La Butte Rouge est une cité-jardin emblématique qui a traversé le XXe siècle, modèle urbain reconnu internationalement, modèle architectural et paysager, elle est la marque - au gré de 6 tranches de construction entre 1931 et 1960 (ill. 2) - d’un projet social humaniste d’une ville à la campagne, dont le rôle était de résorber une partie de la pénurie des logements populaires en région parisienne. Aujourd’hui, de nombreux citoyens aimeraient vivre de la sorte, dans un écrin de verdure.
Pourtant, depuis 10 ans, le maire de cette commune ne veut plus de la Butte Rouge. Ainsi, du 10 décembre 2020 au 11 janvier 2021 (période peu propice aux mobilisations), une modification du Plan local d’urbanisme (PLU) est soumise à enquête publique (participer ici).
Après examen précis de ce dossier, c’est une catastrophe qui s’annonce (voir ill. 1, 14, 16 et 18). Cette modification du PLU va créer un quartier dense de promotion immobilière classique à la place d’un habitat social original et exemplaire. En d’autres termes, ce sera l’abandon de la cité-jardin aux promoteurs.
Au vu des documents soumis à l’enquête publique (voir ici), il ne restera plus que 15 % de la Butte Rouge, soit les bâtiments désignés en rouge sur le plan, conservés pour leur seule façade. Pour le reste, une démolition (bâtiments en vert ou en gris foncé), un épaississement, une surélévation, des réunions et repercements d’édifices (bâtiments en gris clair) seront autorisés (ill. 3).
Du point de vue environnemental, la création de voirie et de stationnements - notamment par suppression des jardinets sur rue voulus dès l’origine (ill. 7) - entraînera la destruction du remarquable patrimoine arboré et paysager de la cité-jardin.
Des objectifs de densification assumés
Les nouvelles Orientations d’aménagement et de programmation (OAP) du PLU (ill. 4), "exprimant de manière qualitative les ambitions et la stratégie d’une collectivité territoriale en termes d’aménagement" (voir ici), sont révélatrices en ce qu’elles mettent en avant un objectif de densification très substantiel, prétendument "désirable" : « La cité-jardin proposera une densité désirable, avec un objectif de 4300 logements contre 3300 actuellement. » (2.1 OAP Cité-jardin - orientations écrite, p. 6).
Les Prescriptions écrite du PLU évoquent ainsi le "contexte du logement en Ile-de-France" : « Les démolitions reconstructions réparties sur l’ensemble du plan d’urbanisme permettent également d’absorber une densification acceptable (et rendue nécessaire par le contexte du logement en Ile-de-France) sans construire dans les vides et sans perturber l’harmonie générale des volumétries de la Cité-jardin. » (3.3 Prescriptions écrites - Titre 4 - patrimoine, p. 5).
Cette densification, ajoutant un tiers de logements à la cité-jardin, y renforcera la place de l’automobile et des stationnements, d’abord en raison des nouveaux logements créés, mais aussi d’un "retard" identifié dans les stationnements actuels. Ainsi, « Les études préalables annoncent un besoin de 0,76 place de stationnement/logement pour le quartier de la Cité-jardin, contre une offre actuelle de 0,36. Le programme de rénovation urbaine devra au minimum répondre à ce besoin identifié tout en restant conforme au plan de déplacement urbain d’Ile-de-France. » (2.1 OAP Cité-jardin - orientations écrite, p. 5).
Ceci est tout à fait paradoxal puisque ce paragraphe des nouvelles OAP est immédiatement précédé par un autre, célébrant les possibilités de « désautomobilisation » issues de la venue du tramway : « Avec l’arrivée de la ligne T10 du tramway et l’implantation de quatre stations le long de la Cité-jardin [voir ill. 4], c’est toute l’organisation des mobilités qui peut être révisée selon des principes de désautomobilisation raisonnée, tenant compte de la réalité actuelle et des données prospectives sur le devenir de la voiture individuelle en Ile de France. » (2.1 OAP Cité-jardin - orientations écrite, p. 5).
Cette volonté d’augmentation des places de stationnement est à mettre en relation avec certains zonages assez mystérieux des plans du dossier de modification. On remarque ainsi, dans le plan des OAP (ill. 4, 6, 17), une « emprise espace circulable » (zone jaune), comprenant l’actuelle voierie, les trottoirs, mais aussi les jardinets sur rue, zone s’opposant à une « emprise sans voiture en surface » représentée en vert. Le Plan de zonage détaillé (ill. 1, 5, 11, 14, 15, 17) représente, pour sa part, une « emprise privée avec interdiction de clore à traiter en lien avec la voirie » (zone jaune hachurée en gris), correspondant aux actuels trottoirs et aux jardinets sur rue. En clair, les plates-bandes animant les rues (ill. 1, 6, 14, 16, 18) et contribuant à la perméabilité des sols seront converties en stationnement privés. Celles-ci ont pourtant été voulues dès l’origine par les concepteurs de la cité-jardin (ill. 8).
