voir ici) ou le monastère de la Visitation à Paris (voir ici).

Nous nous rapportons, pour la réfutation des autres arguments ministériels, à l’article de La Tribune de l’Art (voir ici).

Auguste Mourcou (1823-1911), chapelle de l’école libre Saint-Joseph à Lille (1886-1887). Photo La Voix du Nord.
Permis de démolir de la chapelle Saint-Joseph. Photo Urgence Patrimoine.

Le ministère de la Culture reconnait un intérêt architectural justifiant une inscription mais invoque un obstacle législatif

Le ministère de la Culture reconnait tout d’abord que la chapelle Saint-Joseph n’est « pas dénuée d’intérêt architectural », expression évoquant la condition d’« intérêt d’histoire ou d’art suffisant » justifiant une inscription au titre des monuments historiques (voir ici). Il invoque cependant, dans le même temps, l’impossibilité technique de « sauver » ce bâtiment par une procédure d’urgence aboutissant à cette même protection.

Une lettre du Directeur général des patrimoines du 20 octobre 2020 à M. Etienne Poncelet, ACMH, explique ainsi que, « Si cette chapelle de la fin du XIXe siècle de style éclectique n’est pas dénuée d’intérêt architectural, celui-ci n’est toutefois pas suffisant pour justifier d’un classement au titre des monuments historiques. Une décision d’instance de classement, d’une durée de validité d’un an, ne pourrait donc au mieux déboucher que sur une éventuelle mesure définitive d’inscription au titre des monuments historiques, qui ne pourrait juridiquement faire obstacle aux permis de démolir et de construire qui ont été délivrés au propriétaire. »

Dans son communiqué de presse du 14 novembre 2020, le ministère de la Culture précise qu’« il est apparu que l’intérêt patrimonial de la chapelle n’était pas suffisant pour justifier, à l’issue de l’instance de classement, un classement définitif : de sorte que si la mise en instance de classement avait été décidée, cela n’aurait fait que repousser l’échéance d’un an, sans permettre de « sauver » l’édifice. »

Atelier Latteux-Bazin, Saint Basile et saint Grégoire, vitrail de la chapelle Saint-Joseph (vers 1887). Photo D. Rykner / La Tribune de l’Art.
Atelier Latteux-Bazin, L’Adoration des Anges, vitrail de la chapelle Saint-Joseph (vers 1887). Photo Didier Rykner / La Tribune de l’Art.

Une inscription au titre des monuments historiques ne peut contrer un permis de démolir délivré

Les régimes des autorisations de travaux sur les monuments classés et ceux simplement inscrits diffèrent dans leurs modalités. En effet, les édifices classés font l’objet d’une autorisation spéciale du ministère de la Culture (DRAC) se substituant au permis de construire, tandis que les permis de construire ou de démolir sur les monuments inscrits sont délivrés par le maire après "accord" du ministère de la Culture (DRAC), conformément à une loi d’urbanisme prise en décembre 1976. Cette incohérence, issue de l’histoire de ces deux protections, suscite aujourd’hui l’incompréhension.

Un classement au titre des monuments historiques permet en conséquence de sauver un bâtiment patrimonial, y compris après la délivrance d’un permis de démolir ou de construire. Le code du patrimoine prévoit, en effet, que « L’immeuble classé au titre des monuments historiques ne peut être détruit [...] sans autorisation  » de la DRAC (voir ici). Cela est vrai, y compris lorsque le permis de démolir a déjà été délivré (principe d’indépendance des législations)...

Mais le texte protégeant les immeubles inscrits est rédigé différemment, puisque la protection du ministère de la Culture se greffe sur les autorisations d’urbanisme (permis de construire et de démolir notamment). Ainsi, l’article L. 621-27 du code du patrimoine, codifiant la loi de 1976, prévoit que « Lorsque [...] les travaux envisagés sur les immeubles inscrits au titre des monuments historiques sont soumis à permis de construire, à permis de démolir [...], la décision accordant le permis [...] ne peut intervenir sans l’accord de l’autorité administrative chargée des monuments historiques [la DRAC] » (voir ici).

Or, dans le cas de la chapelle Saint-Joseph, le permis de démolir a déjà été accordé. Le ministère de la Culture, qui ne peut donc délivrer a posteriori son accord, serait impuissant en cas d’inscription prise au terme d’une instance de classement.

