Neuf éditions déjà pour le prix « Allées d’arbres » ! Avec trois lauréats retenus par le jury cette année (sur seize dossiers présentés), ce sont trente-neuf lauréats dans presque autant de départements qui auront déjà été mis à l’honneur pour leurs actions en faveur des allées. Mais, que les dossiers soient lauréats ou non, le jury n’est jamais avare de conseils et de recommandations lorsque cela lui paraît utile, de sorte que ce sont près de cent cinquante actions qui ont déjà reçu un coup de pouce depuis la création du prix en 2016.
Le domaine du Plan d’Apt, à un jet de pierre au nord de la ville d’Apt, dans le Vaucluse, est attesté depuis le XVe siècle. Site dont la vocation était à l’origine agricole, il connaît au XVIe siècle une période de prospérité qui suscita des jalousies et se conclut tragiquement. Les propriétaires avaient fait venir du Piémont des Vaudois, disciples du Lyonnais Pierre Valdo, réputés pour leurs qualités de travailleurs agricoles. On prit prétexte de reprocher à ces travailleurs de lire la Bible en français et à la maison — depuis le Concile de Chanforan en 1532, les Vaudois s’étaient ralliés à la Réforme — et l’exploitant du domaine fut jugé et brûlé sur la place publique en 1540. Cela marqua le début des violences qui culminèrent avec un massacre généralisé des Vaudois du Lubéron en 1545.
Au XVIIIe siècle, les propriétaires d’alors, officiers supérieurs de l’armée, entreprennent une rénovation des constructions et des abords. Un plan de jardin à la française est établi, mais ne sera pas réalisé. L’une des deux allées de platanes qui ornent aujourd’hui le domaine suit cependant le tracé de ce plan. Elle est complétée d’une deuxième allée qui la rejoint au-devant de la bastide, dans une configuration en V inhabituelle. Cette deuxième allée mène à un bassin autour duquel s’enroule, en un cercle parfait, un autre alignement de platanes.
Deux allées totalisant 96 platanes — auxquels s’ajoutent les 15 arbres plantés autour du bassin — cela ne pèse-t-il pas bien peu dans le paysage ? Pourtant, impossible de ne pas les remarquer ! C’est que, de toutes les formes, la ligne droite est la structure que l’œil perçoit avec la plus grande acuité. Or, avec leurs deux bons siècles et leurs 30 mètres de hauteur, ce sont des géants qui composent ces droits corridors ! Justement parce qu’il s’agit de corridors et parce que les arbres se sont maintenus sur un temps très long, ces allées, en lien avec leur environnement, jouent également un rôle important pour la biodiversité. Les inventaires réalisés par la Ligue pour la protection des oiseaux et le Groupe Chiroptères de Provence — on pense aussitôt au rôle des structures linéaires qui servent aux chauves-souris à se repérer — en attestent.
Chose plutôt inhabituelle, la préservation du patrimoine de la Bastide du Plan était inscrite dans l’acte de vente de 1997. Une disposition que ne renierait pas certain notaire de l’est de la France, fervent défenseur des arbres, qui invite justement à inclure une clause d’engagement de conservation des arbres dans les actes de vente en stipulant en outre une pénalité dans le cas où leur élagage serait effectué dans des termes non prévus à l’acte. En l’occurrence, les propriétaires de la Bastide du Plan ne risqueraient guère de pénalité : depuis plus d’un siècle, les arbres sont laissés en port libre et l’intervention des élèves-arboristes du Centre forestier de la Bastide des Jourdans est limitée à l’enlèvement du bois mort. La majesté des arbres ainsi traités contraste avec le spectacle de tant d’autres arbres que l’on voit encore élagués pour rien dans nos villes et nos campagnes — pour rien si ce n’est, au final, pour les faire mourir à petit feu.
