Les dossiers reçus pour l’édition 2022 du Prix démontrent une fois encore l’intérêt de préserver les ouvrages de second œuvre, quelle que soit leur nature et leur cadre, rural ou urbain, modeste ou prestigieux. Menuiseries, ferronneries, dallages, enduits, peintures ne participent pas à la stabilité des constructions et sont la plupart du temps considérés comme des éléments simplement décoratifs. Ils sont de ce fait les premières victimes d’opérations de réhabilitation, par ignorance, par souci d’économie ou par l’application mal comprise des exigences d’isolation. On oublie trop souvent qu’ils tiennent une place primordiale dans la qualité et le caractère d’un patrimoine bâti.
Les trois lauréats de cette année, chacun dans leur contexte, en apportent la preuve et ont retenu l’attention du jury pour leur caractère exemplaire : même volonté de deux communes rurales de faire revivre leur patrimoine vernaculaire, choix d’un propriétaire de ne pas céder à la mode urbaine des devantures « dans l’air du temps ». Trois démarches de rénovation ou de restauration d’un patrimoine souvent qualifié de « petit » mais qu’il est essentiel de protéger pour le transmettre aux générations futures. Trois exemples à suivre.
Le décor retrouvé de Notre-Dame de la Tête-Ronde
La municipalité de Menou, dans la Nièvre, a présenté la remise en valeur du décor intérieur de la chapelle Notre-Dame de la Tête-Ronde réalisé dans le cadre de sa restauration générale. La chapelle porte le nom de la colline au sommet de laquelle elle a été édifiée, entre 1872 et 1875. Sa construction répondait au vœu des habitants (exaucés !) d’élever une chapelle si leur village était épargné par la guerre de 1870.
Son décor intérieur a été créé dans les années 1950 par l’affichiste Charles Loupot, à l’occasion d’une campagne d’embellissement de la chapelle lancée par le curé de la commune. L’artiste réalisa pour la chapelle dix peintures murales caractéristiques de son art géométrique et synthétique : des silhouettes dessinées en quelques traits d’un noir profond évoquent plusieurs épisodes de la vie de la Vierge Marie. Charles Loupot créa également les cartons des vitraux actuels, réalisés vers 1952 par le maître verrier Max Ingrand. L’amitié qui unissait le curé de Menou et Charles Loupot est probablement à l’origine de cette unique incursion de l’artiste dans le domaine de l’art sacré. La chapelle est inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 1994.
Le temps a fait son œuvre et le décor de Charles Loupot a souffert. Vers 1974, deux des peintures d’origine, ayant subi des altérations irréversibles dues à des infiltrations, ont été recouvertes lors d’une campagne de rénovation initiée par le fils de l’artiste. Elles ont été remplacées par deux autres dans le style de Charles Loupot, dont l’auteur reste anonyme. Le décor de la chapelle a continué à se dégrader au fil des années. L’état de la toiture, des mouvements dans la structure du bâtiment et la poursuite des infiltrations, ont fini par rendre indispensable une restauration globale de la chapelle, un projet lourd pour une commune de quelque deux cents habitants.
La municipalité a su solliciter administrations et mécènes pour réunir les ressources financières qui lui faisaient défaut étant donné l’ampleur des travaux. Sa ténacité lui a permis de réunir une bonne partie des fonds nécessaires et de lancer en particulier le chantier de restauration de ce décor unique.
Le jury a apprécié à sa juste mesure l’action de la municipalité, soucieuse de préserver son patrimoine, ainsi que la qualité des études et travaux réalisés pour la restauration du décor intérieur de la chapelle. Le diagnostic réalisé par les deux restauratrices a montré que la plupart des peintures murales présentait un état de conservation ne mettant pas en péril leur intégrité. Trois types de dégradations ont été constatés : mécaniques (fissures, soulèvements d’enduit), biologiques (développement d’algues et de remontées salines) et physico-chimiques (usures de la couche picturale, écaillages d’un badigeon, traces de pluviales).
La restauration des peintures des murs latéraux de la nef et du cul-de-four a essentiellement eu pour objectif de purger, consolider, refixer les enduits et de boucher des lacunes. La restauration de la Crucifixion a nécessité un traitement biocide, le nettoyage de la couche picturale, le dégagement des badigeons obsolètes, le bouchage des lacunes et une réintégration picturale a tratteggio. Des badigeons a mezzo fresco ou a secco, selon les endroits, ont été posés pour harmoniser les interventions passées et celles de 2021. Enfin, un refixage de l’ensemble de ces peintures a parachevé la restauration.
