Porté par la mairie de Paris et devant être présenté à la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture le 11 mai prochain, le projet de réaménagement du square Jean-XXIII – autrefois dénommé jardin de l’Archevêché – et du square de l’Île-de-France, tous deux situés sur la pointe orientale de l’île de la Cité, suscite depuis plusieurs semaines une émotion considérable et une très forte mobilisation. Enclenchée sur le réseau social Twitter, cette dernière a essentiellement pris la forme d’une pétition en ligne lancée par Baptiste Gianeselli (actif défenseur du patrimoine parisien, connu sous le pseudonyme @Baptiste75004) et ayant récolté à ce jour plus de 37.000 signatures, accompagnée d’une opération de sensibilisation sur le terrain.
Aménagé sur les instructions du préfet Rambuteau entre 1837 et 1844, orné l’année suivante d’une fontaine de la Vierge de style néogothique due à l’architecte Alphonse Vigoureux, le square Jean-XXIII constitue l’un des lieux les plus pittoresques de la capitale. Ses grilles, ses pelouses protégées par des clôtures en fonte et ses massifs de fleurs, magnifiés par le chevet de la cathédrale Notre-Dame, n’ont cessé de susciter l’admiration des Parisiens et des touristes, servant même de cadre à l’une des scènes du film Minuit à Paris de Woody Allen en 2011. Le terrible incendie du 15 avril 2019 a entraîné la fermeture du square, puis la disparition d’une grande partie de la couverture végétale, les baraques du chantier de restauration s’y étant installés.
Soucieuse de recueillir l’avis des Parisiens sur l’avenir du square après la fin du chantier, la mairie de Paris a lancé une consultation en novembre 2021. En dépit d’un verdict sans appel – 81 % des personnes consultées se prononçant pour une restitution du jardin à l’identique –, la Ville a lancé un concours pour le « réaménagement des espaces publics des abords de la cathédrale Notre-Dame », finalement remporté par l’architecte-paysagiste Bas Smets en juin 2022. Si l’on peut comprendre la nécessité d’améliorer l’accueil des touristes du côté du parvis, les dispositions relatives au square Jean-XXIII, qui doivent s’appliquer à la fois à l’est de la cathédrale et le long de son flanc sud, sont infiniment plus contestables, comme en atteste en particulier la demande d’examen du projet soumise au ministère de la Transition écologique.
L’aspect majeur du projet de Bas Smets dans sa partie orientale réside dans sa volonté d’une « unification des espaces publics du parvis de la cathédrale jusqu’à la pointe de l’île ». Cette disposition implique la suppression de la rue reliant le pont de l’Archevêché au pont Saint-Louis, afin de fusionner le square Jean-XXIII et le square de l’Île-de-France. Si le principe même de cette unification peut sembler recevable, celle-ci entraînera la destruction des grilles des deux squares, en particulier celles du square Jean-XXIII datant de 1844. Rappelons par ailleurs que le square de l’Île-de-France abrite la Mémorial des martyrs de la déportation, lieu de recueillement incompatible avec la surfréquentation susceptible d’être générée par la fusion des deux espaces, destinés à rester totalement ouverts jour et nuit.
Plus inquiétante est la volonté de « diversifier les usages dans le temps et dans l’espace », ambition que l’on retrouve au cœur de toutes les opérations initiées par la municipalité depuis plusieurs années et ayant conduit à une dégradation spectaculaire de la capitale, dans une logique de déconstruction du Paris « bourgeois ». Cette prétendue diversification porte en elle des conséquences dramatiques, à la fois sur la couverture végétale et le mobilier historique des deux squares.
Le projet prévoit en effet que « les espaces verts seront agrandis, décloisonnés et adaptés à une fréquentation intense ». Cette disposition implique l’aménagement de pelouses non protégées, accessibles à un public nombreux et dépourvues des ifs et des massifs floraux qui faisaient toute la beauté du lieu. Il ne fait guère de doute qu’elles seront prématurément râpées – à l’image des pelouses du Champ-de-Mars – et offriront rapidement le triste spectacle d’un espace banalisé.
Plus inquiétante encore est la menace qui pèse sur le mobilier historique. Le projet prévoit en effet la « dépose de mobilier urbain (bancs, corbeilles de rues, potelets, etc.) […] et l’implantation de nouveau mobilier ». Il faut donc s’attendre à la disparition de plusieurs bancs Davioud installés dans le square sous le Second Empire, voire à celle de réverbères datant de la même époque – et ce en dépit des déclarations d’Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris, affirmant que le mobilier sera « restauré et reposé à l’identique ». Rappelons que plusieurs bancs ont été détruits en 2021 à coups de masse par des employés municipaux, comme en attestent des photos postées à l’époque sur les réseaux sociaux…
Quant au nouveau mobilier dont l’implantation est prévue, il est aisé de s’en faire une idée en consultant la vidéo réalisée par la société Autodesk et disponible sur le site de la Ville de Paris, proposant une vision tridimensionnelle du projet de Bas Smets. Les nouveaux bancs envisagés dans la partie du square longeant le flanc sud de la cathédrale ressemblent à s’y méprendre aux assises en béton qui défigurent le jardin Nelson-Mandela, dans le quartier des Halles – bien davantage qu’à des assises en granit, comme a pu l’évoquer Emmanuel Grégoire. Il est également prévu de construire un édicule de facture contemporaine à proximité du chevet de la cathédrale, dont la destination demeure à ce jour inconnue mais qui pourrait abriter une buvette ou un local destiné aux jardiniers municipaux.
Si le pire n’est jamais sûr, la plus extrême méfiance s’impose à l’égard d’un projet porté par une municipalité qui s’abrite régulièrement derrière des déclarations lénifiantes et des projections infographiques séduisantes. La réalité est bien souvent toute autre, comme le démontre notamment la récente rénovation des Champs-Élysées. Il est urgent que la « diversification des usages » laisse enfin place au bon sens, à la beauté et à l’harmonie que réclament unanimement les Parisiens.
Antoine Boulant, secrétaire de rédaction de Sites & Monuments
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