Notre-Dame de l’Assomption à Saint-Dizier (Haute-Marne) « De l’ombre à la lumière »

La redécouverte des œuvres d’un maître-verrier parisien du XIXe siècle ouvre un nouveau champ de recherche pour le patrimoine de la Haute-Marne. Cette attribution est un atout pour le prochain classement au titre des monuments historiques d’une église du XIIIe siècle remaniée aux XVIIe et XVIIIe et XIXe siècle.

Façade de l’église Notre-Dame de l’Assomption

La découverte de l’auteur des verrières de l’église paroissiale de Saint-Dizier est le fruit d’une rencontre en décembre 2023, au sein même de l’église Notre-Dame de l’Assomption, entre la déléguée départementale de l’association et Katrin Kaufmann, docteur en Histoire de l’Art au sein du Vitrocentre de Romont (canton de Fribourg), fondation suisse de recherche sur le vitrail et de l’art du verre. Mme Kaufmann est venue de Suisse pour répertorier et photographier les vitraux dans le cadre de ses recherches pour une monographie, à paraître en 2025, de l’œuvre du maître-verrier Gaspard Gsell.

L’orgue Cavaillé-Coll de l’église Notre-Dame de l’Assomption [1], inauguré par Camille Saint-Saëns en 1862, a toujours été admiré, autant que la statuaire des XIVe, XVe et XVIe siècles, alors que les vitraux dont la nef et le chœur furent dotés en 1864 et 1895, peu considérés par les historiens de l’art du XXe siècle, étaient tombés dans l’oubli, ainsi que le nom du maître-verrier qui les créa. Quelques jours avant Noël, en entrant dans l’église Notre-Dame, Martine Roussel aperçoit une femme assise sur un banc, appareil photo à ses côtés, jumelles en bandoulière et bloc-notes en main. De leur riche discussion, s’ensuivit la découverte incroyable du nom du maître-verrier qui a réalisé dix-neuf des vingt vitraux. Katrin Kaufmann révèle ainsi que l’église Notre-Dame de l’Assomption représente, dans la région Grand-Est, la plus grande collection de verrières de Gaspard Gsell, ignorées de l’arrêté d’inscription au titre des Monuments Historiques de 1990 [2], alors que ce maître-verrier était à l’apogée de son art au moment de leur création en 1864.

La reconnaissance de l’importance artistique de l’ensemble de Saint-Dizier a été confortée par les recherches de Katrin Kaufmann qui, ne s’arrêtant pas uniquement sur notre église, la conduisirent au Musée Carnavalet à Paris, qui conserve un important fonds de somptueux dessins aquarellés de projets de verrières par Gaspard Gsell, dont la plupart furent réalisées.

Jean Gaspard Jules Gsell (1814, Saint-Gall, Suisse - 1904, Paris), élève de Jean-Auguste-Dominique Ingres et de Paul Delaroche, fut Grand Prix de Rome et membre de l’Académie des Beaux-Arts. Son œuvre s’inscrit dans le mouvement Nazaréen, développé au XIXe siècle en Allemagne par des peintres qui s’étaient donné pour mission de créer un renouveau de l’art du vitrail à partir des thèmes de la religion chrétienne et de ses valeurs morales et spirituelles.

Grâce à sa double nationalité suisse et française, Gaspard Gsell fut l’un des maîtres-verriers de sa génération les plus appréciés en Europe sous le Second Empire et la Troisième République, comme en témoignent de nombreuses commandes tant officielles que privées. Entre 1844 et 1892, Gaspard Gsell et son atelier, en collaboration avec de nombreux artistes de renom, ont mené de front des restaurations de vitraux ainsi que des créations, pour des églises et chapelles parisiennes (Saint-Bernard, Saint-Eustache, Sainte-Clothilde, la chapelle de l’Élysée), et dans cinquante-trois départements avec la cathédrale de Dijon, la basilique de Lourdes ; enfin, en Europe, pour des résidences royales (Espagne, Italie, Suède, Angleterre) et pour diverses commandes dans quinze pays étrangers.