Le cas des deux peintures anonymes, en mauvais état de conservation, était différent. Il fallait d’abord vérifier si une partie des peintures de Charles Loupot subsistait sous ces reconstitutions. Les sondages réalisés ont conclu à une disparition complète des peintures d’origine. Une des peintures anonymes était trop altérée pour être restaurée. L’autre pouvait l’être, ce qui présentait l’avantage de conserver une trace de la reconstitution de 1974, mais sa conservation aurait créé une dissonance avec le reste du décor étant donné sa facture différente de celle des peintures d’origine. Il a donc été décidé, en accord avec l’administration du patrimoine, de se baser sur des esquisses du projet de décor conservées au musée de Clamecy (Nièvre) pour reconstituer deux épisodes dessinés par l’artiste. Un choix qui permet aux visiteurs d’aujourd’hui de contempler un décor fidèle au programme initial conçu par Charles Loupot.
L’objectif de la municipalité est désormais de donner une nouvelle vie à la chapelle restaurée et de la faire connaître. Plusieurs festivités ont marqué la fin de la restauration : journée d’inauguration, visite en liaison avec le musée de Clamecy, ouverture lors des Journées du patrimoine. Une exposition photographique et une « fête ronde » ont été organisées pendant l’été 2022. Une autre exposition est déjà prévue pour 2023. D’autres projets devraient voir le jour. La dynamique équipe municipale ne manque pas d’idées.
Architecte : Simon Buri
Restauratrices : Sarah Monier et Tatiana Ullois
La renaissance d’une devanture historique (Bordeaux)
Un dossier peu commun a vivement intéressé le jury de l’édition 2022 : il portait sur la restauration de la devanture en bois peint d’une épicerie de produits basques au cœur de Bordeaux.
Ornée d’un fronton triangulaire, d’une imposte vitrée en éventail avec un angelot et d’un décor de quatre colonnettes couronnées de cariatides en staff , la devanture en forme de temple s’était fortement dégradée avec le temps. Le support en bois du décor était dans un état préoccupant. Des sculptures d’origine, seuls subsistaient l’angelot et une partie très altérée d’une des cariatides. Une restauration devenait urgente.
Redonner à la devanture son état d’origine, heureusement bien documenté, a été l’objectif fixé par la famille propriétaire pour la restauration. Des amoureux du patrimoine bordelais s’étaient penchés dans le passé sur cette devanture peu commune, inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1962. Des relevés et des photos anciennes se sont révélés précieux pour mener à bien la restauration et la nécessaire recréation des éléments disparus ou trop dégradés pour être restaurés.
Le jury a tenu à saluer les travaux réalisés et les études menées en amont de la restauration :
— Une analyse stylistique a permis d’identifier l’origine probable de ce décor sculpté, vraisemblablement inspiré de motifs décoratifs de l’hôtel de Beauharnais à Paris, et donc de dater sa construction autour de 1805–1810. La devanture est ainsi l’un des plus anciens témoins de l’architecture commerciale de Bordeaux.
— Les bois anciens en bon état ont été conservés et restaurés, les autres ont été remplacés à l’identique.
— Après de nombreux essais, les têtes des cariatides ont été restituées à partir des éléments restants et des photos anciennes.
— L’angelot et les flèches de l’imposte ont été restaurés et ont retrouvé leur dorure initiale.
— Les études stratigraphiques ont révélé que les éléments sculptés avaient été recouverts de six (!) couches successives de peinture de différentes couleurs. Elles ont permis de retrouver la couleur marron d’origine de la devanture et de la restituer.
Réalisée dans les règles de l’art, avec un grand professionnalisme, la restauration de cette devanture historique est exemplaire, dans un contexte urbain où la nature des commerces évolue rapidement et entraîne généralement la transformation des devantures en fonction des activités commerciales. Ce décor intemporel et exceptionnel, deux fois centenaire, devrait résister aux modes et défier les années. Souhaitons qu’il en soit de même pour d’autres devantures anciennes, à Bordeaux et ailleurs…
Maître d’œuvre : Architecture Patrimoine
Restauration : entreprise FERRIGNAC (menuiserie), SOCRA (statuaire),
Entreprise TMH (Pierre et zinc), entreprise TIM Kruse (peinture)
Quatre maisons en une (Chavanges - Aube)
La municipalité de Chavanges a présenté les travaux de second œuvre réalisés dans le cadre de la rénovation de quatre maisons de son centre-ville. Une réalisation emblématique de la politique menée depuis quinze ans par l’équipe municipale : « Restaurer, Rénover, Réhabiliter » le patrimoine ancien en lui donnant de nouvelles
attributions et faire revenir dans les maisons restaurées des services de proximité disparus au cours des dernières décennies.
