C’est entre Soissons, première capitale de la France, Ville d’Art et d’Histoire, et la majestueuse Forêt de Retz, un des plus grands massifs forestiers à proximité immédiate de la métropole parisienne, que s’est joué le sort de la Grande Guerre, en juillet 1918.
Ici, les grandes étendues de cultures céréalières et betteravières du plateau Soissonnais s’étendent à perte de vue. L’œil n’est arrêté que par l’orée de la forêt, quelques fermes fortifiées (on est en terre d’invasion), les alignements d’arbres qui borde la RN2 et le clocher du village de Chaudun. Les villages du Soissonnais sont habituellement construits en fond de vallée ou en rebord de plateau, Chaudun est l’exception qui confirme la règle, un des seuls villages de la région situés en plein milieu du plateau.
Pour bien comprendre l’importance de ce site, il nous faut revenir 100 ans en arrière. Fin juin 1918, les Alliés sont dans une situation critique : les Allemands enfoncent la ligne de front du Chemin des Dames le 27 mai. Quatre jours plus tard, ils atteignent Château-Thierry et franchissent la Marne. Paris n’est plus qu’à 100 km. Après 4 années de guerre et plus d’un million de morts, la France se retrouve dans la même situation catastrophique qu’à l’automne 1914.
Cependant, dans les premiers jours de juin, les Alliés arrivent à stopper l’avance allemande au sud de Soissons, sur une ligne allant d’Ambleny à Longpont, non loin de Chaudun, au prix de pertes très lourdes. Malgré cela, les Allemands pensent que les Alliés sont neutralisés. L’empereur d’Allemagne Guillaume II estime que la victoire est à portée de main.
C’était sans compter la contre-offensive préparée dans le plus grand secret par le général Foch, commandant en chef des forces alliées. La tour d’observation en bois construite par le général Mangin dans la forêt de Retz, permettant d’observer les lignes allemandes sans être vu, est un des éléments qui facilitèrent la préparation de cette contre-offensive.
Le 18 juillet 1918, à 4h35 du matin, la 10ème armée du général Mangin, avec l’aide de troupes américaines et britanniques, sort de la forêt au niveau de la commune de Chaudun, avec près de 400 chars, appuyée par des centaines d’avion. L’attaque surprend totalement les allemands qui à partir de ce moment ne feront que reculer. C’est donc ici à Chaudun que débuta cette seconde bataille de la Marne qui mènera les Alliés à la victoire et à l’armistice quelques mois plus tard.
Après la guerre, un monument à la mémoire de la victoire est érigé en bordure de la nationale 2. Ce monument est une version géante des bornes sculptées Moreau-Vauthier qui jalonnent le front et en marquent la ligne de juillet 1918, lors d’une des dernières offensives alliées. Surmonté d’un casque Adrian posé sur couronne de lauriers, le monument comprend, sur ses faces, un texte « A la gloire des soldats français et alliés qui ont combattu victorieusement sur ce plateau du 29 mai au 25 juillet 1918 ». Encore aujourd’hui, de nombreux américains viennent visiter ce monument, en mémoire de leurs 40 000 compatriotes qui combattirent ici le 18 juillet 1918.
Cependant, depuis les années 1970, le doublement de la RN2 et les remembrements agricoles avaient rendu le monument difficilement accessible. Une restauration était de plus devenue nécessaire. C’est dans le cadre d’un projet labellisé par la mission Centenaire, que le monument a été déplacé de quelques centaines de mètres, et rénové, afin de le rendre accessible au plus grand nombre.
Pour accompagner le visiteur, des panneaux d’information ont été implantés près du monument. Ce dernier a comme il se doit été inauguré dans son nouvel emplacement le 18 juillet 2018 en présence de nombreux élus et des généreux donateurs qui ont permis de mener à bien ce projet.
L’observatoire du Général Mangin a de son côté été l’objet d’un deuxième projet inauguré également ce 18 juillet 2018. La tour d’origine, faite entièrement en bois, n’avait pas résisté à l’épreuve du temps. Seule une stèle marquait son emplacement dans la forêt de Retz.
