La Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), déterminant les choix énergétiques de la Nation, et notamment la part allouée à l’énergie éolienne, a fait l’objet d’une première mouture dévoilée le 25 janvier 2019 (voir ici).
Celle-ci était particulièrement intéressante et concrète. Sa synthèse indiquait que « Le développement de l’éolien se fera en partie par des rénovations de parcs existants arrivant en fin de vie, ce qui permet d’augmenter l’énergie produite tout en conservant un nombre de mats identique ou inférieur. Au total, le passage de 15 GW en 2018 à 34,1 GW en 2028 conduira à faire passer le parc éolien de 8000 mâts fin 2018 à environ 14 500 en 2028, soit une augmentation de 6500 mâts ».
Cette annonce, faite en janvier 2019, a évidemment été mal accueillie par les associations concernées, constatant déjà les dégâts occasionnés par les 8000 éoliennes existantes, celles en projet faisant l’objet de contentieux, de protestations diverses, voire de manifestations.
Un nouveau discours politique contredit par le décret sur la PPE
D’où un infléchissement du discours à l’occasion d’une nouvelle mouture de la PPE présentée en janvier 2020. L’exécutif explique désormais qu’il privilégie l’éolien en mer, tout en prenant soin, sur terre, d’éviter les erreurs d’implantation du passé.
Les motifs de la décision conduisant au décret du 21 avril 2020 relatif à la PPE (voir ici) expliquent ainsi que « certains ajustements avaient été effectués entre le projet de PPE publié en janvier 2019 et celui mis en consultation : les objectifs de l’éolien en mer avaient été relevés concomitamment à une légère réduction des objectifs pour l’éolien terrestre ». Par ailleurs, ils indiquent que « les enjeux et difficultés posées par [le] développement [de l’éolien terrestre] sur le terrain ont bien été identifiés. Le gouvernement a ainsi mis en place ou prévu des mesures visant à mieux répartir l’éolien terrestre sur le territoire national » (voir ci-dessous). D’où aussi les déclarations du Président de la République du 14 janvier 2020 et de sa ministre de la Transition écologique du 18 février 2020 (voir ici) reconnaissant, pour la première fois, le défaut d’acceptabilité des éoliennes.
Pourtant, la comparaison des chiffres des deux moutures de la PPE montre que la diminution des objectifs en matière d’éolien terrestre n’est qu’un leurre. Ainsi, entre janvier 2019 et janvier 2020, la puissance installée prévue en 2028 pour l’éolien terrestre passe d’une fourchette de 34,1/35,6 GW à une fourchette de 33,2/34,7 GW, soit une diminution de 1,5 GW (voir tableau ci-dessus). Pourtant, malgré cette baisse des objectifs, le nombre estimé des nouveaux mâts a été maintenu à 6500 (voir comparatif ci-dessous), signe de sa sous-évaluation en janvier 2019.
Le Gouvernement ne retient en outre que son hypothèse basse, oubliant celle haute, correspondant à 35,6 GW implantés, qui nécessiterait 300 autres éoliennes, soit un total de 6800 nouvelles machines en 2028 (voir ci-dessus). Ces chiffres, probablement très optimistes, sont au demeurant donnés à titre indicatif, seule la multiplication par 2,25 de la puissance actuellement installée (passant de 15 GW à une fourchette comprise entre 33,2 et 34,7 GW) faisant foi. Et il n’est pas précisé que la rénovation des parcs les plus anciens (repowering) conduit presque systématiquement à doubler leur hauteur (voir ici). De même, engager « des projets de stockage sous forme de stations de transfert d’électricité par pompage, en vue d’un développement de 1,5 GW de capacités entre 2030 et 2035 » (voir ici) porterait à nouveau atteinte aux paysages afin de compenser l’intermittence du fonctionnement de machines les défigurant. Une double peine, en quelque sorte, même si la capacité des réservoirs prévus est, pour l’heure, très limitée.
Quant à la fourchette haute globale de la puissance éolienne installable, elle augmente même, si l’on cumule l’éolien terrestre et maritime, passant ainsi de 40,8 GW en janvier 2019 à 40,9 GW un an plus tard (voir tableau ci-dessus) ! Notre Président de la République a ainsi pu, dans le même temps, expliquer aux ruraux et aux associations qu’il freinait le développement de l’éolien terrestre, tout en annonçant à la filière qu’il augmentait globalement les objectifs d’implantation.
Le droit de participation aux décisions environnementales bafoué
La Charte de l’environnement, intégrée en 2005 au préambule de la Constitution (voir ici), prévoit que « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, [...] de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. » C’est en application de ce texte que l’article L. 123-19-1 du code de l’Environnement (voir ici) prévoit les modalités de consultation du public mises en œuvre pour élaborer le décret PPE.
Obligés de composer avec cette obligation, les motifs du décret du 21 avril 2020 expliquent que « la consultation a enregistré de nombreuses expressions de particuliers et d’associations locales en défaveur de l’éolien terrestre en particulier. [Mais que] Ces observations ne sont cependant pas consensuelles, de nombreuses autres observations ayant été enregistrées en soutien au développement des ENR et de l’éolien notamment. »
Pourtant, la Synthèse du résultat de la consultation montre que plus de 70% des contributions étaient « défavorables aux EnRi, éolien notamment » (voir graphique ci-dessus).