Entretenir avec respect l’existant est la base de la préservation des allées. À cela doit s’ajouter, selon les nécessités, la replantation, faute de quoi la structure même de l’allée disparaît elle aussi à petit feu. À la Bastide du Plan, ce seront donc cinq platanes qui viendront combler des manques dès cet automne. Il sera sage, comme le jury le recommande toujours, de planter des arbres de petit calibre, moins coûteux, moins gourmands en eau au cours des années cruciales de leur établissement, plus résilients dans cette première phase délicate, et qui rattrapent vite des arbres de calibre 20/25 ou plus. Entretenir avec respect. Replanter. Mais aussi sans cesse mettre les allées en valeur et faire reconnaître leurs qualités : c’est une nécessité pointée par le livre blanc sur les allées d’arbres qu’avait publié le Conseil de l’Europe. Et sur ce point également, les propriétaires ne sont pas en reste, avec leur participation au concours, mais aussi le label « Ensemble arboré remarquable » de l’association A.R.B.R.E.S, c’est l’acronyme de (Arbres Remarquables : Bilan, Recherche, Études et Sauvegarde) et celui de « Refuge LPO ».
Tout cela ne devrait-il pas amplement suffire ? Sans doute. Mais quel sens cela aurait-il de bien traiter le patrimoine de la Bastide du Plan si tout autour la pression foncière et les mauvaises pratiques dégradent ou font disparaître les allées ? C’est ainsi que les propriétaires de la Bastide du Plan souhaitent aller encore plus loin et demander la protection de leurs allées dans le plan local d’urbanisme avec l’espoir, bien sûr, que cette protection soit étendue à terme aux autres allées du secteur, en particulier la route départementale. Histoire à suivre, donc !
Le château de La Houssoye, tel que nous le connaissons aujourd’hui, au sud de Beauvais, remplace dans les années 1775 à 1780 un ancien château, probablement médiéval. À l’occasion de la construction des nouveaux bâtiments — le château se voit également doté d’une ferme —, les abords sont réaménagés : une partie du parc boisé est transformée en jardin de structure classique, avec un axe central cadré par la végétation et situé dans l’axe du bâtiment ; une autre partie est transformée en terres de labour ; à l’avant, l’allée simple qui figurait avec la mention « avenue » sur un plan antérieur, désignant ainsi l’allée d’accès au château, est complétée par une troisième rangée d’arbres qui permet de recentrer cette « avenue » sur le bâtiment et d’en respecter l’axialité.
Aujourd’hui, le château est coupé de son ancienne « avenue » par la route dépar- tementale, l’allée a perdu un rang et elle est devenue communale. Comment, dans ces conditions, s’assurer que le caractère indissociable du bâti et de ses abords ne soient pas altérés ? Si cette allée venait à être détruite, en totalité ou partiellement, on effa- cerait un élément majeur pour comprendre la relation du château à son environnement. Mais la commune et ses habi- tants se verraient également privés d’un élément paysager de grand intérêt, qui forme un écrin et un écran aux constructions, un élément qui signe l’entrée de la commune depuis la route départementale, et qui, côté village, le
« contient » et empêche l’urbanisme d’empiéter sur les terres agricoles. En outre, on perdrait également un maillon de la trame verte et bleue entre deux zones Natura 2000.
C’est ce qui a motivé les propriétaires du château de La Houssoye à faire évaluer l’intérêt patrimonial du château et de ses abords et le rôle environnemental des éléments végé- taux du site. En effet, il leur a semblé que seul un classement du château et de ses abords permettrait de protéger l’ancienne « avenue » devenue publique et d’éviter qu’elle ne soit définie comme « zone constructible » dans le plan local d’urbanisme en cours d’élaboration ou ne soit amputée par divers aménagements. En effet, ils ont relevé que le schéma de cohérence territoriale du Pays de Thelle ne fait aucune référence au patrimoine des parcs et jardins mais que, au moins, l’atlas des paysages de l’Oise s’intéresse aux éléments protégés au titre des monuments historiques ou des sites. Une première étape est franchie. Nous espérons que l’issue sera favorable.