Dans le cadre du Centenaire, la Communauté de communes de Retz-en-Valois a pris la décision de reconstruire cet observatoire, afin de permettre aux visiteurs de visualiser la ligne de Front telle que le Général Mangin a pu la contempler lors de la contre-offensive du 18 juillet 1918 qui a conduit à l’Armistice du 11 novembre. La scénographie mise en place dans les 8 étages que compte la tour reconstruite fait bien sûr la part belle à l’histoire et aux événements de 1918, mais aussi à l’environnement naturel forestier (canopée, observation du sol etc.).
Du haut de l’observatoire, le visiteur peut observer les alentours sur 360 degrés, la canopée mais aussi au-delà les champs cultivés et les villages, où se sont déroulés les événements de 1918.
Ces deux projets menés dans le cadre du centenaire ont entre autre but de développer le tourisme de mémoire dans la région, avec pour objectif d’être inscrit dans des circuits plus vaste incluant d’autres lieux emblématiques de la Grande Guerre situés non loin. On peut citer par exemple le monument des Fantômes de Landowski sur la Butte-Chalmont à Oulchy-le-Château, à seulement 20 km de là.
C’est dans ce contexte que 2 ans seulement avant les célébrations du Centenaire, le promoteur éolien WPD a demandé l’autorisation de construire et d’exploiter un parc éolien de 5 machines de 150 m de haut en bout de pâle, en plein milieu du champ de bataille de Chaudun, de part et d’autre de la Nationale 2.
La carte ci-dessous montre la position des éoliennes projetées par rapport au monument de la victoire de Chaudun dans son nouvel emplacement (en rouge) et par rapport à la Tour Mangin reconstruite.
Il est indéniable que ces 5 machines industrielles, avec leurs gigantesques pâles en mouvement, attireront le regard du visiteur, qu’il contemple le champ de bataille de 1918 depuis le monument de la victoire ou du haut de l’observatoire Mangin. Ces éoliennes ne pourront que réduire à néant les efforts consentis pour mettre en valeur ces sites de mémoires, attirer les touristes et laisser aux générations futures des espaces propices au recueillement et à la réflexion.
Une enquête publique concernant ce projet éolien s’est tenu à Chaudun en décembre 2016. Grâce à la mobilisation du public, des élus des communes et communautés de communes voisines, de l’association Soissonnais 14-18 et de la Société Historique de Soissons, le commissaire enquêteur a donné un avis défavorable.
Monsieur le Préfet de l’Aisne a également été sensible à la préservation de cet espace de mémoire, en refusant l’autorisation d’exploiter pour ce parc éolien, en janvier 2018. L’arrêté préfectoral stipule entre autre :
Nous pensions que pour un temps, le plateau de Chaudun, paysage mémoriel propice au recueillement, serait épargné par les éoliennes industrielles. C’était sans compter sur l’acharnement du promoteur éolien WPD. En effet nous venons d’apprendre qu’un recours contre la décision du Préfet a été déposé au Tribunal Administratif d’Amiens le 8 mai 2018.
Notre association A3PES (Association pour la Promotion et la Préservation des Paysages et de l’Environnement du Soissonnais) a décidé d’intervenir en défense sur ce recours, avec le soutien de plusieurs acteurs du territoire.
Pour élargir un peu le propos, il faut préciser que le site de Chaudun n’est hélas pas le seul lieu de mémoire du sud de l’Aisne menacé par l’implantation d’éoliennes industrielles : la Butte-Chalmont et ses Fantômes est elle-même menacée par plusieurs projets éoliens dont le plus proche (situé à Grand-Rozoy) ne serait qu’à 3 km du site ; les carrières de Confrécourt près de Vic-sur-Aisne, où les soldats français trouvèrent refuge à l’arrière du Front seront bientôt environnées de plusieurs parcs éoliens, sur les communes de Tartiers et de Selens entre autres… Même le Chemin des Dames, un peu plus au nord, ne sera bientôt plus épargné.
Pour les générations futures, pour ne pas oublier après ces années de commémoration du Centenaire, il est de notre devoir de préserver l’intégrité et la sérénité de ces lieux de mémoires et ne pas les livrer à la voracité des promoteurs éoliens.
Régine Le Courtois-Nivart, présidente de l’A3PES (Association pour la Promotion et la Préservation des Paysages et de l’Environnement du Soissonnais), association adhérente de Sites & Monuments
Avec la participation de Denis Rolland, président de la Société Historique de Soissons, et Jean-Luc Pamart, président de l’Association Soissonnais 14-18.