Une ordonnance, prise sous F. Hollande le 27 avril 2017, a remédié pendant 6 mois à cette situation

Ordonnance du 27 avril 2017 restée en vigueur pendant 6 mois. Applicable aujourd’hui, elle aurait notamment permis de sauver la chapelle Saint-Joseph (voir ).

Le 27 mai dernier, à la demande de Franck Riester, nous adressions nos réflexions sur « le Monde d’après ». Parmi nos demandes figuraient celle de créer «  une procédure d’instance de « protection » (et non plus de classement)  » (voir ici). C’était faire référence à une ordonnance du 27 avril 2017, prise sous François Hollande, devenue caduque par la volonté des équipes du nouveau Président de la République.

Cette ordonnance avait été prise dans le cadre d’une habilitation donnée par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) (voir article 95 I 4° ici).

Il s’agissait, comme le révèle l’étude d’impact de la loi (voir ici), de prendre deux types de mesures complémentaires : d’une part, de substituer à l’instance de classement une "instance de protection", plus large (Loi LCAP, mesure 52) et, d’autre part, d’aligner le régime des travaux des monuments inscrits sur celui des monuments classés (Loi LCAP, mesure 53). La combinaison de ces deux mesures permettait de paralyser un permis de démolir déjà délivré par une inscription au titre des monuments historiques. Soit précisément la solution que la ministre regrette aujourd’hui de ne pouvoir apporter pour sauver la chapelle Saint-Joseph...

Il est piquant de relire les explications données par le ministère de la Culture au soutien de son projet d’ordonnance de 2017. On y constate d’ailleurs que l’usage de l’instance de classement est recommandée, même non suivie de protection, afin de susciter une réflexion chez les porteurs de projet, ce que le ministère - soumis aux aléas politiques - semble avoir aujourd’hui oublié.

Auguste Mourcou (1823-1911), bâtiments et chapelle de l’école libre Saint-Joseph. Carte postale (vers 1900).

Voici comment est présentée la mesure 52 de la loi LCAP (devant donner lieu à une habilitation à légiférer par ordonnance) :
« [...] l’instance de classement a progressivement acquis une existence autonome, en tant que mesure conservatoire, permettant d’assurer la protection temporaire d’un immeuble menacé de démolition jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’opportunité d’une mesure de protection définitive, après avis des commissions consultatives compétentes. Ainsi, il est apparu qu’une instance de classement pouvait se conclure par une simple mesure d’inscription de l’immeuble concerné (mesure qui n’existait pas, en tant que régime de protection à part entière, en 1913), par un accord entre l’administration et le propriétaire permettant de conserver tout ou partie de l’immeuble, sans recourir à une décision de protection définitive au titre des monuments historiques, voire par le renoncement à toute protection et la démolition de l’immeuble, lorsque sa conservation apparaissait finalement impossible. [...] 

C’est l’ordonnance n°2005-1128 du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques, procédant à une réforme importante en ce domaine, qui affirme ce critère et ce régime autonome de l’instance. L’article L.621-7 fait alors l’objet d’une nouvelle rédaction : « Lorsque la conservation d’un immeuble est menacée, l’autorité administrative peut notifier au propriétaire par décision prise sans formalité préalable une instance de classement au titre des monuments historiques. À compter du jour où l’autorité administrative notifie au propriétaire une instance de classement au titre des monuments historiques, tous les effets du classement s’appliquent de plein droit à l’immeuble visé. Ils cessent de s’appliquer si la décision de classement n’intervient pas dans les douze mois de cette notification ».

L’indépendance de l’instance par rapport à la procédure de classement définitif est alors clairement établie : le seul critère exigé pour notifier une instance est l’existence d’une menace pesant sur la conservation d’un immeuble. La décision de classement met fin à l’instance, en ce qu’elle impose une autorisation préalable, au titre de l’article L.621-9, avant toute modification, et a fortiori toute démolition, de l’immeuble classé. Mais l’instance n’est plus automatiquement liée à un projet de classement

Le tableau ci-dessous présente les décisions d’instance de classement prises depuis cette réforme de 2005, et leurs conclusions :

Tableau des instances de classement (2006-2015)

Sur 35 décisions d’instance depuis 2006, 9 ont abouti à un classement définitif, à l’amiable (6) ou d’office (3) ; 15 ont abouti à une inscription définitive, et 2 au maintien à l’inscription ; 4 ont abouti à la conservation des immeubles concernés, sans protection définitive au titre des monuments historiques ; 2 ont abouti au renoncement à toute protection, suivi d’une démolition de l’immeuble concerné ; 1 a abouti au renoncement à toute protection, le sort de l’immeuble restant pendant (demande de permis de démolir déposée) ; 2 dossiers sont en cours d’instruction.

