Prix "Allées d’arbres" 2021

La remise des Prix a eu lieu lors du Salon du patrimoine culturel,
au Carrousel du Louvre, le 30 octobre 2021.
Jury de l’édition 2021 :
Glenn Dubois (naturaliste) ;
Alice Fey (Drac Grand Est) ;
Yaël Haddad, journaliste de la presse professionnelle du paysage ;
Jean-Michel Gelly, Maisons paysannes de France ;
Marie-Hélène Louvard, Sites & Monuments ;
Christophe Père, Association des paysagistes-conseils de l’État ;
Chantal Pradines, expert indépendante ;
Jean-Pierre Thibault, Conseil général de l’environnement et du développement durable ;
Michel Widehem, Groupement des experts conseils en arboriculture ornementale.
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Le prix « Allées d’arbres »  :
un partage de bonnes pratiques

 

Chantal Pradines
Cabinet All(i)ée
Déléguée générale de l’association « Allées-Avenue » / allées d’avenir
Rapporteur du jury

Ceux qui, depuis 2016, se sont déjà lancés dans l’aventure consistant à partager ce qu’ils font pour que les allées d’arbres puissent continuer à nous relier au passé, à nous faire bénéficier de leurs atouts et à nous charmer, le savent : concourir au prix « Allées d’arbres », ce n’est pas seulement briguer une distinction, c’est aussi être assuré qu’un jury professionnel — et bienveillant — prendra pour tous, lauréats ou non, le temps de mettre en avant les points forts des actions présentées, d’attirer l’attention sur le potentiel de bonification de celles-ci et de proposer des ressources ou des relais pour avancer encore. Quelle que soit l’issue, concourir ouvre toujours de nouvelles opportunités. Alors qu’a été lancée le 20 octobre 2021 — Journée européenne des allées — la septième édition du prix, cela vaut sans doute la peine de le rappeler, afin que vous n’hésitiez surtout pas à vous lancer ou à inviter d’autres à concourir.

En cette année 2021, pour la sixième édition du prix, quatre propriétaires, un bureau d’études, une association, cinq communes (de 550 à 1 700 habitants) et un parc naturel régional avaient déposé leur dossier, montrant une fois encore, par leur diversité géographique — douze départements représentés — et celle de leur statut, que les allées d’arbres et le concours intéressent une grande variété d’acteurs dans toute la France.

Le jury a retenu quatre lauréats animés par le même désir de contribuer au maintien des allées d’arbres : Claude Eas et Philippe Rouillard, qui veillent à un entretien respectueux de leur allée de chênes au château de La Bressaire ; le parc naturel régional d’Armorique, qui a engagé tout un programme d’actions autour d’un ensemble de huit allées de hêtres exceptionnelles ; le collectif Arbres métropole lilloise, qui est activement engagé pour que le cimetière de Roubaix ne perde pas son âme en même temps que ses allées ; la commune de Thoissey, qui veille jalousement à transmettre aux générations futures une allée de près de deux cents platanes plantés en 1808. Nous vous livrons ci-après l’essentiel des dossiers qu’ils nous ont présentés.

Claude Eas et Philippe Rouillard (château de La Bressaire) :
assurer la sécurité en respectant les arbres et la biodiversité
à Foussais-Payré (Vendée)
Chemin privé et RD – 190 m – 34 chênes

S’il nous fallait une preuve supplémentaire que les allées d’arbres pèsent positivement dans les transactions immobilières, les tout nouveaux propriétaires du château de La Bressaire sont là pour nous l’apporter : l’allée de chênes qui accompagne le château a été déterminante dans leur acquisition et on perçoit nettement leur enthousiasme à la qualité des photographies qui en magnifient la beauté.

Ambiance de douceur pour accueillir le visiteur © C. Eas-La Bressaire

Pourtant, que représentent trente-quatre chênes seulement dans un paysage de bocage ? Assurément, l’allée contribue à la connectivité de ce dernier. Mais elle en constitue aussi un élément totalement distinct : double colonnade, elle est architecture et a vocation à se parcourir. En l’ouvrant aux randonneurs, les propriétaires lui permettent de jouer le rôle de « promenoir » qu’est avant tout une allée [1], avec pour conséquence la nécessité d’assurer la sécurité. Les propriétaires ont porté une attention particulière à la qualité des interventions nécessaires pour cela et choisi un professionnel, l’arboriste Julien Coirier (Arboriginal), ayant le souci d’une taille doublement raisonnée pour respecter à la fois la physiologie des arbres et les microhabitats importants pour la biodiversité. Une double attention qui mérite d’être signalée. Les propriétaires savent en outre qu’une allée est vivante et que son avenir n’est assuré que dans la mesure où des plantations assurent son renouvellement. Aussi prévoient-ils d’ores et déjà de replanter.

