Le projet de loi sur la Transition énergétique, tel qu’adopté le 14 octobre 2014 par l’Assemblée nationale, porte des mesures dangereuses pour le patrimoine bâti de notre pays, source majeure d’emplois non délocalisables, d’excédent commercial et de cohésion sociale. Celui-ci prévoit, en effet, que le maire ne puisse plus "s’opposer à la mise en œuvre d’une isolation en saillie des façades et par surélévation des toitures des constructions existantes" (art. 3).
Cet article a conduit la SPPEF à rédiger trois propositions d’amendements, transmises au G8 patrimoine, ainsi qu’à diverses institutions et parlementaires (amendements reproduits ci-dessous), dans la perspective de la reprise des débats au Sénat.
En effet, si l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments existants est souhaitable et possible pour une large part du parc immobilier, notamment de la période de la reconstruction jusqu’au premier choc pétrolier, la loi en projet ne saurait être appliquée indistinctement.
L’isolation par l’extérieur d’un bâtiment ancien revient en effet à gommer la spécificité de son architecture en détruisant tout élément en relief des façades (un meulage ou un piquetage sont pratiqués préalablement à la fixation de l’isolant) et transformer ainsi profondément la perception de l’histoire et des diversités urbaines et régionales qui se sont exprimées par l’usage de styles différents.
Les municipalités - premier échelon de la protection du patrimoine - ne pourront plus s’opposer par leurs documents d’urbanisme à « l’emballage » des bâtiments dans les lieux remarquables que sont les Sites inscrits et classés, les Zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), les Aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP), les abords de Monuments historiques, s’agissant des immeubles labellisés patrimoine du XXe siècle, des sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco (Val de Loire, baie du Mont-Saint-Michel, sites des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, etc) et évidemment de toutes les zones dépourvues de protection patrimoniale étatique.
Les plus beaux villages et sites de France seront ainsi sacrifiés au bénéfice d’une filière technique inadaptée au bâti ancien, qui fera disparaître des paysages tout le charme et le raffinement de nos architectures de pierre, de brique, les pans de bois et la grande diversité de formes et de matériaux qui font la richesse de notre pays.
Les bâtiments construits avant les années 1950 se caractérisent pourtant par la qualité et l’intelligence thermique des dispositifs et matériaux mis en oeuvre. Ainsi, prévoir que le bâti ancien doit se "rapprocher le plus possible des exigences applicables aux bâtiments neufs" est inapproprié.
Par ailleurs, les nouvelles dispositions ne manqueront pas d’entraîner d’importants désordres et problèmes sanitaires pour les occupants, dus notamment à l’absence d’évacuation de l’humidité intérieure ; de susciter des démarchages commerciaux agressifs se prévalant du caractère « obligatoire » des travaux d’isolation et de susciter une "mode" comparable à celle des menuiseries en PVC ayant déjà porté atteinte à l’esthétique de nombreuses villes.
Devant la gravité des conséquences du projet de loi sur la Transition énergétique, la SPPEF demande instamment :
– que les spécificités énergétiques et architecturales du bâti ancien soient affirmées ;
– que la future loi ne soit applicable qu’aux bâtiments construits postérieurement à 1948, afin de concentrer les rénovations sur les seuls bâtiments réellement énergivores, ceux construits dans les années 1960, 1970 et 1980 ;
– à défaut, que soient réintroduites dans la loi, en les complétant, les dérogations actuellement prévues à l’article L. 111-6-2 du code de l’urbanisme.
Cette position s’insère dans la déclaration du 4 novembre 2014 du « G8 Patrimoine », réunion des associations de protection du patrimoine reconnues d’utilité publique.
Pour lire la déclaration
AMENDEMENT SPPEF N° 1
excluant du champ du projet certaines zones patrimoniales
ARTICLE 3
Les alinéas 4 et 5 de l’article 3 du projet sont ainsi modifiés :
« 2° A la place du deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
Les premier et deuxième alinéas ne sont pas applicables dans un secteur sauvegardé, dans une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager ou une aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine prévues aux articles L. 642-1 et L. 642-8 du code du patrimoine, dans le périmètre de protection d’un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques défini par l’article L. 621-30 du même code, dans un site inscrit ou classé en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l’environnement, à l’intérieur d’un parc national délimité en application de l’article L. 331-3 du même code ou d’un parc naturel régional délimité en application de l’article L. 333-1 du même code, dans une zone inscrite sur la liste du patrimoine mondial en application de la convention de l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture du 16 novembre 1972 et dans sa zone tampon, ni aux travaux portant sur un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques ou adossé à un immeuble classé, sur un immeuble bénéficiant du label Patrimoine du XXe siècle ou sur un immeuble protégé en application du 2° du III de l’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme. » ;
Au 7e alinéa de l’article 3 du projet, les mots « troisième et cinquième alinéas » sont remplacés par « troisième et quatrième alinéas ».
