Il est impensable de trancher dans le vif ce patrimoine millénaire
Nous souhaitons réagir à l’article « Un des plus beaux patrimoines mondiaux » écrit par Grégoire Laville et paru le dimanche 2 avril 2023 dans le journal Ouest-France
Tout comme le maire de Carnac, Sites et Monuments -association nationale, agréée pour la protection de l’environnement et reconnue d’utilité publique- est impatiente de voir les mégalithes du littoral sud du Morbihan inscrits au patrimoine de l’UNESCO. « Nulle part dans le monde il n’existe une densité aussi incroyable de monuments néolithiques, sur un espace qui fait 30 kilomètres de long sur 20 de large »
Mais nous aimerions que tout soit fait pour faire aboutir ce projet. Hélas nous n’en prenons pas le chemin ! Comment faire accepter auprès du comité de l’UNESCO un dossier que l’on sait foncièrement vicié ?
Jusqu’à présent l’association Paysages de mégalithes a malheureusement choisi l’immobilisme et l’opacité.
La gouvernance n’est assurée que par des élus, comme on le voit sur le site officiel de Paysages de mégalithes. De plus, depuis novembre 2022, la vice-présidence est assurée par l’ex ministre des Affaires étrangères : Jean-Yves Le Drian.
Or ce qui pose problème et ce qu’on veut occulter, c’est l’atterrage des éoliennes flottantes au large de Belle-Île jusqu’au poste de Pluvigner, à travers des zones archéologiques et mégalithiques.
Elles sont présentes partout sur le tracé des onze communes du raccordement, notamment les trois dolmens à galerie de Mané-Braz à Erdeven, le dolmen de Crucuno et les alignements de Sainte-Barbe à Plouharnel.
Qui peut croire encore que RTE se soucie des mégalithes ? Depuis le projet pilote de 4 éoliennes d’EOLFI aujourd’hui abandonné, on constate que le tracé n’a pas bougé d’un iota :
L’atterrage passera dans un haut-lieu d’histoire et de patrimoine dont RTE n’a que faire !
Le raccordement est prévu sur la plage de Kerhillio proche du village de Sainte-Barbe qui fut le théâtre d’un événement majeur de la Révolution en Bretagne : le débarquement des émigrés, dit « Expédition de Quiberon » (juillet 1795).
Ce village qui a conservé une grande authenticité se situe en périmètre de monument historique. « Le village breton de Sainte-Barbe brave les colères de l’océan sous la protection de sa chapelle. Isolés, les villageois y vivaient en clans familiaux, d’étroites traverses reliant les habitations. La façade de la chapelle (XVIe siècle), inscrite sur la liste des Monuments Historiques est de style Renaissance » lit-on sur le descriptif de la randonnée « Plouharnel circuit de Sainte-Barbe »
Le site est truffé de vestiges mégalithiques. L’association Paysages de mégalithes les décrit ainsi :
« On trouve la mention de « grandes pierres » près du village de Sainte-Barbe à « Plouharne » (actuel Plouharnel), au nord-ouest du bourg, dès la fin du XVIIIe siècle sur des cartes des côtes de France.
Antiquaire et propriétaire d’un hôtel à Plouharnel, Félix Gaillard assiste impuissant, dès les années 1880, à la destruction de plusieurs menhirs, près de la chapelle Sainte-Barbe. Il alerte les autorités et à la fin du XIXe siècle, la tête des alignements est classée au titre des monuments historiques. En 1923, Zacharie Le Rouzic étend le classement à d’autres stèles appartenant au même monument et supervise le redressement de plusieurs d’entre elles.
Aujourd’hui on observe des alignements de stèles en au moins trois files conservées pour 26 blocs, dont plusieurs stèles spectaculairement massives. Une douzaine d’autres sont couchées aux alentours. Ce monument est complémentaire des alignements du Vieux Moulin, à l’est, en sortie de bourg de Plouharnel en direction d’Erdeven. »
Le raccordement rejoindrait vraisemblablement Kerhellegant, à une centaine de mètres au nord-est de Sainte-Barbe, à travers les alignements.
Partout, dans ces aires retenues pour une protection de l’UNESCO, on se heurte au détour du chemin au mystère et à l’incongruité de ces gros blocs de pierre.
Ainsi à Crucuno, à moins de 2 km au nord de Sainte-Barbe.
Denis Roche mieux que personne a tenté de formuler l’inénarrable de ces rencontres.
"Le dolmen nous échappe par son incongruité dans le temps et l’espace civilisés comme il nous échappe face aux moyens que nous possédons actuellement de le décrire et de le raconter » écrit-il à propos du dolmen de Crucuno dans "Carnac ou les Mésaventures de la narration"
« Nous l’éprouvons tous avec violence devant ces pierres : rien de ce qui les entoure – niveaux du terrain, végétations, forêts ou arbustes ou champs, habitations, villages, murs de pierres sèches, villes entières mêmes – rien ne va avec ces pierres. Rien n’a été là en même temps qu’eux, rien ne leur correspond aujourd’hui, leur voisinage n’existe pas. Et les peuples eux-mêmes sont partis vivre ailleurs tandis que des tribus –très vite des nations – sont venues se camper contre ces cailloux massifs, embringués dans cette Histoire qui semble n’avoir démarré qu’après eux. »
Citons encore Mané Groh à Erdeven à 2,5 km de Sainte-Barbe, sur la route du raccordement :
Or la richesse mégalithique est tout aussi importante sous terre qu’à découvert. Il est impensable de trancher dans le vif ce patrimoine millénaire !
De plus, en mer, l’enfouissement des câbles va toucher des zones qui étaient émergées à la préhistoire. On connait la merveilleuse île Téviec dont Marthe et Saint-Just Péquart ont révélé le mystère. Combien d’autres Téviec encore enfouies et inconnues à ce jour et qu’il faudrait préserver pour les générations futures ?
À cela s’ajoute l’impact visuel. On sait que les éoliennes ont été bannies dans le périmètre du Mont Saint- Michel protégé par l’UNESCO. Il devrait en être de même autour de nos mégalithes.
Du haut du tumulus Saint-Michel, dont s’enorgueillit à juste titre le maire de Carnac, la vue est ouverte sur les éoliennes au large de Belle-Île.
De même en presqu’île de Quiberon face au dolmen de Port Blanc et dans bien d’autres sites encore. Il est encore temps de sauver le projet d’inscription des mégalithes auprès de l’UNESCO !
Écartons à jamais les éoliennes flottantes des côtes morbihannaises !
Anne Marie Robic déléguée Sites & Monuments du Morbihan.