Bien sûr, cette allée de chênes est protégée par le Code de l’environnement, même si, à l’heure où nous écrivons ces lignes, nous ne savons pas encore si le projet de loi dit « 3Ds », qui devrait être voté à hiver 2021, ne retirera pas finalement le statut de protection aux allées privées. Reprendre cette protection dans des outils d’urbanisme opérationnel, tels que le plan local d’urbanisme, est une idée pertinente. C’est ce qu’a fait la commune de Foussais-Payré, qui a inscrit l’allée de chênes comme boisement à préserver, démontrant une fois de plus que les Petites cités de caractère, en dépit de leur taille modeste — à peine deux mille habitants pour cette commune vendéenne —, ne négligent aucun de leurs atouts. Et les allées d’arbres en font indéniablement partie.

Parc naturel régional d’Armorique :
pérenniser les allées de Menez Meur (Hanvec, Finistère)
Chemins publics – 3,1 km – 500 hêtres sur talus

Les huit allées de Menez Meur n’ont sans doute rien à envier aux Dark Hedges, cette allée de hêtres tortueux d’Irlande du nord devenue célèbre avec le tournage de la série Game of Thrones : hêtres aussi, tortueux également, ambiance envoûtante garantie. Le paysage dans toute sa capacité à susciter l’émotion.

Allée « promenoir » de Menez-Meur © H. Coroller-PNRA

Si l’on s’en tient à la légende entourant Julien Prioux, l’histoire de ces allées aurait une petite odeur de soufre : en 1850, après avoir dirigé une équipe d’une soixantaine d’ouvriers pour la rectification de la route royale Nantes-Douarnenez, celui-ci aurait préféré partir avec la paye des ouvriers pour tenter la ruée vers l’or en Californie, avant de revenir en France fortune faite. Il crée alors une entreprise de travaux publics chargée de la rectification de la route impériale 164 Angers-Brest, puis achète plusieurs propriétés, dont Menez Meur, à l’extrême ouest des Monts d’Arrée. Sur 150 hectares, il s’emploie à établir une ferme modèle et à défricher la lande. Et cet homme habitué des aménagements des routes royales puis impériales plante ce qui devait devenir les allées majestueuses de hêtres qui font aujourd’hui la magie du site. Mais si les archives finement étudiées par Marie-Paule et Bernard Kerneis [2] confirment bien l’aventure californienne et livrent des éléments factuels sur le retour en France, elles ôtent assurément tout fondement sérieux à l’allégation d’escroquerie…

Gérer des arbres vieux de cent cinquante ans, surtout lorsqu’ils bordent des voies empruntées par un public nombreux, impose d’être attentif à des enjeux multiples : si la sécurité doit bien sûr être assurée, les actions engagées ne doivent, ni mettre en péril les arbres, ni altérer l’ambiance paysagère si singulière. En outre, la biodiversité particulièrement riche associée à ces corridors établis de longue date doit elle aussi être préservée, voire favorisée.

La démarche adoptée par le parc naturel régional d’Armorique — connaître avant d’agir — relève évidemment des bonnes pratiques. Il s’agissait en l’occurrence, avant d’établir un plan de gestion et de le mettre en oeuvre, de connaître à la fois l’état sanitaire et mécanique des hêtres et la biodiversité associée à ceux-ci. Les inventaires ne se sont pas limités, comme on le voit trop souvent, à quelques espèces protégées d’oiseaux ou de chauves-souris. Il est vrai qu’il s’agit d’un espace naturel sensible et que même un amateur percevrait d’emblée la richesse en bryophytes, tant le couvert de mousses participe à l’ambiance particulière des allées. Intéressantes aussi les différentes actions destinées à intégrer les impératifs de préservation des habitats à la gestion de l’allée : respect des gîtes, conservation de bois mort à proximité des arbres, conservation de souches et de chandelles le cas échéant, mais aussi régénération par plantation de jeunes pousses ou en favorisant des jeunes plants existants. Surtout, plutôt que d’abattre certains hêtres, il a été préféré d’interdire l’accès au public d’une partie d’allée, une manière de réduire le risque dont la pertinence — dans certaines situations — reste généralement trop peu exploitée.