Vient alors le discrédit porté sur les chiffres : « Il convient de noter que cette consultation a été marquée par la mobilisation forte de certaines associations conduisant à de très nombreux commentaires identiques. Ainsi, le nombre de commentaires par sujet indiqué dans cette synthèse doit être pris avec précaution. » C’est oublier que les associations agissent dans le contexte d’une opinion largement conditionnée, sans disposer des moyens financiers ou médiatiques de la filière éolienne.
Un nouveau mécanisme de dérégulation favorisant l’implantation des "petites" éoliennes et la destruction du patrimoine
Les décrets Lecornu du 29 novembre 2018 (voir ici) et de Rugy du 24 décembre 2018 (voir ici) - rejetées à 95 et 93 % au moment de leurs consulations (voir ici) - avaient commencé à déréguler l’implantation des éoliennes. Ainsi, le décret de Rugy expérimente dans 2 régions le remplacement de l’enquête publique avec commissaire-enquêteur par une "participation électronique" (voir ici).
Dans la continuité de ces mesures, le récent décret du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet (voir ici) - généralisant une expérimentation issue d’un décret du 29 décembre 2017 (voir ici) - permet désormais au préfet d’implanter un parc sans enquête publique ni étude d’impact !
Le décret prévoit ainsi que « Le préfet de région ou de département peut déroger à des normes arrêtées par l’administration de l’Etat pour prendre des décisions non réglementaires relevant de sa compétence dans les matières suivantes : 1° Subventions [...] des associations et des collectivités territoriales ; 2° Aménagement du territoire et politique de la ville ; 3° Environnement, agriculture et forêts ; 4° Construction, logement et urbanisme ; […] 6° Protection et mise en valeur du patrimoine culturel ; […] » à la condition d’« Avoir pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure » et de « Ne pas porter […] une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé. » (voir ici).
La protection du patrimoine bâti, perçue encore et toujours comme entravant l’activité, est également concernée par ces dérogations.
Le site Reporterre (voir ici), exhumant le rapport d’information des sénateurs Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud du 11 juin 2019 (Session 2018-2019, n°560), intitulé « Réduire le poids des normes : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes », révèle que l’expérimentation a bien touché l’implantation d’un parc éolien : « Le préfet de Vendée signale qu’une dérogation accordée pour un projet de parc éolien, qui a évité la réalisation d’une étude d’impact et d’une enquête publique, a sans doute permis au porteur du projet d’être en mesure de respecter les délais de l’appel d’offre de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui fixe le tarif de rachat de l’énergie produite, et d’assurer ainsi l’équilibre financier du projet. »
Le préfet de Vendée indique dans quel état d’esprit il a abordé ce pouvoir de déroger : « j’ai essayé de le considérer [ce projet d’expérimentation] comme un merveilleux cadeau de Noël en décembre 2017. Le but était d’en faire un outil de résolution de blocages rencontrés sur des dossiers à enjeux. Pour ce faire, les dimensions culturelle et managériale de l’utilisation de cet outil doivent être soulignées. Tout d’abord, d’un point de vue culturel, cet outil nécessite de demander à des fonctionnaires d’aller à l’encontre de leur nature, compte tenu de leur rapport à la loi. Ce décentrage n’est pas dans notre culture de la fonction publique. En outre, d’un point de vue managérial, le chef de l’État nous a exhortés à une nouvelle approche, en nous demandant, voilà deux ans, de nous comporter comme des entrepreneurs de l’État, ce qui induit de substituer à une logique de moyens une logique de projets et d’objectifs, l’atteinte des objectifs passant par le droit de dérogation pour surmonter des blocages jusqu’ici difficiles, voire impossibles, à dépasser. Cette novation n’a pas soulevé un immense enthousiasme au niveau local, mais bien des craintes. » (voir rapport ci-dessous, p. 26, 88, 89). Ainsi, l’éolien est conçu comme a priori positif alors que l’enquête publique doit précisément déterminer si ses inconvénients ne sont pas prépondérants.
Il s’agit d’une atteinte très grave à des règles fondamentales, mettant notamment en cause l’égalité des territoires devant la norme. Bien que planifiée de longue date, cette nouvelle dérégulation est aujourd’hui justifiée au nom du coronavirus : selon le communiqué du ministère de l’Intérieur, ces dérogations seraient « un outil utile pour faciliter la reprise de notre pays. » (voir ici).
Ainsi, alors que de nombreuses voix demandent la fin de la politique ruineuse et nuisible favorable aux énergies intermittentes, en particulier éolienne (voir ici), notre électricité étant déjà décarbonée à 95%, le gouvernement accélère ce mouvement délétère… Sites & Monuments se réserve évidemment la possibilité de contester les décrets des 8 et 21 avril 2020 devant le Conseil d’Etat.
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Synthèse de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie 2019-2028
Synthèse des avis du public dans le cadre de la consultation publique
Motifs de la décision suite aux observations de la consultation publique
Rapport d’information des sénateurs Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud du 11 juin 2019