Quatorze dossiers concouraient pour la 5e édition du prix des « Allées d’arbres », déposés cette année par des collectivités publiques, un organisme public, des propriétaires privés et des associations ou des collectifs de citoyens engagés pour la préservation de ce patrimoine. Il est intéressant de noter que cinq dossiers avaient déjà été présentés au cours des éditions précédentes. Deux d’entre eux ont été primés cette année, soit que le contexte ait évolué, soit que les actions engagées aient été renforcées et enrichies.
Depuis le lancement du prix en 2015, le jury a déjà examiné des dossiers provenant de cinquante-quatre départements, et près d’un quart des départements français comptent désormais un lauréat. Cette année, le jury en a retenu cinq : l’association Cormier Fruitier Forestier, dans la Meuse, Mme Fanny Aymer, propriétaire en Moselle, M. René Delahaye, propriétaire dans le Pas-de-Calais, l’association Aquavit, en Indre-et-Loire et l’Office National des Forêts (ONF), dans l’Aisne. Ils vous sont présentés ci-après.
La Journée européenne des allées, le 20 octobre (qui coïncide avec la Journée internationale du paysage du Conseil de l’Europe) est l’occasion chaque année de lancer l’appel à candidatures du prix. Vous trouverez le règlement sur notre site www.sitesetmonuments.org. La date limite de réception des dossiers de l’édition 2021 est fixée au 30 avril 2021.
Quand vous passez sur la petite route départementale nº 9 à 30 km au sud de Barle-Duc, votre regard est immanquablement attiré par la double ligne d’arbres à la silhouette bien particulière qui, au milieu des champs, s’échappe de la route pour aboutir, à l’écart, à un ensemble de bâtiments. La rareté des allées en général dans la région, et en particulier des allées de pins sylvestres, et la parfaite lisibilité de la structure dans un paysage dégagé expliquent indéniablement l’attrait qu’exerce cette allée. Aménagée vers 1860, au temps où l’activité des fonderies était florissante dans la région, elle constituait alors l’un des trois accès à la fonderie d’art Salin. Depuis 1990, l’accès ne se fait plus par ce chemin et, laissée à l’abandon, elle aurait fini par se dégrader jusqu’à disparaître. Ou bien le chemin aurait été acquis par les agriculteurs riverains désireux d’agrandir leur parcelle, et les arbres abattus.
Fabrice Varinot, président de l’Association Cormier Fruitier Forestier, connaissait bien le lieu et ne pouvait se résoudre à une telle issue. L’opération de sensibilisation qu’il avait entamée il y a près de 20 ans put enfin se conclure il y a 5 ans par l’acquisition de l’allée sur ses fonds propres, son objectif étant de la restituer à la collectivité après avoir également financé les travaux d’entretien et de mise en valeur ! Devenu propriétaire, il pouvait agir : replanter les arbres manquants pour assurer le renouvellement — il le fit avec les jeunes en formation du lycée de Vilmorin à Bar-le-Duc —, supprimer le bois mort pour pouvoir ouvrir le lieu au public, rabattre le lierre jusqu’au niveau des premières charpentières — sans le supprimer, bien sûr — pour mettre en valeur la magnifique ramure des pins.
L’engagement humain de longue haleine et la générosité de la démarche ont fait mouche auprès du jury, qui avait encore d’autres bonnes raisons de retenir ce dossier. La taille des arbres est en effet encore trop souvent réalisée par des personnes bien intentionnées, à qui manque cependant la connaissance du « fonctionnement » d’un arbre. Or, le non-respect des règles de l’art nuit gravement aux arbres et compromet leur bon maintien dans le temps. C’est d’ailleurs pour cela que les tailles mutilantes sont interdites par l’article L350–3 du Code de l’environnement. Ici, au contraire, la taille a été l’occasion de démonstrations de bonnes pratiques par les équipes de formation au Certificat de spécialité d’arboriste-élagueur de l’EPLEFPA de Courcelles-Chaussy (57) et leurs apprentis. Les médias — deux pages dans l’Est Républicain, le quotidien régional, et un reportage de France 3 — s’en sont fait l’écho. Le bénéfice était multiple : à la pérennité de l’allée s’ajoutaient la fierté des jeunes adultes en formation, impliqués dans un projet particulièrement valorisant, et la sensibilisation du public à l’importance du savoir-faire des arboristes-grimpeurs, grâce à la bonne couverture médiatique. Ce chantier a par ailleurs été l’occasion de mettre en oeuvre une technique pratiquée à l’étranger, mais encore rare en France, applicable uniquement aux bois morts pour leur donner un aspect plus naturel de « fracture ». Au final, une belle aventure technique et humaine pour tous, les anciens ouvriers qui avaient emprunté l’allée pour se rendre sur leur lieu de travail exprimant à leur tour leur fierté de ce renouveau.