Un autre élément a séduit le jury, d’autant plus qu’il ajoute une dimension sociale à la gestion de ces allées : la transformation des contraintes — la nécessité de maîtriser les coûts — en opportunité : faire des allées de Menez Meur un terrain de formation pour les apprentis arboristes et bûcherons du centre de formation professionnelle et de promotion agricole de Kerliver. La dimension sociale et pédagogique ne s’arrête pas là : les actions de sensibilisation à la valeur de ce patrimoine arboré et à sa gestion sont nombreuses et s’adressent au grand public, aux scolaires, et plus spécifiquement à des personnes en situation de handicap. Quant à la renaturation et au renforcement des talus en pierre sur lesquels sont juchés les arbres, dans ce plat pays de landes et de tourbières, ils donnent l’occasion d’accueillir des personnes condamnées à des travaux d’intérêt général.

Il ne reste plus qu’à poursuivre les aménagements de Julien Prioux et à planter de nouvelles allées. C’est que le domaine s’est bien étendu depuis le XIXe siècle, donnant l’impression que les allées de hêtres actuelles s’arrêtent au milieu de nulle part. Des allées plus jeunes donneraient ainsi une unité au domaine et viendraient, à terme, prendre le relais pour assurer la continuité de précieux habitats.

Collectif Arbres métropole lilloise :
s’engager pour une gestion respectueuse des allées du cimetière
(Roubaix, Nord)
Chemins publics – 3 km – 400 tilleuls

Lorsqu’au début du XIXe siècle, pour des questions de salubrité mais aussi d’espace face à la volonté d’individualiser les sépultures, les cimetières sont aménagés hors les murs des villes, le motif paysager de l’allée fait partie du "paysage quotidien" des vivants : les villes et leurs abords sont percés de rues et de routes bordées d’alignements d’arbres, comme la « route d’Orléans » longeant au sud-ouest — ce qui deviendra le cimetière de Montparnasse — tandis que les parcs, même romantiques, ne dédaignent pas les allées d’arbres — le motif paysager de l’allée reste présent dans celui qui deviendra le cimetière du Père-Lachaise à Paris. Rien d’étonnant à ce que les allées d’arbres trouvent alors leur place auprès des morts dans les cimetières.
Ainsi, dans son projet pour le Père-Lachaise, l’architecte Brongniart retient à la fois des alignements d’arbres à la rigueur rectiligne classique structurant l’espace, et des allées plantées serpentant à la manière romantique. Les cimetières de Montparnasse ou de Montmartre aménagés à la même époque, mais aussi d’autres à travers la France — notamment le cimetière vieux de Béziers ouvert en 1812, celui de la Madeleine à Amiens ouvert en 1817, le cimetière de l’Est à Angers ouvert en 1834 — intègrent à leur tour des allées d’arbres. C’est également le cas du cimetière de Roubaix, créé en 1848.

Un contraste qui parle de lui-même © Gh. Cau

À l’aspect paysager et à l’agrément visuel qu’apportent ces plantations s’ajoute une dimension symbolique : les arbres longévifs et les arbres à feuillage persistant évoquent l’éternité, tandis que le cycle de végétation des feuillus évoque le cours de la vie humaine, mais aussi la résurrection. Un siècle plus tard en Australie, lorsqu’il s’agit d’honorer les morts de la Première Guerre mondiale par des allées mémorielles en référence aux routes françaises bordées d’arbres, les discours prononcés lors des inaugurations font état de cette forte charge symbolique au pouvoir consolateur, de la beauté tout aussi réparatrice de ces allées, sans oublier le chant des oiseaux doux aux oreilles des défunts. Aujourd’hui, le chant des oiseaux nous rappelle aussi que les cimetières ainsi plantés constituent des îlots à la fois de biodiversité et de fraîcheur dans les villes.

Que dire lorsque des tronçons entiers d’allées sont purement et simplement supprimés, comme c’est le cas à Roubaix dans le cadre de la rénovation du cimetière ? Méconnaissance de la valeur culturelle de ce patrimoine, assurément. Quant au paysage… Là où les allées de tilleuls subsistent, elles donnent au cimetière un volume isolé du monde extérieur, elles en font un « espace » agrandi par la monumentalité des arbres, mais néanmoins intime — les troncs circonscrivent les champs de tombes tandis que les houppiers filtrent la lumière. Les allées relèvent le regard et donnent du « souffle » entre les tombes et les frondaisons ; elles font pénétrer la vie dans ce lieu dédié aux morts. À l’inverse, le vide créé par la suppression des alignements d’arbres conduit à un « écrasement » de l’espace au ras des tombes, et c’est la sécheresse minérale de celles-ci qui saute au visage, accentuée encore par une lumière désormais crue. Comment alors ne pas saluer l’engagement du collectif Arbres métropole lilloise pour que la simplification de la gestion du cimetière de Roubaix ne se fasse pas au détriment de la qualité paysagère et environnementale du site ?