La Haute-Marne, contrairement à ce que l’on dit ou pense ici ou là, ne serait pas vivante sans son histoire et son patrimoine. Elle compte en effet, comme tout département de l’hexagone, bien des trésors au sein de ses villes et villages qui forment une richesse incommensurable à préserver. De telles découvertes ne sont imprévues qu’en apparence, comme ici où l’attention portée à une visiteuse discrète, non annoncée, est le fruit d’années d’une même attention portée au paysage, à l’architecture et aux œuvres d’art par ceux qui, pour s’encourager les uns les autres, se regroupent et se retrouvent chez Sites & Monuments.

Pour le 160e anniversaire des verrières de l’église Notre-Dame de l’Assomption, Sites & Monuments est heureuse d’honorer ici ce grand artiste maître-verrier méconnu de tous depuis le début du XXe siècle et de célébrer sa « renaissance » puisqu’il est maintenant identifié et considéré à sa juste valeur. Cette renaissance conforte une procédure que l’association Sites & Monuments a déjà engagé il y a deux ans, visant le classement entier au titre des monuments historiques de l’église et de la Maison des Ursulines, bâti indissociable de l’église Notre-Dame avec laquelle il fait corps à part entière, et auquel un article du Journal de la Haute-Marne avait porté un grand intérêt (lire ICI).

Cette demande de classement découlait de la découverte en 2022 d’une exceptionnelle marque lapidaire gravée sur le mur sud de la Maison des Ursulines situé à l’arrière de l’église Notre-Dame. C’est un pilier de l’histoire de la famille de Dampierre et de l’histoire de Saint-Dizier. En effet, elle était la maison où fut établie une école en 1717 par la mère supérieure de l’abbaye Saint-Pantaléon (ou abbaye de Notre-Dame), celle-ci construite à l’écart de la ville en 1227 par Marguerite de Flandre, épouse de Guillaume de Dampierre, fils de Guy II de Dampierre. Extraordinairement, ce bâtiment a échappé aux deux incendies de l’église de 1750 et 1775. Cette épure, par son tracé géométrique dans la pierre, évoque fortement l’église détruite en 1544 lors du siège de la ville de Saint-Dizier par Charles Quint parce que sa tour-clocher servait de poste d’observation et de défense. La construction de cette église Notre-Dame avait été entreprise en 1202 par le seigneur de Dampierre Guy II, connétable de Champagne, seigneur de Saint-Dizier.

Les Ursulines à l’arrière de l’église Notre-Dame de l’Assomption
Marque lapidaire gravée sur le mur sud de la Maison des Ursulines

Cette trouvaille était le premier jalon vers un classement de l’ensemble des bâtiments restants liés à l’abbaye. Désormais, grâce à la découverte aussi inattendue que merveilleuse de l’ensemble mobilier que forment les verrières, Sites & Monuments a officieusement espoir que sur présentation du dossier rédigé par sa déléguée de Haute-Marne, accompagné d’un courrier du président Julien Lacaze, validé par divers partenaires (Collectivités et Drac Grand-Est), et déposé en mars 2024, l’église Notre-Dame de l’Assomption, inscrite à l’Inventaire supplémentaire des monument historiques depuis 1990, soit proposée au classement. Cette mesure profiterait aux éléments inscrits que sont, seuls témoignages de la construction primitive, la Tour du clocher qui a perdu sa flèche, la façade occidentale dont le portail central dépourvu de ses statues dédiées à Guy II de Dampierre et Mathilde Ire ou Marguerite de Bourbon, ainsi que la chapelle du Saint-Sépulcre qui abrite une très belle mise au tombeau du XVIe siècle mais dont le Christ gisant est vraisemblablement du XIVe voire antérieur.

Actuellement, eu égard à cet intérêt porté, tant par les collectivités territoriales que par les services de l’État, et à la remarquable qualité de l’épure gravée sur le mur de la Maison des Ursulines, et grâce à la redécouverte du travail verrier de Gaspard Gsell, ce patrimoine exceptionnel est promis à l’examen de la Commission Régionale de du Patrimoine et de l’Architecture.

Martine Roussel, déléguée Sites & Monuments de la Haute-Marne

Notes

[1Orgue classé Monument historique en 1974 et 1975

[2Les éléments inscrits par arrêté en 1990 sont les parties qui subsistent de l’édifice primitif, la tour-clocher et la façade occidentale. Le reste de l’église actuelle fut construit à partir de 1782 par l’architecte Gabriel Thirion. Des travaux d’ampleur furent également menés au XIXe siècle sur les voûtes, les collatéraux et la décoration intérieure.