Le projet n’est pas terminé. L’installation de bancs ainsi que d’oeuvres d’art liées à la nature ou à l’histoire du site — par les artistes Jean Bergeron et Patrick Bassuel —, devrait faire de ce lieu non seulement un lieu d’observation et de repos mais aussi un lieu de rencontre. Des perspectives d’animation avec les scolaires et l’inscription dans les brochures touristiques font également partie du projet. Et lorsque, à terme, l’allée sera cédée à la collectivité publique, sa bonne gestion sera garantie par un contrat de maintenance sur 10 ans avec les centres de formation de Courcelles-Chaussy et de Bar-le-Duc : encore une initiative heureuse pour assurer l’avenir de cette allée !
L’allée de marronniers qui donne accès au château de Bétange depuis la RD 653, dans la vallée de la Fensch, date de la même époque que celle de Dammarie-sur-Saulx. Comme elle, elle est liée à l’histoire de la sidérurgie lorraine puisqu’elle a été plantée par le maître de forges Théodore de Gargan, en même temps qu’il faisait aménager le parc à l’anglaise du château — ce qui montre en passant que le goût pour les jardins paysagers aux formes irrégulières n’avait en rien entamé l’attrait pour la plantation d’allées rectilignes.
Extérieure au domaine enclos par une grille en fer forgé de 3 600 mètres de long, l’allée, par son apport esthétique, contribue à la qualité du territoire. Elle est le seul élément de végétation de grande ampleur qui structure le paysage. Ayant résisté à la pression de l’urbanisation — qui se poursuit, avec un tout jeune lotissement voisin —, elle sert avantageusement de « tampon » entre Florange et Hayange au sud et à l’ouest, et Terville et Thionville au nord. Elle y joue un rôle important de biotope et de corridor écologique : l’allée de marronniers bénéficie du label « Refuge pour les chauves-souris » décerné par la CPEPESC Lorraine, avec en particulier la présence du Grand Rhinolophe, et elle abrite une quarantaine d’espèces d’oiseaux, recensées par la LPO. Ajoutons-y son rôle dans la captation du carbone et la fixation de poussières ou de polluants : bien qu’appartenant à un domaine privé, l’allée est indéniablement un patrimoine commun dont tous bénéficient.
Mais que pèse une allée face à un projet autoroutier, fût-il anachronique ? En l’occurrence, le doublement de l’autoroute A31, le vaste aspirateur à poids lourds et à travailleurs transfrontaliers qui fait le lien entre le sud et le nord de l’Europe et entre la Moselle et le Luxembourg, prévoit d’amputer l’allée d’accès au château d’un quart de sa longueur, à la limite des 500 m du périmètre de protection du parc et des grilles, inscrits à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques. En faire un cul-de-sac dénaturerait l’allée, par essence un espace qui relie un point à un autre et que l’on parcourt, tandis que la pollution sonore et atmosphérique perturberait assurément ce havre à espèces protégées.