Certes, les racines des arbres à proximité des monuments funéraires peuvent être source de dégradations. Mais quels que soient les problèmes éventuels de ce type, les problèmes sanitaires ou mécaniques de quelques arbres nécessitant un abattage, il convient à la fois d’intervenir de manière justifiée et pondérée et de ne pas abandonner la forme de plantation en alignement au profit d’arbres isolés ou de bosquets — ce type de plantation, également intéressant, peut venir en complément aux alignements. Si les dernières tranches de la rénovation du cimetière de Roubaix devaient faire fi de ces principes — alors qu’aucune donnée précise n’a pu nous être fournie sur l’étendue des dégâts éventuels et que les diagnostics phytosanitaires et mécaniques font défaut pour appréhender le danger éventuel des arbres —, elles auraient raison de l’ambiance du site et de la qualité paysagère, environnementale et symbolique conférée par les allées. Espérons désormais que la sagesse évitera le pire.

Commune de Thoissey : s’engager
sur le temps long pour la préservation d’une allée (Thoissey, Ain)
Route départementale – 900 m – 177 platanes

Y a-t-il plus emblématique de la France telle que la rêvent les touristes étrangers que cette route départementale 7 bordée de platanes, ces impressionnantes colonnes claires qui disparaissent plus ou moins dans un frou-frou de feuillage vert jouant avec la lumière, dans une étrange alliance de force et de légèreté ? Comment en parler autrement qu’en termes de monument, d’engagement de la population comme des élus, depuis la décision de planter (1808) jusqu’à aujourd’hui, où, après le bicentenaire de 2008, on oeuvre pour permettre de fêter dignement le tricentenaire ?

L’histoire de la plantation est classique en ce sens qu’elle mêle des raisons pratiques et d’agrément : il s’agissait de protéger de l’érosion la levée de terre bordant le canal reliant Thoissey à la Saône mais, comme l’indique le recueil des délibérations du conseil municipal de 1808, c’était aussi « pour le rapport de l’agréable, vu que ce terrain ainsi planté pourra aussi par la suite fournir, ainsi que la chaussée, des promenades agréables ». Après ce premier engagement, il y en eut un autre, décisif pour le maintien de l’allée de platanes : en 1880, alors que le conseil général
de l’Ain avait décidé de couper les arbres, la population fut indignée « par un tel acte de vandalisme » et les conseillers municipaux demandèrent « avec énergie de surseoir à ce projet malheureux ». Le préfet de l’Ain annula alors la décision pour le bonheur de tous ceux qui admirent aujourd’hui ce monument, tout comme de ceux — peintres, aquafortistes, photographes ou cinéastes — qu’elle a inspirés depuis deux siècles.
Après la fête du bicentenaire, qui associait notamment les enfants des écoles, la municipalité met aujourd’hui en valeur cette allée comme un élément du patrimoine de la commune au même titre que les autres points d’intérêt de celle-ci, l’intègre à l’itinéraire touristique de découverte de la ville et projette un ouvrage sur les platanes de la commune.

Du haut de deux siècles… © J. Loupforest

La chance des platanes de Thoissey, qui explique leur longévité, est qu’ils n’ont pas trop été « chahutés » par le passé. En effet, toute intervention sur les arbres ou à proximité —élagage ou aménagement des abords susceptibles de perturber le système racinaire— les fragilise ou constitue un risque d’infection. Le triste sort des platanes du canal du Midi nous rappelle que ces colosses sont fragiles, et en particulier menacés par le chancre coloré. L’arrêté national du 22 décembre 2015 impose d’ailleurs des mesures réglementaires pour tenter de limiter la propagation de la maladie qui remonte du sud et a déjà atteint la région parisienne [3]. Veiller sur des arbres ne s’improvise pas et nécessite des spécialistes compétents, experts en arboriculture ornementale et arboristes- grimpeurs, tant pour définir les interventions — qui doivent être limitées au strict nécessaire (ici tous les trois ou quatre ans, avec enlèvement des rejets le long du tronc pour ne pas gêner la circulation et du bois mort dans le houppier) — que pour leur réalisation dans les règles de l’art.