Pour ce faire, il a fallu mobiliser les administrations de tutelle et les convaincre de la viabilité des projets présentés. Des financements ont été accordés. En quinze ans, onze maisons ont été restaurées dans ce cadre. Outre des logements, Chavanges a ainsi retrouvé une boulangerie, un salon de coiffure, une maison de
santé, une « servicerie » (cordonnerie, retouches de vêtements, mercerie) et un supermarché de proximité. L’objectif des travaux présentés était de permettre le développement de services de santé de cette commune de six cents habitants.
Les quatre maisons concernées sont des bâtiments modestes, chacun avec une façade différente. Leur date exacte de construction n’est pas connue mais s’est vraisemblablement échelonnée entre le XVIIe et le XIXe siècles, comme les maisons voisines dont certaines portent une date. Elles sont situées au centre du bourg,
face à la maison médicale et à la halle historique. Deux des maisons avaient abrité des logements, les deux autres des commerces. Elles ont perdu leurs occupants entre 1980 et 2010. Laissées à l’abandon, certaines menaçaient ruine et la municipalité a pu les racheter en 2016 pour un prix modique. D’autres municipalités
auraient rasé et reconstruit. Chavanges a appliqué la politique des « trois R » pour leur donner une nouvelle vie.
Une fois les autorisations administratives accordées et le budget bouclé, le défi a d’abord été de reprendre les structures des quatre maisons, dont certaines étaient en péril, puis de réaliser leur intégration par l’intérieur. L’objectif était de les réunir sans modifier leur alignement ni leur façade d’origine. Le tout en appliquant,
pour l’épaisseur des parois et des ouvrants, les règles du plan Climaction lancé par la région Grand Est pour favoriser les économies d’énergie. Objectif atteint !
Les façades Est, en bois et torchis, moins touchées par les intempéries, n’ont subi que peu de transformations. Les façades Ouest sur rue, exposées à la pluie, ont fait l’objet chacune d’un traitement spécifique. S’il a fallu reconstruire les pans de bois et torchis de la première maison, le bardage en essentes de châtaigner de la seconde a nécessité des retouches mineures. Les tôles de la troisième ont été changées et repeintes, les bois sous-jacents remplacés ou consolidés. Son balcon en ferronnerie, posé en 1907, probablement à la même époque que le bardage en tôles, n’était plus utilisable depuis des décennies étant donné son état. Il a été restauré par un atelier spécialisé et remis en place, après remplacement des pièces de bois qui le soutiennent
sous les tôles. La façade de la quatrième maison, en pierre et briques, a été sablée et nettoyée. Les menuiseries des maisons, très dégradées pour la plupart, n’ont pu être récupérées. Mais leur séquencement et leurs dimensions ont été respectés.
Pas de restauration possible non plus pour l’intérieur des maisons réunies entre elles. Il a logiquement été complètement remanié. Un élément ancien inattendu a cependant été restauré et remis en place : un escalier métallique hélicoïdal, aux marches en chêne. Dissimulé autrefois par des planches dans l’arrière-boutique de l’un des commerces, il donnait accès à la réserve de marchandises. Après restauration par un atelier de ferronnerie, l’escalier a été déplacé de quelques mètres et orne aujourd’hui l’entrée d’une des maisons. Il constitue l’un des éléments du décor et ses matériaux — métal et bois — ont été déclinés dans l’aménagement intérieur.
Ultime détail : La planche en bois portant le nom du dernier exploitant de l’une des maisons a été nettoyée et a retrouvé sa place au-dessus de sa porte. Il faut pousser la porte pour réaliser que les quatre maisons ne font plus qu’une ! Une maison à quatre façades, toutes différentes mais « comme avant », en totale harmonie avec le reste de la rue.
Maître d’œuvre : EIRL Mathieu BATY — architecte du patrimoine
L’Art du bois (menuiseries), Arts et Forges (serrurerie, ferronnerie, ferblanterie),
Générale peinture (peinture), Dybiec OBS (essentage et pans de bois), BL Capristo (enduits)