Depuis cinq ans déjà, les propriétaires sont mobilisés activement pour empêcher l’irrémédiable, d’autant qu’un autre des tracés envisagés pour l’autoroute éviterait les graves inconvénients que présente le tracé retenu à ce jour pour l’allée du château de Bétange comme pour les habitants du nouveau lotissement. Espérant forcer le destin, ils ont fait procéder à l’inventaire des chauves-souris et des oiseaux, ont lancé une pétition, ont sollicité les associations de protection du patrimoine — qui leur ont déjà apporté un soutien important, comme la Demeure Historique, VMF et Urgence Patrimoine.
Le jury a été heureux de réexaminer ce dossier, qui avait été présenté par le passé, alors que la dynamique pour la protection de cette allée n’était pas véritablement effective. La persévérance a payé ! Et, comme ils le font toujours, les membres du jury ont apporté leurs regards de spécialistes pour soutenir au mieux les actions déjà entreprises. En l’occurrence, ils ont attiré l’attention sur le développement du lierre sur les marronniers. En effet, si le lierre est un atout reconnu pour la biodiversité, il semble que son poids ait été la cause de ruptures de branches charpentières observées ailleurs sur cette essence d’arbres. Il convient donc d’en contenir le développement en ne le laissant pas s’installer dans le houppier. Le respect des règles de l’art pour toutes les actions de taille des arbres a également été rappelé, en renvoyant vers les arboristes-grimpeurs membres du cercle de qualité SEQUOIA ou, bien sûr, vers le centre de formation de Courcelles-Chaussy voisin, celui-là même dont les apprentis sont intervenus à Dammarie-sur-Saulx.
Les propriétaires poursuivent leur action et continuent l’entretien de l’allée : ils envisagent la replantation d’une quarantaine d’arbres manquants et prévoient de faire vivre l’allée par des animations sur la biodiversité, en lien avec la commune et les associations.
Pour qui est attentif, un petit détail de l’allée de peupliers qui relie la RD 190 au château de Clarques, au sud de Saint-Omer, étonne : pourquoi donc son tracé est-il brisé ? En fait, le tronçon le plus proche du château appartient à une ancienne allée de platanes qui filait droit jusqu’à la route tandis que le tronçon le plus proche de la route correspond à une allée de pommiers qui venait se « greffer » sur l’allée principale. Selon l’occupant de l’ancienne ferme du château, les platanes auraient été déracinés sous la pression des agriculteurs, laissant pour unique accès au château l’allée de pommiers. Fortement endommagés en 1944 par les bombardements alliés, les arbres restants ont été remplacés en 1954 par les peupliers actuels.
Lors de l’élaboration du Plan Local d’Urbanisme, le propriétaire avait demandé que l’allée soit identifiée comme Espace Boisé Classé en raison de son intérêt paysager, écologique et historique. Seule structure linéaire arborée de grande ampleur, en longueur comme en hauteur, visible sur le plateau, en particulier depuis la route, elle sert à la fois de limite et d’écrin à la frange ouest du village. Le commissaire enquêteur avait d’ailleurs émis un avis favorable, confirmant l’intérêt que présente cette allée pour l’ensemble de la population. Mais la commune devait refuser pour ne pas froisser le propriétaire riverain, agriculteur, qui préfèrerait faire subir aux peupliers le sort que subirent les platanes par le passé. À défaut de les voir abattus, s’appuyant sur l’article 673 du Code civil, il assignait le propriétaire de l’allée devant le tribunal d’instance, espérant le faire condamner à l’élagage drastique de ces peupliers ainsi que de tous les arbres du bois bordant ses champs. Et, en 2018, le tribunal de première instance lui donnait raison.