Ces exemples illustrent bien que le principe de l’instance de classement n’a pas forcément pour effet d’aboutir à une décision de classement définitif, mais de donner le temps à l’administration d’envisager, en concertation avec le propriétaire, les moyens d’une conservation de l’immeuble, pouvant déboucher sur un classement définitif, une inscription définitive ou le renoncement à toute protection définitive.

L’inscription constitue même désormais une issue plus fréquente à la décision d’instance que le classement. Elle suffit le plus souvent à garantir la conservation de l’immeuble menacé, dès lors qu’aucune autorisation d’urbanisme n’a encore été délivrée (en effet, la délivrance, avant la décision d’instance, d’un permis de construire ou d’un permis de démolir, confère au bénéficiaire du permis des droits auxquels seul le classement définitif peut faire échec).  » (voir ici)

Chapelle avec son maitre autel et son triforium orné de grilles. Carte postale (vers 1900).
Chapelle après retrait du maitre autel, des grilles du triforium et du mobilier. Photo D. Rykner.

Dans le même temps, il était question de soumettre les monuments classés comme inscrits à un régime d’autorisation unique indépendant des autorisations d’urbanisme. Cette unification des procédures était une véritable "simplification" procédurale, un mot devenu à la mode...

Voici comment est présentée la mesure 53 de la loi LCAP (devant donner lieu à une habilitation à légiférer par ordonnance) :

« Ce sont les adaptations successives du code de l’urbanisme (notamment l’institution par la loi n°76-1285 du 31 décembre 1976 du permis de démolir sur immeuble inscrit, délivré après accord du ministre chargé des monuments historiques – cf. article L.430-8 et f de l’article L.431-1) qui vont progressivement renforcer ce régime en soumettant à l’avis, voire à l’accord, des autorités compétentes en matière de monuments historiques la délivrance des autorisations d’urbanisme (permis de construire, permis de démolir, permis d’aménager, non opposition à la déclaration de travaux exemptés de permis de construire) portant sur des immeubles inscrits.

En 2005, le code du patrimoine prend acte de ce « renfort » apporté par le code de l’urbanisme, en disposant, dans le deuxième alinéa de son article L.621-27, que « Lorsque les constructions ou les travaux envisagés sur les immeubles inscrits au titre des monuments historiques sont soumis à permis de construire, à permis de démolir, à permis d’aménager ou à déclaration préalable, la décision accordant le permis ou la décision de non-opposition ne peut intervenir sans l’accord de l’autorité administrative chargée des monuments historiques.

Enfin, l’existence de deux régimes d’autorisations différents, relevant de deux autorités différentes, pour les travaux sur les immeubles classés (autorisation du préfet de région) et sur les immeubles inscrits (permis de construire, permis de démolir, permis d’aménager ou déclaration de travaux exemptée du permis de construire, délivrée par l’autorité compétente après accord du préfet de région, ou simple déclaration quatre mois à l’avance au préfet de région) est source de confusion pour les propriétaires et ce d’autant plus lorsque l’immeuble fait l’objet d’une protection mixte (partie classée, partie inscrite), les travaux relevant de deux autorisations distinctes, délivrées par deux autorités distinctes.

Le rapprochement des régimes permet une simplification des procédures à suivre pour les demandeurs et tend vers le projet d’autorisation unique en matière de monument historique. Cette volonté d’unification des procédures doit permettre une gestion plus rationnelle des projets.

De plus, au lieu d’une procédure instruite par l’autorité compétente en matière d’urbanisme, incluant l’accord et les prescriptions éventuelles du préfet de région au titre des monuments historiques, il s’agirait d’instaurer une autorisation du préfet de région au titre des monuments historiques, incluant l’accord de l’autorité compétente en matière d’urbanisme. Si les rôles d’instructeur principal et d’accord seraient donc inversés, les conditions d’examen par chacune des autorités n’en seraient pas fondamentalement bouleversées. » (voir ici)

Une ordonnance devenue caduque par la volonté du Nouveau Monde

L’ordonnance du 27 avril 2017 est entrée dans notre ordre juridique six mois durant avant d’en disparaître. En effet, la Constitution prévoit que « Les ordonnances [...] entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation  » (voir ici). La loi LCAP prévoyait, en l’occurrence, un délai de 6 mois (voir article 95 III de la loi LCAP ici).