Se pose la question du renouvellement, que l’on espère ainsi le plus lointain possible au-delà du tricentenaire. Ne conviendrait-il toutefois pas de replanter d’ores et déjà des allées d’arbres ayant vocation à créer aussi durablement des monuments qui feront la fierté et l’identité commune de cette région et auront l’ampleur nécessaire lorsque l’allée actuelle déclinera ? Voilà un chantier à ouvrir sans tarder avec les communes limitrophes et le servicee des routes du conseil départemental.



Allées d’arbres et biodiversité

 
En France, les inventaires de biodiversité liés aux allées sont généralement effectués en prévision d’interventions sur les arbres et s’intéressent exclusivement aux espèces protégées, la dégradation de leurs habitats exposant à des sanctions. L’étude bibliographique Allées d’arbres en Europe et espèces des listes rouges. De la connaissance à l’action, disponible sur le site www.journals.openedition.org, s’appuie sur des inventaires européens plus exhaustifs. Elle met en évidence que les allées d’arbres, dans les villes comme dans les campagnes, jouent un rôle important en tant qu’habitat et corridor pour de nombreuses autres espèces, en particulier d’insectes, de lichens et de mousses, au statut de conservation fragile (espèces des listes rouges). Un seul arbre d’une allée peut, à lui seul, abriter une dizaine d’espèces de mousses et une vingtaine d’espèces de lichens. Au total, une allée peut héberger une centaine d’espèces de papillons et plusieurs centaines d’espèces de coléoptères.

Ce rôle important des allées s’explique par leur forme linéaire, leur voûte, les conditions d’éclairement et d’hygrométrie particulières, mais aussi et surtout la pérennité de ces structures et la longévité des arbres, soustraits à une exploitation forestière. Mémoire longue des espaces qui les entourent, les allées sont souvent seules à pouvoir garantir la présence d’un cortège de vieux — voire très vieux — arbres dans le paysage, et donc, avec eux, une quantité importante d’espèces, dont certaines menacées de disparition.

L’importance des allées pour la biodiversité a des conséquences en termes de gestion : il s’agit de préserver des habitats et des corridors fonctionnels. Cela impose de maintenir les allées en tant que structure paysagère mais aussi, individuellement, les arbres qui les composent, moyennant le cas échéant des mesures pour assurer la sécurité. Cela impose également d’anticiper et de mettre en place les conditions qui permettront de créer les habitats et les corridors de demain, en plantant en regarnis dans les alignements existants et en plantant de nouvelles allées, en particulier dans les espaces ouverts.

La particularité des allées, par comparaison aux autres arbres, est que leur rôle ne se limite pas à l’aspect biologique ou environnemental : elles sont aussi un patrimoine culturel et paysager fort et la prise en compte de l’esthétique de l’ensemble —« architecture » végétale codifiée depuis les traités des jardins à la française — reste un critère d’appréciation à prendre en compte, comme le prévoit l’article L 350–3 du Code de l’environnement. Ceci peut impliquer des choix de gestion différents, notamment en termes de moment et d’ampleur des renouvellements. En fonction des objectifs recherchés, les arbitrages, se feront nécessairement au cas par cas.

C’est aussi la raison pour laquelle la question de la diversité des essences face aux risques de maladies ou de ravageurs mérite d’être abordée de manière fine. Si cette diversité à l’intérieur d’une allée a existé par défaut en rase campagne dans certains pays comme la Suède, elle ne fait, globalement, pas partie de la tradition française ni des pratiques historiques associées aux allées de châteaux ou de demeures nobles. Si cette diversité à l’intérieur d’une allée est souhaitée, l’importance du caractère architectural et structuré des allées, quel que soit le milieu, fera rechercher une « formalisation » de celle-ci, associée à des événements particuliers du parcours. La diversité intraspécifique constitue une autre stratégie de choix pour respecter une unité d’aspect tout en évitant le risque de voir l’ensemble d’un alignement décimé par une maladie ou un ravageur. Un effort, en particulier des pépinières, doit être fait en ce sens. Ceci étant, plus un territoire est riche en allées, plus la diversité peut être pensée à une échelle plus large que celle de la seule allée.

Imprimer l’article de la revue Sites & Monuments n° 228-2021

Notes

[1Voir le Traité de jardinage de Jacques Boyceau publié en 1638.

[3Voir le guide Chancre coloré du platane. Guide de bonnes pratiques pour la lutte, disponible sur www.plante-et-cite.fr.