Fallait-il baisser les bras — l’article 673 du Code civil a la réputation de l’emporter sur tout ? Heureusement, le propriétaire fit appel de la décision. En effet, alors que le jugement a été maintenu pour les arbres en périphérie du bois, la cour d’appel de Saint-Omer, dans son arrêt du 25 avril 2019, l’a annulé pour les arbres de l’allée. Pourquoi une telle différence ? Le juge a fondé sa décision sur l’article L350-3 du Code de l’environnement qui interdit tout ce qui est préjudiciable aux arbres, à condition qu’il s’agisse d’arbres d’allées. Le propriétaire et son avocat avaient pris soin de produire le rapport d’un expert forestier, membre de l’association A.R.B.R.E.S., qui constatait que la taille radicale demandée aurait été délétère pour les arbres, entraînant un affaiblissement physiologique et une fragilisation mécanique (on peut voir Me Jamais et Lionel Staub présenter le dossier à l’occasion de la 34e ArboRencontre de Seine-et-Marne : https://wimeo.com/368511073)
Le jury ne pouvait que se réjouir de cette jurisprudence au bénéfice de la préservation des allées, d’autant qu’elle complète celle de l’affaire des platanes de Gien, qui concernait un problème d’abattage — voir Sites & Monuments nº 225, p 90 —, en rappelant que les tailles non respectueuses du végétal sont interdites par la loi.
L’heureuse démarche du propriétaire de l’allée s’inscrit dans une démarche de longue haleine — plus de 20 ans — visant non seulement à la mise en valeur du cadre dans lequel s’inscrit le château, mais finalement aussi à la sensibilisation globale du public à la vie et à la beauté des arbres, en partenariat avec le Pays d’art et d’histoire de Saint-Omer.
Comme le dossier du château de Bétange, le dossier présenté par l’association Aquavit avait déjà été présenté par le passé. Comme pour Bétange, la mobilisation autour des allées est ici motivée par un projet touchant au transport. Mais on quitte cette fois-ci la campagne interurbaine pour la ville de Tours, et un projet « tout automobile » pour un projet de transport en commun, celui de la 2e ligne de tramway de la ville. Les boulevards Béranger et Heurteloup qu’emprunterait cette ligne sont plantés de quatre rangs de platanes — une allée centrale encadrée de deux contre-allées — datant de 1863, lors de la transformation du Grand mail planté au XVIIe siècle, voire plus tôt encore. Les travaux se traduiraient par l’abattage des rangs extérieurs, un rapport d’expertise laissant par ailleurs planer un sérieux doute sur la viabilité des arbres des deux rangs intérieurs en raison des détériorations prévisibles de leur système racinaire.
Peut-on raisonnablement imaginer qu’on ampute aujourd’hui de véritables cathédrales végétales, même pour un tramway ? Ne sait-on pas que les villes ne resteront à l’avenir vivables que grâce à leur canopée, cet ensemble de couronnes de feuillage de la « forêt » urbaine diffuse qui absorbe le gaz carbonique en rejetant de la vapeur d’eau, dans un processus qui contribue à abaisser sensiblement les températures en été ? Les élus des villes ne sont-ils d’ailleurs pas nombreux à promettre des plantations d’arbres en masse et, lorsque des projets d’aménagements entraînent des abattages, à promettre des replantations ? Mais n’oublie-t-on pas que la masse foliaire d’un jeune arbre n’est pas celle d’un arbre adulte et que le service rendu n’est donc pas comparable ? N’oublie-t-on pas, surtout, que les conditions de reprise des jeunes plantations deviennent de plus en plus difficiles en raison à la fois d’une piètre qualité et disponibilité des sols urbains, comparés au XIXe siècle, et des canicules à répétition ?
Les contradictions profondes relevées entre le projet du tramway et les documents d’urbanisme récents ont également préoccupé le jury. En 2013, il y a moins de dix ans, ces boulevards étaient incorporés au secteur sauvegardé de la ville, dont le règlement précise que « ces alignements ne peuvent être repositionnés que si le projet constitue une amélioration de l’espace considéré et une meilleure mise en valeur de l’environnement architectural ». Le plan de sauvegarde et de mise en valeur prévoit le maintien des quatre rangs d’arbres, mieux encore, la reconstitution des alignements externes éclaircis par la création de places de stationnement. Les orientations d’aménagement et de programmation du PLU demandent non seulement le maintien des arbres, mais encore de « retrouver la lecture de l’ancien mail » et de « réinstaurer les quatre alignements de platanes ». On notera que les allées se trouvent également dans le périmètre du Patrimoine mondial UNESCO (Val de Loire) dont le plan de gestion impose de respecter l’esprit des lieux, et de réaliser « un diagnostic patrimonial et paysager systématique avant d’implanter tout nouvel équipement ou aménagement ».