Rapport au Président de la République sur l’ordonnance du 27 avril 2017 (voir ).

Emmanuel Macron, entré en fonction le 14 mai 2017, trouva dans l’abandon de cette excellente ordonnance - remontée semble-t-il jusqu’à son cabinet - un moyen d’exprimer sa différence. Ainsi, comme le précise le Journal officiel, « en l’absence de dépôt du projet de loi de ratification dans le délai prescrit à l’article 95-III de la loi d’habilitation n° 2016-925 du 7 juillet 2016, l’ordonnance n° 2017-651 du 27 avril 2017 est caduque au 28/10/2017 » (voir ici).

Les autres domaines du patrimoine affectés par la caducité de l’ordonnance

Et d’autres domaines patrimoniaux sont touchés par cette caducité. Il s’agissait également, comme l’explique le rapport au président de la République, d’accélérer la réalisation de travaux faits d’office par l’Etat sur les monuments classés en péril : « Les effets de la mise en demeure d’effectuer les travaux indispensables à la conservation d’un immeuble classé (notamment la possibilité de réaliser des travaux d’office, au cas où le propriétaire ne se conformerait pas à cette mise en demeure) sont systématiquement suspendus en cas de recours du propriétaire devant le tribunal administratif. Il en résulte, par le jeu des éventuels recours en appel et en cassation, que des travaux indispensables et urgents peuvent n’être entrepris que plusieurs années après la mise en demeure. L’immeuble, pendant ce temps, a continué de se dégrader, ce qui peut occasionner des pertes irrémédiables pour le patrimoine culturel, et des surcoûts, par rapport à une intervention rapide, pour l’Etat et, en définitive, pour le propriétaire, appelé à participer au financement des travaux. La procédure de mise en demeure n’est, en conséquence, utilisée que très exceptionnellement, au détriment de la conservation de certains immeubles classés. » (voir ici). Le caractère suspensif des recours aurait ainsi pu être levé, permettant l’exécution immédiate des travaux.

Il s’agissait aussi de soumettre des meubles inscrits au titre des monuments historiques (dans leur immense majorité propriété publique) à une autorisation de travaux, tout en leur faisant profiter de récolements plus fréquents et de l’imprescriptibilité en cas de vol. La procédure, plus souple, de l’"instance de protection" était également étendue au mobilier (voir ici)...

Bref, que de dispositions utiles !

Conclusion

Remarquons qu’une ordonnance réellement simplificatrice, dont le Nouveau Monde abusera par ailleurs, ne trouve plus grâce à ses yeux lorsqu’il s’agit de protéger le patrimoine. Piquant aussi de se prévaloir, pour refuser d’agir, d’une imperfection juridique que l’on a soi-même rétablie dans le droit !

Il faut aujourd’hui à nouveau soumettre cette ordonnance - qui est prête - au parlement. L’actualité nous en a prouvé l’utilité pour le patrimoine et aucun Gouvernement sensé ne devrait s’y opposer. 

Projet de bâtiment en lieu et place de la chapelle Saint-Joseph, si elle devait être détruite. Agence Saison Menu Architectes Urbanistes.

Il convient également de sauver l’ancienne école libre de Saint-Joseph, en considérant non pas sa seule chapelle, mais un ensemble remarquable, comme le montre le lien ci-dessous, voué à l’éducation catholique à la fin du XIXe siècle, en incluant évidemment dans la protection son patrimoine mobilier. Une instance de classement doit permettre cette réflexion élargie, pouvant aboutir, si cela est nécessaire, à un classement au titre des monuments historiques pris d’office. Mais les responsables de JUNIA (Université catholique de Lille) comprendront d’eux-mêmes qu’aucun enseignement de qualité ne peut être délivré sur les ruines du passé, de son propre passé.

L’école libre de Saint-Joseph de Lille vers 1900

Julien Lacaze, président de Sites & Monuments

Lettre du directeur général des patrimoines du 20 octobre 2020 à M. Etienne Poncelet

Communiqué du ministère de la Culture du 14 novembre 2020

Ordonnance du 27 avril 2017 telle que publiée au JO (en vigueur pendant 6 mois)

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