Le nom de Choisel ne vous dit peut-être rien. Mais le château de Breteuil, avec ses personnages de cire du musée Grévin et ses scènes des contes de Perrault ? Sur le plateau du parc naturel régional des Yvelines, au sud de Versailles, vous quittez le château en passant par une allée rectiligne au classicisme parfait, plantée de tilleuls, puis vous continuez par une allée de peupliers d’Italie aussi raides que le tracé de la voie qu’ils accompagnent est délié. Et, avant que la voie communale ne rejoigne la route départementale, vous empruntez enfin une allée de poiriers bien roturière, destinée à la production de poiré, comme il en existait tant d’autres en Île-de-France. C’est sur cette allée de poiriers rectiligne que porte toute l’attention de la commune de Choisel. La nature des arbres — des poiriers greffés sur franc — et leur âge — peut-être sont-ils déjà deux fois centenaires — lui donnent une imposante ampleur dans le paysage. L’âge des arbres est aussi le gage d’une haute valeur écologique par la présence accrue de dendromicrohabitats, ces bois morts, anfractuosités, cavités, etc., indispensables à certaines espèces d’oiseaux, d’insectes, de lichens ou de mousses…
De ce fait, mais aussi parce que ces allées de poiriers sont devenues rares, il serait intéressant de disposer d’un inventaire de la faune et de la flore associées. Peut-être y découvrirait-on que l’allée peut aussi être considérée comme un patrimoine culturel biologique : lors du dernier colloque sur les allées d’arbres organisé par Allées-avenues/allées d’avenir avec le conseil départemental de l’Aude en 2023, des chercheurs suédois ont montré comment les allées, qui s’avèrent être des structures extrêmement pérennes dans nos paysages, servaient de refuges à certaines espèces quand leur environnement s’appauvrissait, et comment elles pouvaient ainsi témoigner des usages passés des espaces environnants.
Comme bien souvent, c’est un événement brutal qui a sans doute fait prendre conscience de la nécessité d’agir si l’on veut pouvoir pérenniser cette allée, ce qu’impose d’ailleurs le Code de l’environnement : si la tempête de 2019 a épargné les poiriers de l’allée, il n’en a pas été de même de ceux qui bordaient la petite mare voisine puisque, sur la dizaine d’arbres, trois seuls avaient subsisté. L’allée de poiriers comporte néanmoins déjà, elle aussi, quelques « dents creuses » (huit pour un total de quarante-six emplacements) et l’armillaire, un champignon qui s’attaque aux racines, amoindrissant la stabilité des arbres, a été observé au pied d’un des arbres. Replanter est donc aujourd’hui déjà un impératif. Pour cela, la commune est face à deux options : le remplacement en lieu et place des arbres existants, au fur et à mesure des besoins, ou une plantation par phases de jeunes arbres entre les arbres existants (distants de 15 mètres sur le rang). Cette dernière option, permettant de faire cohabiter localement vieux arbres et jeunes arbres, est bénéfique pour les espèces liées aux vieux arbres, qui peuvent avoir le temps de se trouver un nouveau logis. Elle permet également d’implanter les nouveaux arbres plus près du bord de la route et de les éloigner ainsi de la bordure des champs pour éviter que les racines et le houppier ne soient endommagés par les travaux agricoles. La commune souhaite coupler le projet de replantation des poiriers manquants avec la création d’un verger pédagogique contribuant à conserver des variétés anciennes de poiriers. Cela ajoute une dimension participative et citoyenne au projet. N’est-ce pas là ce dont nos sociétés ont le plus besoin aujourd’hui ?
En novembre 2023, Allées-Avenues/ allées d’avenir organisait avec le conseil départemental de l’Aude son deuxième colloque international sur les allées. Intitulé « La beauté essentielle des allées d’arbres », il explorait la dimension esthétique de ce patrimoine. L’histoire fut convoquée, mais aussi le présent. Il s’agissait notamment de témoigner de la manière dont la beauté — des allées en particulier — nous aide à vivre, individuellement et socialement. Cela fut mis en regard des politiques dites de la « route qui pardonne » qui lient la sécurité routière à l’absence d’obstacle (et donc d’arbres) en bord de chaussée.
Le colloque s’est achevé par l’adoption de la « déclaration de Carcassonne » qui dit ainsi :
- Que les allées d’arbres, quelles qu’elles soient, sont un patrimoine culturel et naturel d’intérêt général qui contribue à la vie ;
- Que les politiques publiques doivent traduire cela concrètement pour assurer le maintien et la replantation d’allées ;
- Que pour cela, l’application de distances minimales pour le maintien et la replantation d’allées (distances au bord de chaussée ou distances aux propriétés voisines), doit être abandonnée.
Outre les participants au colloque, la déclaration est soutenue par des élus français, allemands et anglais et reste bien sûr ouverte à tout nouveau soutien. Vous trouverez le détail à l’adresse www. allees-avenues.eu/les-allees/les-allees-et-la- securite-routiere.