Le jury a souhaité encourager l’association à poursuivre son travail de sensibilisation et d’implication de la population et à demander que le tracé soit réétudié, que l’évaluation de l’impact des travaux sur les arbres existants soit plus complète, et que l’étude de faisabilité comparative demandée par le garant de la concertation publique en 2018 soit effectivement engagée.
Le parc du domaine national de Villers-Cotterêts, classé au titre des Monuments historiques, est géré par l’Office National des Forêts (agence régionale de Picardie). Il a la particularité d’avoir conservé depuis le XVIIe siècle les grands tracés qui le composent et le mettent en relation avec le paysage extérieur. Mais, progressivement pris dans le tissu urbain, accumulant toutes sortes d’usages ne ménageant pas les lieux, il s’était banalisé. Conscient des enjeux, l’ONF lançait en 2010 une étude globale dans le but d’établir un plan de conservation et de valorisation. Il va de soi que le jury n’aurait pas apprécié une gestion à la hussarde, et en particulier un démantèlement, même partiel, du domaine, comme cela a pu être le cas pour d’autres biens nationaux. Au contraire, le plan de conservation et de valorisation, finalisé et validé par la DRAC et le préfet en 2015, a fixé comme objectifs la préservation du patrimoine dans sa dynamique originelle, en affirmant ses limites, la restauration de la lisibilité des structures, en particulier au travers des allées d’arbres, et la maîtrise des usages.
Le jury a été sensible à la finesse de l’étude historique, à la hauteur de ce domaine emblématique, qui a nourri la réflexion. L’étude a été réalisée dans le cadre des travaux de Master 2 « Jardins historiques, Patrimoine et Paysage » de l’École Nationale d’Architecture de Versailles, encadrés par Marie-Hélène Bénetière et Georges Farhat. On y voit en particulier l’évolution du parc et des allées d’arbres au fil du temps, depuis le projet de Jacques Androuet du Cerceau au XVIe siècle, qui inclut la première patte d’oie connue à ce jour dans l’histoire des parcs et jardins français. Dans l’esprit de l’article L350-3 du Code de l’environnement, l’étude aurait mérité d’être complétée par un volet « biodiversité ».
Les deux premières actions de renouvellement des allées qui sont présentées concernent l’allée des Soupirs, implantée vers la fin du XVIe siècle, et la Grande allée, implantée vers 1788 sous forme d’allée double (2 × 2 rangs) dans le prolongement d’un tronçon sans doute imputable à Le Nôtre. Une plantation de charmes, destinés à former une allée couverte, est venue remplacer les hêtres de l’allée des Soupirs abattus en 2010 pour des raisons de sécurité. Pour la Grande allée, la problématique était différente : l’allée double du XVIIIe siècle était devenue quadruple (2 × 4 rangs) à l’ouest de la voie ferrée — mais mitée par la chute d’arbres et des abattages sécuritaires —, et avait été amputée, à la demande des riverains, de toute sa partie est. En outre, les tilleuls argentés, plantés serrés, fournissaient une ombre dense et prospéraient difficilement. Pour éviter un impact trop brutal sur le paysage, une intervention fine a été préférée et mérite d’être saluée : plutôt que l’abattage à blanc et le renouvellement en masse initialement prévus pour aérer la plantation et se rapprocher du schéma du XVIIIe, le tronçon ouest a été restructuré en transformant les plantations carrées en plantations en quinconce sur 2 × 3 rangs. Ceci a limité les abattages aux rangs extérieurs et à un arbre sur deux pour les autres rangs (les sujets manquants étant remplacés). Avant même ces abattages, les plantations du tronçon est avaient été réalisées selon le même motif de quinconce, avec un rang extérieur supplémentaire conduit à partir des tilleuls ayant rejeté de souche, soit en palissade végétale au contact du nouveau quartier pavillonnaire, soit en haie libre bocagère côté champs. Les conditions de plantation ont été choisies à juste titre pour minimiser les coûts et favoriser la reprise (baliveaux en racines nues, en 120/150 à l’est, en 200/250 pour les regarnis à l’ouest), les tuteurs destinés au maintien des tiges et à l’ajustement de leur alignement renforçant l’effet visuel et compensant la taille initialement réduite des sujets.
