Ville-d’Avray, petite commune des Hauts-de-Seine, s’enorgueillit d’héberger sur son territoire, depuis le Moyen Âge, ses fameux étangs dits plus tard « de Corot », en référence au peintre mondialement connu et que bien d’autres artistes ont immortalisés. Ils ont été aménagés sous le roi Louis XIV pour alimenter les fontaines et jets d’eaux du château de Saint-Cloud, d’où leur rattachement actuel, comme le reste de ce domaine, au Centre des monuments nationaux (CMN). Ils attirent chaque année des milliers de franciliens.
La loi du 21 avril 1906, portée par le député et président de la SPPF Charles Beauquier (1833-1916), permettait pour la première fois de classer des « propriétés foncière dont la conservation peut avoir, au point de vue artistique ou pittoresque, un intérêt général ». Ce critère du "pittoresque" a été repris par la loi du 2 mai 1930 et, aujourd’hui, l’article L. 341-1 du code de l’environnement (voir ici). Le site des étangs de Ville-d’Avray, représentant la « plus importante suite d’après un sujet identique » chez ce peintre (Nathalie Michel-Szelechowska), a été classé au regard de ce critère par un arrêté du 21 septembre 1936 (voir ici). Les paysages représentés par Camille Corot (1796-1875) ont en effet très peu évolué. Ils menacent aujourd’hui de devenir illisibles, comme le montrent les illustrations de cet article.
Les étangs Corot font en effet l’objet de travaux qui les dénaturent afin de prévenir l’éventuelle rupture de leurs digues en cas de crue hors norme. Ce chantier « pharaonique », à l’échelle du site, a débuté l’hiver dernier. Il consiste notamment à pourvoir les 2 digues des étangs de déversoirs bétonnés. Les actuels déversoirs, d’une emprise d’à peine 1 mètre entre les deux étangs et de 6 mètres à l’Est de l’Etang Neuf, mesureront bientôt 24 mètres de large chacun ! Cette opération a d’ores-et-déjà entrainé, entre les étangs, la coupe de 22 arbres et entraînera bientôt, pour la digue de l’Etang Neuf, l’abattage de 32 arbres : 7 tilleuls à grandes feuilles plus que centenaires, ainsi que 27 arbres en contrebas. Le caractère pittoresque du site en serait évidemment à jamais compromis.
Cet abattage laissera place à un trou béant dégageant une vue sur une construction banale des années soixante : la résidence de la Ronce et son parking.
Nous ne contestons pas la nécessité de travaux en cas d’absence d’alternative avérée. Il aurait cependant été souhaitable, au delà des simples questions de « sécurité », qu’une réflexion sur un bâti plus harmonieux, moins bétonné, ait été menée afin de préserver les arbres actuels et à venir. Ils font la splendeur d’un site qui se relève à peine de la tempête de 1999.
Depuis l’hiver dernier, nous assistons, impuissants, à un véritable saccage. Sur la digue en amont, entre les deux étangs, le massacre a débuté. La haie végétale composée d’arbres (une vingtaine de grands et petits) a été supprimée au profit d’un garde-corps ayant - soit-disant - « l’avantage de rétablir, les lieux dans leur état originel tout en aménageant une perspective inédite de mémoire de Dagovéraniens » (CDNPS du 18 avril 2019). Cet aménagement n’est pourtant pas souhaité des habitants de Ville-d’Avray ni conforme aux paysages immortalisés par Corot. Les visiteurs, ne se doutant pas de la présence d’un second étang au-delà de la barrière végétale, appréciaient au contraire l’effet de surprise ménagé par la végétation…
L’inspectrice des sites, Madame Weill, remarque d’ailleurs que « la création de ces nouveaux ouvrages va bouleverser l’image actuelle du site, dont le « romantisme » est dû pour partie à un laisser faire » (CDNPS du 18 avril 2019) ! Cette naturalité caractérise en effet l’œuvre de Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875).
Le site risque d’être, d’ici quelques semaines, irrémédiablement défiguré et pourrait l’être encore davantage par un curage excessif, proche du système radiculaire de très beaux arbres (cyprès chauve, tilleuls, tremble…) L’atteinte à la biodiversité, aux habitats, la suppression d’une haie corridor écologique, sans compensation, si ce n’est par une simple roselière, nous semble oublier l’« objectif d’absence de perte nette de biodiversité, voire [de] gain de biodiversité » du code de l’environnement (voir ici). Quant à l’abattage de l’alignement de 7 tilleuls plus que centenaires, on peut s’interroger sur sa conformité à la procédure définie à l’article L. 350-3 du code de l’environnement (voir ici).
Ces travaux ont malheureusement été définis par des ingénieurs, spécialistes de la sécurité peu qualifiés pour intervenir sur un site sensible. Le massacre des étangs rejoint, de ce point de vue, celui du site de la Manufacture de Sèvres où l’abattage de 66 arbres est prévu pour y ménager une "promenade" rectiligne (voir ici).
Il est encore possible, dans le respect du principe de précaution, de revoir ces plans afin de préserver les Étangs de Corot. Nous portons cette responsabilité pour les générations futures.
Hélène Seychal, représentante du Groupement National des Arbres à Ville d’Avray (avec Nathalie Michel-Szelechowska et Julien Lacaze).
Nathalie Michel-Szelechowska - Camille Corot et les peintres aux étangs de Ville-d’Avray