EXPOSÉ DES MOTIFS
Cet amendement a pour objet principal d’étendre à l’actuel projet de loi les exceptions prévues par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement s’agissant de « l’utilisation de matériaux renouvelables ou permettant d’éviter l’émission de gaz à effet de serre » (article L. 111-6-2 al. 2 du code de l’urbanisme).
Le projet de loi actuel, dont les conséquences sont potentiellement plus graves pour le patrimoine, puisqu’il a pour objet de permettre l’« isolation en saillie des façades et par surélévation des toitures », technique qui suppose une destruction préalable d’éléments de décor et de charpente préexistants, ne retient pourtant qu’une partie de ces exceptions. Il néglige en effet les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), les périmètres de protection des immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques, les sites inscrits ou classés et les parcs nationaux.
Il s’agit, en outre, de compléter cette liste par les immeubles labellisés Patrimoine du XXe siècle, les Aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP), destinées à remplacer les ZPPAUP en 2016, les parcs naturels régionaux et les zones inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
Il semble en effet paradoxal, dans ces zones sensibles patrimonialement, que la première des protections, celle voulue par les communes à travers le règlement de leurs documents d’urbanisme, ne s’applique pas, ce qui imposerait aux maires - de manière peu justifiée - de réitérer une protection par la création d’un périmètre spécial excluant l’application des dispositions du présent projet. Or, l’expérience de la loi du 12 juillet 2010 montre que ces périmètres d’exclusion n’ont eu qu’un succès très limité (une cinquantaine environ en France), peut-être en raison de la charge et de leur coût d’élaboration. En l’absence de définition d’une telle zone, la tâche de refuser une isolation par l’extérieur, qui deviendrait obligatoire, reposerait sur le seul avis de l’architecte des bâtiments de France. Cette situation créerait de très nombreux conflits entre la nouvelle loi et les dispositions des codes du patrimoine et de l’environnement aboutissant à une saturation de la procédure de recours contre les avis de ce fonctionnaire, tant auprès du Préfet de région que devant des tribunaux administratifs.
Il convient, pour ces raisons, d’exclure du champ d’application de l’obligation d’isolation par l’extérieur l’ensemble des monuments et zones sensibles patrimonialement - qui sont des facteurs d’attractivité pour notre pays - ce qui n’empêche nullement d’envisager, au cas par cas et conformément aux documents d’urbanisme, des dispositifs d’isolation adaptés.
AMENDEMENT SPPEF N° 2
maintenant la possibilité pour les documents d’urbanisme d’interdire l’isolation par l’extérieur des édifices antérieurs à 1948
ARTICLE 3
Le 5e alinéa de l’article 3 du projet est ainsi modifié :
« Le deuxième alinéa n’est pas applicable aux bâtiments ou parties de bâtiments dont la date d’achèvement de la construction est antérieure au 1er janvier 1948, ni aux bâtiments bénéficiant du label Patrimoine du XXe siècle ou à ceux protégés en application du 2° du III de l’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme. » ;
Au 6e alinéa de l’article 3 du projet, les mots : « Les deux premiers alinéas ne sont pas non plus applicables » sont remplacés par : « Le premier aliéna n’est pas applicable ».
EXPOSÉ DES MOTIFS
Cet amendement a pour objet d’exclure du champ d’application du projet de loi les bâtiments dont la construction est antérieure au 1er janvier 1948 pour trois raisons : énergétique, sanitaire et esthétique.
– La réglementation thermique en vigueur (comme l’article 5 V nouveau du projet) distingue déjà entre « les bâtiments ou parties de bâtiments dont la date d’achèvement de la construction est antérieure au 1er janvier 1948 » et ceux qui sont postérieurs à cette date (arrêtés des 3 mai 2007 et 13 juin 2008). La réglementation thermique est en effet moins exigeante s’agissant des édifices antérieurs aux années 1950 (soumis à une réglementation thermique dite « élément par élément »), très généralement construits avec des matériaux traditionnels dont les qualités thermiques sont unanimement reconnues, les constructions énergivores étant, comme on le sait, celles des années 50, 60 et 70 (soumises à une réglementation thermique dite « globale »). L’article 5. 2. 4. de la circulaire du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie du 22 juillet 2013 (NOR : ETLL1317124C) précise d’ailleurs que « Les bâtiments construits avant 1948, représentant environ le tiers du parc de logements, bénéficient de performances énergétiques relativement bonnes proches des constructions du début des années 1990 ».
– Les façades traditionnelles ont pour propriété de « respirer », ce qui permet notamment à l’humidité intérieure des habitations d’être naturellement évacuée. L’application en façade de matériaux d’isolation inappropriés à ces édifices anciens supprimera ces caractéristiques en provoquant une dégradation du bâti et de la salubrité des logements (moisissures, particules fines), dégradation déjà observée après de simples changements de fenêtres.