« Art. L. 350–3. — Les allées d’arbres et alignements d’arbres qui bordent les voies de communication constituent un patrimoine culturel et une source d’aménités, en plus de leur rôle pour la préservation de la biodiversité, et à ce titre font l’objet d’une protection spécifique. Ils sont protégés, appelant ainsi une conservation, à savoir leur maintien et leur renouvellement, et une mise en valeur spécifiques. Le fait d’abattre, de porter atteinte à l’arbre, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres d’une allée ou d’un alignement d’arbres est interdit sauf lorsqu’il est démontré que l’état sanitaire ou mécanique des arbres présente un danger pour la sécurité des personnes et des biens. ou un danger sanitaire pour les autres arbres ou bien lorsque l’esthétique de la compo¬sition ne peut plus être assurée et que la préservation de la biodiversité peut être obtenue par d’autres mesures.
« Des dérogations peuvent être accordées par l’autorité administrative compétente pour les besoins de projets de construction.
« Le fait d’abattre, de porter atteinte à l’arbre, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres d’une allée ou d’un alignement d’arbres donne lieu, y compris en cas d’autorisation ou de dérogation, à des mesures compensatoires locales, comprenant un volet en nature (plantations) et un volet financier destiné à assurer l’entretien ultérieur. »
Outre l’arrêt concernant l’allée du château de Clarques, cet article du Code de l’environnement a permis de suspendre définitivement l’abattage des platanes des quais de Gien (décision du tribunal administratif d’Orléans, confirmée en Conseil d’Etat en 2018, ce dernier considérant les platanes comme protégés au titre « d’éléments du patrimoine culturel national »). D’autres abattages (Strasbourg, Chatelaillon, Draveil) ont été suspendus en vertu de cet article par les tribunaux administratifs et sont dans l’attente du jugement au fond.
On retiendra principalement que cet article instaure un principe général de protection, justifié conjointement par leur triple dimension : culture / biodiversité / aménités (C/B/A) et que cette protection concerne à la fois la structure, qui doit être maintenue dans le temps, et les arbres, dont les conditions de maintien, en particulier par une gestion dans les règles de l’art, doivent être assurées.
Si l’arbre constitue un danger avéré par une expertise, ou si, par exemple, le chancre coloré du platane fait peser une menace sur la survie d’autres platanes, l’abattage est bien sûr autorisé. Des projets d’aménagement ou de revalorisation esthétique peuvent également être admis. Encore faut-il qu’une analyse sérieuse ait été effectuée pour justifier la nécessité de déroger au principe général de protection.
Pour cela, il convient d’une part de décrire les objectifs des mesures d’aménagement ou de gestion proposés ainsi que les scénarios envisagés (en incluant le scénario « 0 » consistant à ne rien faire). Il convient d’autre part de décrire et d’analyser l’intérêt de l’alignement d’arbres, voire de chaque arbre, dans son environnement, pour chacune des dimensions C/B/A, et de définir celle(s) qu’il importe de préserver en priorité, voire d’améliorer dans cet environnement donné (= objectif pour l’allée). Enfin, il convient d’analyser l’impact des différents scénarios (en incluant le scénario 0) sur chacune de ces dimensions, en gardant à l’esprit l’objectif pour l’allée et l’objectif de l’aménagement ou de la gestion. Alors seulement une décision fondée pourra être prise.
Dans tous les cas, s’il y a atteinte aux arbres ou à la structure, des plantations de compensation locales doivent être réalisées.
On peut écouter et voir la présentation effectuée par Chantal Pradines à ce sujet lors de la 34e ArboRencontre de Seine-et-Marne : https://wimeo.com/368511073.
Imprimer l’article de la revue Sites & Monuments n° 227-2020