C’est ce que confirme la définition donnée par le dossier des « espaces circulables » : « Emprise d’espace circulable - L’emprise d’espace circulable correspond à la totalité des surfaces publiques de voiries, trottoirs et stationnement. Cette emprise est destinée à la distribution viaire de la Cité Jardin sans pour autant que le profilé conventionnel des voies (trottoir, stationnement, voie, trottoir) soit maintenu. L’espace circulable est un espace de circulation multimodale ouvert à la circulation motorisée. » (3.1 Prescriptions écrites - Titre 1 - définitions, p. 6).
Une présentation totalement fallacieuse
Les documents exposant la modification du PLU affirment que, « Dans ce secteur Vallée-Belvédère [immeubles des première (1931-1932) et deuxième (1935-1939) tranches de construction, voir ill. 2], le plus ancien et aux qualités patrimoniales plus nombreuses, la protection vise à préserver environ 73% des immeubles d’origine, selon le repérage indiqué au plan de patrimoine bâti. » (3.3 Prescriptions écrites - Titre 4 - patrimoine, p. 4).
Ce chiffre est totalement fallacieux. D’une part, les immeubles repérés en rouge et sensés profiter d’une "protection stricte" (ill. 3) sont très peu nombreux (17 sur l’ensemble de la cité-jardin), et ne seront protégés que pour leur enveloppe, alors que ceux-ci comportent des éléments architecturaux intérieurs intéressants : « Seules les opérations de réhabilitation, intégrant éventuellement une reconfiguration intérieure, sont autorisées. Dans la mesure du possible, les travaux doivent restituer l’état d’origine du bâtiment. La surélévation ou l’agrandissement et les modifications de façade (élargissement ou percement de baies, création de balcons, terrasses) sont interdits. » (3.3 Prescriptions écrites - Titre 4 - patrimoine, p. 7).
D’autre part et surtout, les immeubles repérés en gris clair, sensés profiter d’une « protection forte » (!) (ill. 3) peuvent, « Outre les travaux de réhabilitation ou de reconfiguration intérieure, [...] être élargis et/ou surélevés, dans le cadre du gabarit autorisé par le plan de l’Orientation d’Aménagement et de Programmation. Les façades pourront être modifiées de manière raisonnée et limitée, en vue de l’élargissement ou du percement de baies ou pour la création d’aménités visant à améliorer les conditions d’habitat des immeubles (balcons, terrasses en rez-de-chaussée) » (3.3 Prescriptions écrites - Titre 4 - patrimoine, p. 7).
Cette question du repercement des façades est précisée plus loin : « L’agrandissement de baies existantes ou l’ouverture de baies complémentaires sont admis, dans le respect des principes de composition des façades originelles, de proportions des ouvertures et de traitement de la modénature. Balcons : La construction de nouveaux balcons est admise dans le respect des principes de composition des façades originelles et de traitement de la modénature » (3.2 Prescriptions écrites - Titre 2 - règlement UC, p. 14).
Les bâtiments de la cité, conçus comme des pavillons harmonieusement répartis dans leur environnement naturel, deviendront en outre pour beaucoup jointifs (zones bleues du Plan de zonage), créant un "effet de barre" (ill. 15 et 16), malgré le ménagement de « porches » « avec visuel sur cœur d’îlot ». La légende du Plan de zonage détaillé définit pudiquement ces extensions comme une « Libre implantation d’extension de bâti pour assurer des liaisons de volumes [...]. La hauteur autorisée est la hauteur la plus haute renseignée sur les constructions contiguës [...] » (ill. 12).
On le comprend, épaissis, surélevés, devenus jointifs et repercés, les immeubles d’origine de la cité seront méconnaissables (ill. 1 et 14). Les plans (ill. 4 et 11) et coupes (ill. 19) fournies par le projet de modification du PLU en attestent. Un essai de traduction volumétrique a été tenté pour la rue Edouard Vaillant (ill. 15).
