Sites & Monuments a formulé des demandes dans le cadre de l’élaboration du plan de relance (voir ici).
Celui-ci, d’un montant total de 100 milliards, comprend un volet patrimoine de 614 millions d’euros (voir ci-dessous) qui mérite d’être analysé.
- Soutenir l’activité des grands établissement publics (334 millions)
Le plan de relance patrimoine privilégie tout d’abord, à hauteur de 334 millions d’euros, la compensation du manque à gagner des établissements publics contribuant à « l’attractivité internationale de la France », victimes d’une fréquentation qui « s’est effondrée (entre - 40 et - 80%), réduisant considérablement leurs ressources de fonctionnement ». Or, ces établissements publics sont excessivement coûteux, assis sur un tourisme de masse souvent dommageable pour le patrimoine et concentrés à Paris ou dans ses environs (7 des 8 exemples cités par le plan).
Il ne s’agit ainsi malheureusement pas de réorienter notre modèle patrimonial vers un tourisme plus diversifié, moins muséal et mieux réparti sur le territoire... La décision récente d’allouer plus de 600 millions d’euros à la transformation du Grand Palais à Paris le démontre.
- Soutenir le patrimoine dans les territoires (280 millions)
Sur les 280 millions d’euros destinés à « innerver les territoires », formule que nous saluons, 80 millions sont destinés à un « plan cathédrale ». Cette mesure, permettant de doubler pendant deux ans les 40 millions alloués annuellement à la restauration des cathédrales, est nécessaire et profitera effectivement à toutes les régions de France. C’est le point fort du plan.
40 millions sont par ailleurs dédiés à la restauration du patrimoine du Centre des monuments nationaux (CMN), bonne mesure par la diversité comme par la répartition des monuments concernés. L’affectation de 100 millions au château de Villers-Cotterêts est également intéressante, mais cette restauration n’avait-elle pas déjà été planifiée (projet présidentiel) ? On peut, au-delà de ce cas particulier, regretter qu’un « plan domaines nationaux » n’ait pas été pensé en liaison avec leur délimitation actuellement en cours. Il aurait notamment permis leur remembrement et la restauration de ces vastes ensembles naturels et historiques. Le plan crée au contraire un fonds d’urbanisation des friches militaires (p. 31), sujet particulièrement sensible notamment à Versailles, l’ancien domaine de la liste civile ayant été confié pour l’essentiel aux militaires après 1870 (terrains de Satory, des Matelots, des Mortemets, de Pion...)
Et que penser des 40 millions alloués à « la restauration des monuments historiques appartenant aux communes et aux propriétaires privés ». Ils sont 45 000 en France, appartenant pour moitié aux communes et pour moitié à des particuliers... La somme est très faible rapportée aux crédits annuels ordinaires (330 millions d’euros) et l’équivalent d’une session supplémentaire du loto du patrimoine... Aucune problématique n’est en outre définie pour l’usage de cette somme.
- Ce que le plan aurait pu financer
Nous réclamons, maintenant depuis des années (voir ici), qu’une plateforme de géolocalisation des monuments historiques et labellisés ouverts au public soit financée par le ministère de la Culture en remplacement de l’ouvrage Ouvert aux publics, aujourd’hui obsolète. Les rubriques dédiées à chaque monument pourraient mettre en valeur la richesse des bases de données du ministère, avec des informations pratiques laissées à la main des propriétaires, voire en permettant à des bénévoles de proposer leurs services. Cette plateforme permettrait, à elle seule, de maximiser l’apport du patrimoine à l’économie nationale.
Par ailleurs, alors que le plan s’attache à supprimer les « impôts de production » (p. 119), que penser de absence de toute mesure fiscale en faveur du patrimoine ? Suspendre la perception de l’IFI sur les monuments historiques ouverts au public aurait été un puissant encouragement au renouvellement de l’offre patrimoniale locale, tandis que la création d’une dation de servitude de maintien in situ aurait permis d’enrayer la dispersion dramatique des œuvres jadis fixées dans les monuments.
Pourquoi, aussi, dans ce contexte de crise, ne pas avoir créé, comme le permet le code du patrimoine, un fonds de portage patrimonial permettant d’acquérir provisoirement le patrimoine immobilier et mobilier en péril, mesure qui aurait notamment permis de sauver le château de Pontchartrain où les collections du château de Dampierre ?
Nous réclamions enfin que les mesures de relance soient examinées de façon transversale par chacun des ministères concernés et pointions le risque d’une « l’isolation non appropriée du bâti traditionnel [conduisant] à des catastrophes patrimoniales, notamment par la disparition totale des croisées et des portes anciennes, des décors intérieurs, voire l’isolation par l’extérieur de façades qui font le visage de notre pays. » Nos inquiétudes étaient pleinement justifiées puisque le plan de relance identifie précisément, s’agissant des bâtiments privés (p. 13), l’« isolation thermique par l’extérieur » (voir ci-dessus) comme étant l’un des objectifs à atteindre, politique également à mise en avant dans le secteur du logement social (p. 19) où les projets d’isolation de bâtiments labellisés "Architecture contemporaine remarquable" font déjà des ravages (Tours Nuages à La Défense, bâtiment de Dubuisson à Lyon)...
Bref, si les sommes mobilisées sont importantes, leur répartition est contestable et n’obéit à aucune véritable politique patrimoniale.
Julien Lacaze, Président de Sites & Monuments