La rive nord du goulet de Bonifacio et le plateau attenant ont été classés parmi les sites protégés en 1996 (voir ici), et la partie maritime du site a été classée l’année suivante, cet ensemble étant aujourd’hui labellisé Grand Site de France (voir ici).
Ces sages mesures, prises après une enquête approfondie, ont permis de souligner tout l’intérêt de ce magnifique ensemble exceptionnellement conservé dans son état naturel.
On pouvait légitimement s’attendre à ce que les responsables de cette protection, placée par l’Etat sous la responsabilité du Préfet de Corse, auraient à cœur de l’appliquer strictement, en liaison avec les autorités de la Collectivité de Corse.
Hélas, c’est l’inverse qui est envisagé, au mépris des attentes légitimes des Corses… Le port de Bonifacio projette en effet de se développer au pied et le long de la falaise nord du goulet, ainsi que dans l’anse de la Catena. Comme le précise le Bulletin municipal d’avril 2019, « La passerelle sera posée sur pieux, le but étant d’intégrer l’aménagement du port afin d’agrandir sa capacité d’accueil (345 unités) avec 80 unités dans l’anse de la Catena. » Pire, « l’anse de la Catena sera alimentée en eau, électricité et une connexion réseau wifi sera disponible », signant la fin de sa vocation naturelle (voir ici, p. 8).
Or, d’extension en extension, le port de Bonifacio a déjà triplé sa surface depuis quelques années, en annexant plus d’un kilomètre de bord de mer immaculé.
Cela a commencé en 1970 par la construction de l’ensemble de Giovasole qui a colonisé près de 300 mètres de falaises et de bord de mer. L’Etat avait décidé d’accepter le fait accompli (sans autorisation !) sous réserve que la suite de la falaise soit sauvegardée.
Cet engagement n’a nullement empêché la création d’un chantier naval en rive nord et d’un port de commerce en rive sud !
Mais la nature - ou plutôt la mer - ayant horreur du vide, peu d’années se sont écoulées avant qu’une maison des pêcheurs semble urgente… et permette d’amarrer quelques yachts supplémentaires.
Enhardis par l’appât du développement inconsidéré, c’est une immense extension qui est maintenant projetée, englobant le reste de la falaise nord jusqu’à l’anse de la Catena et la Catena elle-même, soit 800 mètres d’accostages supplémentaires, baptisés pudiquement promenade réversible !
Or le fait que la Catena soit une pure merveille écologique, restée totalement inviolée et la seule plage de sable accessible à pied depuis Bonifacio n’est aucunement pris en compte ! Au contraire, le projet est présenté comme une « amélioration paysagère ».
Où a-t-on vu que transformer une plage inviolée en port soit une amélioration paysagère ?
Qui s’est déjà baigné dans un port ? Qui a déjà vu que le mouillage de nombreux bateaux permette de protéger le milieu marin ? Qui a jamais constaté que la création de nouveaux cheminements piétons dans un site classé apportait une amélioration à ce site ? Qui n’a jamais constaté que les meilleures intentions sont rapidement oubliées sous la pression des 80 bateaux supplémentaires projetés à la Catena ?
Quand à l’intérêt et à l’avis des Corses, ils sont simplement oubliés comme si Bonifacio se trouvait dans une république bananière !
Au rythme actuel d’extension du port de Bonifacio, on peut s’attendre à ce que l’anse suivante de l’Orinella soit rapidement considérée comme une extension indispensable (à quoi ?).
Actuellement, de nombreux randonneurs suivent le magnifique chemin de la « Strada Vecchia », encore dallé de pavés « à la Gênoise », qui permet en moins de 800 mètres de joindre la Catena à l’entrée de Bonifacio.
Qu’adviendra-t-il de ce magnifique chemin ? Restera-t-il interdit à tous véhicules ou bien quelque rédacteur d’« intentions paysagères » y décrira-t-il une route paysagère ou écologique ?
Au-delà du développement naïf et sans fin, plusieurs questions méritent d’être posées :
A qui profitera le massacre définitif de la Caténa ? Aux bonifaciens ? aux plaisanciers ? à d’autres ? Qui demande une pareille opération ?
Que se passera-t-il pour les bateaux de plaisance à moteur en 2030 ou 2050 (demain) quand la température de notre planète s’élèvera de 3° ou 5° ?
Comment se passera le remboursement des emprunts contractés en 2020 pour cet aménagement utilisé uniquement chaque mois d’août ? Le Bulletin municipal est ici révélateur d’une fuite en avant : « Le budget actuel est estimé à 6 millions d’euros, entièrement financé par la commune de Bonifacio. A long terme, la commune s’autofinancera avec les emplacements de bateau créés. » (voir ici, p. 8).
Aménager l’arrière plage de la Catena, encore à l’état de nature, serait ouvrir la porte à une extension urbaine inconsidérée.
Ce serait une faute grave contraire à la volonté écologique de Bonifacio.
Michel Socci