Quant aux immeubles neufs (en vert), ils seront « implantés à l’emplacement des immeubles remplacés, devront s’intégrer au paysage bâti dans le respect des caractéristiques essentielles, en employant une écriture architecturale mimétique. » (3.2 Prescriptions écrites - Titre 2 - règlement UC, p. 4). Outre le caractère subjectif de ces recommandations, qui ne signifient pas grand chose, les nouveaux bâtiments, par leur emprise et leur hauteur, seront très différents des constructions patrimoniales disparues (ill. 9, 10 et 1, 14), tandis que de nombreux détails architecturaux, comme les entrées Art Déco des immeubles, toutes différentes (ill. 20), ne pourront être reproduites...
Bref, il est totalement fallacieux - si les mots ont un sens - de prétendre que, « Dans le secteur de projet Vallée-Belvédère [ill. 13, correspondant aux 1ère (1931-1932) et 2e tranches (1935-1939)], les rénovations patrimoniales fortes et strictes représentent environ 73% des bâtiments existants. » (0. Note de présentation_M4, p. 38).
La Note de présentation du projet de modification précise par ailleurs - ce que les cartes font mal comprendre - que, « Dans le secteur de projet Plateau-Parc [ill. 13, correspondant aux 3e (1948-1950) et 4e tranches (1950-1952)], avec l’exposé de la prédominance d’un ensemble urbain remarquable indépendamment de la considération individuelle du bâtiment [...], environ 20 % des bâtiments sont préservés au titre des protections forte et stricte, les autres bâtiments étant protégés au titre de leur organisation d’ensemble, pourront être démolis et reconstruits sur emprises ou rénovés en fonction d’un projet d’ensemble cohérent à l’îlot. »
« Dans le secteur du Coteau [ill. 13, correspondant aux 5e (1955) et 6e tranches (1958-1960)], seuls deux bâtiments émergeants sont signalés au titre de la protection forte : La Tour Lamartine qui signale le quartier [...] et le bâtiment sur pilotis qui vient fermer l’axe piétonnier Lucien Herr et Place Léon Blum. Partout ailleurs, le secteur de projet du Coteau sera réorganiser, soit en rénovations ponctuelles, soit en démolitions et reconstructions, soit en respectant les emprises existantes soit modifiant le plan masse [...] » (0. Note de présentation_M4, p. 38).
Dans ces secteurs de la cité-jardin, les démolitions seront clairement massives. Près des deux tiers de la cité-jardin, ceux correspondant aux quatre tranches réalisées entre 1948 et 1960, sont dépourvus de protection tangible.
Une atteinte revendiquée à l’esprit de la cité-jardin
L’individualisme et l’appropriation privative de la cité-jardin - y compris par l’automobile et les stationnements associés - sont revendiqués par les auteurs de la modification du PLU. Ces nouveaux principes sont opposés aux "pratiques collectives" et à la "cohésion sociale", voulues par les concepteurs de la cité, présentées comme dépassées :
« Depuis le logement, quelle que soit sa situation en étage, le lien direct avec l’extérieur existe peu. Il existe peu de rapport direct (balcons, loggias, terrasses, jardins…) entre la nature environnante et le logement ; la nature de la Cité-jardin ne se pratique qu’au travers des en-communs paysagers ; elle ne se pratique pas de manière intime, en lien avec un chez soi, elle se pratique collectivement dans les promenades et les jardins familiaux – exception faite du quartier des maisons individuelles. Le logement social des premières cités jardins avait cet objectif de loger décemment (réponses fonctionnelles et sanitaires) tout en incitant aux pratiques collectives favorables à la cohésion sociale (espaces partagés, équipements de proximité, lieux de rencontre). Les logements de la Cité-jardin sont conçus avec cette idée forte que l’on trouve à l’extérieur du logement les espaces du loisir, du farniente et de la rencontre. D’où le soin apporté à la conception des modénatures paysagères : galeries, porches, auvents et passages, complétés des mobiliers urbains, murets, claustras, pergolas. Ces pratiques urbaines ne sont plus en phase avec les modes de vie actuels. La Cité-jardin du XXIème s. doit réinventer les liens du logement avec la nature environnante en cohérence avec les nouveaux modes d’habiter et les attentes fortes des habitants en matière d’espaces privatifs. » (Prescriptions écrites - Titre 4 - patrimoine).
La modification du PLU travaille par conséquent à une banalisation de la cité-jardin et des pratiques sociales qu’elle induit. Cet espace peu dense est en réalité perçu par la municipalité de Chatenay-Malabry comme une simple opportunité foncière de densification. La commune ne manque pourtant pas de parcs immobiliers sans imagination (ill. 21).
