Sites & Monuments a écrit au Premier Ministre, au ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, à la ministre de la Transition écologique et à la ministre de la Culture, avec copie au Président de la République, afin de demander l’inclusion du patrimoine dans les dispositifs de relance. Voici la teneur de ces courriers.
"Monsieur le Premier Ministre,
L’association Sites & Monuments - SPPEF, fondée en 1901, reconnue d’utilité publique en 1936 et agréée pour la protection de l’environnement depuis 1978, se permet de souligner la nécessité d’une relance pertinente en matière de patrimoine dans le cadre ou indépendamment des thématiques identifiées par le plan de relance bisannuel.
Ce secteur, qui souffre depuis des années de sous-investissement, a été éprouvé et sera éprouvé par la crise que nous traversons.
Le patrimoine immobilier, naturel ou bâti, mobilier ou immatériel, par sa pérennité dans le temps, est particulièrement adapté à des investissements productifs sur des dizaines voire centaines d’années.
Ces investissements nous semblent pouvoir contribuer également à la cohésion nationale, à la préservation de la biodiversité comme à une meilleure répartition de l’activité touristique en France.
Il s’agirait, au-delà d’un aspect purement conjoncturel, de susciter un développement durable par la préservation voir la relocalisation de ressources patrimoniales non renouvelables par essence. Les patrimoines nationaux les plus emblématiques, tout comme ceux des territoires, en seraient bénéficiaires.
Dans le but de sauvegarder certains sites exceptionnels, l’État devrait allouer un fonds spécifique au conservatoire du littoral. Il permettrait, par un droit de préemption renforcé, d’acquérir pour les préserver de l’urbanisation et les restaurer, notamment en y aménageant des accès adaptés pour le public, nos derniers paysages littoraux et lacustres de qualité. Ces mesures sont urgentes tant la pression urbaine est forte sur ces zones fragiles.
La même démarche devrait profiter à nos 21 domaines nationaux, morcelés entre différentes administrations (ministère des Armées, ONF...), qui en aliènent malheureusement certaines composantes (terrains de Pion ou Surintendance des bâtiments à Versailles, hippodrome de Compiègne, pavillons de chasse...) Ce remembrement devra être accompagné d’actions de dépollution, de démolition de certains bâtiments parasites, de replantation de nombreuses allées d’arbres et d’aménagements en faveur du public. La délimitation en cours de ces domaines doit tenir compte de cette ambition.
La sauvegarde de ces paysages emblématiques, situés autour de Paris ou sur le littoral, serait tangible, symbolique, durable, écologique et créatrice d’activité à court comme à long terme.
Dans le domaine du patrimoine mobilier, la crise aura pour effet probable de susciter des ventes d’objets patrimoniaux majeurs aujourd’hui immobilisés en France ou à l’étranger, suscitant des convoitises internationales. Il s’agit de pouvoir retenir ou rapatrier ces trésors nationaux par la création d’un fonds dédié. Il convient de privilégier ceux entretenant des relations particulières avec un contexte monumental. Dernièrement, la pendule à la Nubienne de l’hôtel du Garde-Meuble à Paris, le mobilier de la chambre du comte d’Artois à Bagatelle (provenant de Suisse) ou celui du duc de Penthièvre au château d’Amboise (vendus par un musée américain) n’ont pu être acquis faute de fonds suffisants. Replacés dans leur contexte, ils auraient pourtant été de puissants facteurs d’attractivité. Pour mémoire, le ministère de la Culture ne consacre chaque année que 10 millions d’euros, doit 0,1 % de son budget, à l’enrichissement des collections publiques.
Au-delà de cette action ponctuelle en faveur de patrimoines exceptionnels, il convient de pallier l’insuffisance notoire des 330 millions d’euros alloués chaque année à la restauration et à l’entretien des monuments historiques (soit 3% seulement du budget du ministère de la Culture) par un fonds spécifique de restauration et de mise en sécurité. Celui-ci, outre la conservation des monuments, permettrait de maintenir des savoir-faire indispensables à leur pérennité.
Du point de vue institutionnel, il est indispensable de créer un réseau comparable à celui du« National Trust »anglais autour d’un système de géolocalisation des patrimoines ouverts au public. Un fonds de portage patrimonial devra lui être adjoint afin d’acquérir temporairement des patrimoines immobiliers et mobiliers en péril, notamment par préemption. Ceux-ci, une fois restaurés et protégés au titre des monuments historiques, seraient cédés assortis d’un cahier des charges. Ce dispositif, prévu par le code du patrimoine, mais non financé à ce jour, aurait notamment permis de sauver le château de Pontchartrain, actuellement vendu à la découpe après dispersion de ses précieuses collections. Il permettrait, dans le domaine mobilier, d’acquérir certaines œuvres que des propriétaires seraient contraints d’aliéner pour les maintenir en place au moyen de dépôts ou de servitudes.
Des mesures fiscales pérennes, comme la dation de servitude d’attachement à perpétuelle demeure ou l’exonération de l’IFI pour les monuments historiques ouverts au public, permettraient de prolonger ces mesures d’urgence en contribuant au dynamisme économique des territoires.
Nous attirons finalement votre attention sur les conséquences d’un des axes de votre plan de relance. L’isolation non appropriée du bâti traditionnel peut conduire à des catastrophes patrimoniales, notamment par la disparition totale des croisées et des portes anciennes, des décors intérieurs, voire l’isolation par l’extérieur de façades qui font le visage de notre pays. Des exceptions et solutions spécifiques doivent être mises en place dans ce domaine.
De la même façon, l’accélération du déploiement des éoliennes en France ne ferait que contribuer à la paupérisation des territoires ruraux, annihilant toute politique volontariste de développement conduite par ailleurs.
Certain de l’intérêt que vous portez à ces questions dépassant la simple prospérité économique de notre pays, je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma haute considération.
Julien Lacaze, Président
Sites & Monuments - SPPEF
Copie à :
Monsieur le Président de la République ;
Monsieur le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance ;
Madame la ministre de la Transition écologique ;
Madame la ministre de la Culture."