– Du point de vue esthétique, les années 50 marquent une rupture, par l’emploi systématique du béton et l’apparition des grands ensembles, architecture comportant généralement des façades simples et dépourvues d’ornementation, caractéristique ne s’opposant pas a priori à l’usage d’un isolant extérieur. Les façades des années 30 et des périodes antérieures présentent en revanche toujours un décor (modénature, sculptures…) qui serait détruit pour pratiquer ce type d’isolation, sans que les moulurations feintes qui leurs sont parfois substituées par collage soient bien évidemment satisfaisantes.
L’exclusion du champ du projet de loi de certains espaces protégés (en l’état actuel du texte seuls les monuments historiques classés et inscrits et les secteurs sauvegardés) est insuffisante. De nombreux bâtiments esthétiquement intéressants sont en effet situés en dehors des principales zones patrimoniales où l’architecte des bâtiments de France est aujourd’hui compétent (abords des monuments historiques, secteurs sauvegardés, ZPPAUP ou AVAP, sites classés et inscrits, soit environ 5 millions d’hectares sur les 55 que compte la France). En définitive, plus de 90 % du territoire échappe à son contrôle, zones dans lesquelles l’isolation par l’extérieur serait obligatoire et dépourvue de garde-fou. C’est pourquoi seule l’adoption d’une exclusion par date est de nature à prévenir une dégradation généralisée et irréversible du bâti urbain et rural non protégé.
Demander aux communes de réitérer des protections prévues dans leurs documents d’urbanisme par la création de périmètres spéciaux d’exclusion semble injustifié et irréaliste. L’expérience de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (actuel article L. 111-6-2 al. 2 du code de l’urbanisme) montre en effet que ces périmètres d’exclusion n’ont eu qu’un succès très limité (une cinquantaine environ en France), peut-être en raison du coût de leur élaboration et d’une certaine lassitude devant l’exigence de réitérer ce qui avait été affirmé.
Certains bâtiments postérieurs à 1948, non soumis aux législations sur les espaces protégés ou les monuments historiques justifient en outre d’être exclus du champ des dispositions du projet de loi pour des raisons esthétiques. Il en va ainsi des immeubles bénéficiant du label « Patrimoine du XXe siècle » (distinction déjà pratiquée par la réglementation thermique) ou s’agissant de ceux protégés par les communes au titre de l’article L. 123-1-5 III, 2° du code de l’urbanisme. Les exceptions sous forme de zones d’exclusion prédéfinies (secteurs sauvegardé, ZPPAUP, abords…) ou créées à l’initiative des communes deviennent par conséquent inutiles et sont supprimées dans un souci de simplification.
AMENDEMENT SPPEF N° 3
introduisant un objectif de maintien des qualités du bâti ancien
ARTICLE 5
A la fin du 2e alinéa de l’article 5 du projet, les mots : « et se rapprochant le plus possible des exigences applicables aux bâtiments neufs » sont remplacés par « en tenant compte des spécificités énergétiques et architecturales du bâti existant. »
EXPOSÉ DES MOTIFS
Assimiler bâtiments anciens et bâtiments neufs du point de vue énergétique ne semble pas justifié. Il convient, en effet, de prendre en compte les caractères spécifiques des édifices anciens et des matériaux traditionnels mis en œuvre, dont les qualités thermiques sont unanimement reconnues. Les constructions antérieures à 1948 sont ainsi, dans la plupart des cas, « respirantes ». Cet échange avec l’extérieur, qui bénéficie à la qualité de l’air des habitations sans porter notablement atteinte à leurs performances énergétiques, mérite d’être préservé. En outre, les spécificités architecturales du bâti ancien - facteur d’attractivité pour notre pays - ne sauraient être sacrifiées à des considérations purement énergétiques. Ces objectifs complémentaires doivent figurer dans la loi.
AMENDEMENT SPPEF N° 4
maintenant le caractère facultatif de l’isolation par l’extérieur des bâtiments antérieurs à 1948
ARTICLE 5
Au 6e alinéa de l’article 5 du projet, après les mots « Les catégories de bâtiments existants » sont insérés les mots « postérieurs au 1er janvier 1948 »
Au 7e alinéa de l’article 5 du projet, après les mots « Les catégories de bâtiments existants » sont insérés les mots « postérieurs au 1er janvier 1948 »
EXPOSÉ DES MOTIFS
Les documents d’urbanisme conçus avant le présent projet de loi, en admettant que leurs effets soient maintenus, ne comportent pas nécessairement de dispositions adaptées au caractère obligatoire de l’isolation par l’extérieur, type de rénovation peu pratiqué au moment de leur élaboration. Ils ne pouvaient, par conséquent, en anticiper les conséquences pour le patrimoine.
Le garde fou de la « disproportion manifeste entre les avantages et les inconvénients de nature technique, économique ou architecturale » ne semble pas de nature, par la grande relativité de son appréciation, à offrir une garantie effective.
Il convient, par conséquent, de limiter le caractère obligatoire de l’isolation aux bâtiments édifiés après 1948, ce qui ne signifie nullement que ceux construits antérieurement ne puissent l’être, mais de la seule initiative de leurs propriétaires et en conformité avec les dispositions d’urbanisme.