Un ministère de la Culture "accompagnateur" et se payant de mots
L’absence de volonté des autorités patrimoniales a probablement encouragé le maire à modifier son PLU, comme en témoignent deux lettres, l’une du ministère de la Culture du 20 octobre 2020, l’autre de la préfecture des Hauts-de-Seine du 5 novembre 2020.
La lettre de la Direction générale du patrimoine précise que « l’intérêt patrimonial de cet ensemble architectural et urbain a conduit la direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France (DRAC) à proposer à la ville un accompagnement pour définir au mieux les modalités d’intervention sur ce quartier emblématique et approfondir la connaissance du projet. » L’« engagement d’une étude de délimitation d’un Site patrimonial remarquable » est envisagée, « les services de la DRAC sont pleinement mobilisés pour accompagner la collectivité dans la réalisation et le suivi de cette étude ». La lettre se termine sur un paragraphe explicitant la doctrine du ministère : « De telles procédures ne peuvent cependant aboutir et donner de bons résultats que si le projet est partagé par les différents partenaires et notamment la collectivité concernée ». Bref, l’Etat se privait à l’avance des instruments de contrainte mis à sa disposition par le code du Patrimoine.
La direction générale de patrimoines propose ainsi la création d’un « Plan de valorisation du patrimoine et de l’architecture [sic (les deux derniers termes étant intervertis)] (PVAP) », qui ne peut être créé contre la volonté municipale, contrairement au Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) (voir ici), autre document susceptible de régir un Site patrimonial remarquable (SPR).
Ainsi, le PLU, comme le PVAP, ont pour caractéristique commune d’être conçus à l’initiative du maire (les dispositions éventuellement plus protectrices du PVAP s’imposant au PLU). Autre aspect, la simple délimitation d’un Site patrimonial remarquable (SPR), avant même l’élaboration de son règlement (PVAP ou PSMV), a pour effet de soumettre à l’autorisation de l’ABF tous les travaux des bâtiments concernés (en l’attente du règlement de la zone) (voir ici). Comme la délimitation du Site patrimonial remarquable (SPR) peut être conduite d’office par l’Etat (voir ici), celui-ci avait tous les moyens d’agir rapidement dans ce dossier.
Quinze jours après le courrier du ministère de la Culture, une lettre du préfet des Hauts-de-Seine, émanant de la "Direction de coordination des politiques publiques et de l’appui territorial", montre que l’Etat a même suggéré à la commune de Chatenay-Malabry la modification de son PLU : « un travail collaboratif entre les services de la ville et de l’Etat a permis l’élaboration d’un cahier de prescriptions urbaines architecturales et paysagères. [...] Un travail fin sur le plan d’intervention a également été mené et a conduit à l’adoption d’un programme réduisant le nombre des démolitions à un niveau admissible [...] Afin de rendre opposables le plan d’intervention et le cahier de prescriptions [...] l’Etat a convenu avec la Ville de Chatenay-Malabry que cette dernière modifie dès cette année son plan local d’urbanisme. Le dossier de modification est en cours de finalisation et pourra être approuvé début 2021. Le maire s’est également engagé à prendre d’ici la fin de l’année une délibération d’intention pour le lancement de l’élaboration d’un site particulièrement [sic (pour "patrimonial")] remarquable (SPR) ». Modifier un PLU avant de créer un Site patrimonial remarquable, qui est en principe plus précis et plus contraignant, est bien étrange... Cette inversion est en réalité révélatrice du poids pris par les collectivités face à l’Etat au sein du Grand Paris.
Il s’agissait finalement pour "Vallée Sud Grand Paris" de mener à bien son projet de densification et, pour le ministère de la Culture, de se payer de mots en brandissant une « protection forte » et la « conservation », très fallacieuse on l’a vu, « d’environ 73% des immeubles d’origine », dans un tiers seulement de la cité-jardin. Le Site patrimonial remarquable - instrument contraignant d’une politique nationale du patrimoine - est ici transformé en un simple label destiné à reprendre les disposition, bien peu patrimoniales, du PLU modifié (voir avis ci-dessous du préfet des Hauts-de-Seine)... La délimitation d’office d’un SPR puis l’adoption, également d’office, d’un PSMV étaient - et restent - pourtant ouvertes à l’Etat, qui préfère manifestement "accompagner" les promoteurs déjà si actifs à Chatenay-Malabry et dans le Grand Paris (ill. 21).
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Barbara Gutglas, association Châtenay Patrimoine Environnement (ACPE)
Lettre du directeur général des Patrimoines du 22 octobre 2020
Lettre du préfet des Hauts-de-Seine du 5 novembre 2020
Avis du préfet des Hauts-de-Seine du 28 décembre 2020