Le 10 mars dernier, la société Hauts-de-Seine Habitat et l’Office municipal HLM de Nanterre, propriétaires des 18 « Tours-Nuages » édifiés dans le quartier Pablo Picasso, se sont associés pour lancer un « concours pour la réhabilitation thermique et la réinterprétation artistique des façades des Tours-Nuages ». Ce projet situé en Quartier prioritaire de la politique de la ville a été retenu par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine au titre de programme d’investissement d’avenir (PIA) et le début des travaux prévu pour septembre 2018.
Ce projet est inquiétant pour trois raisons : il touche l’un des ensembles urbains et paysagers les plus reconnus du patrimoine du XXe siècle, se propose de « faire évoluer » une œuvre emblématique de l’architecte Émile Aillaud (1902-1988) et vise la destruction d’une vision poétique remarquable conçues par Fabio Rieti (1927-), face au quartier d’affaires de la Défense.
Ce Grand Ensemble édifié entre 1972-1981, reconnu dès septembre 1999 par la ministre Catherine Trautmann comme un élément remarquable du Patrimoine du XXe siècle a reçu le prestigieux label du "Patrimoine du XXe siècle" en décembre 2008, lors de la campagne menée sur l’habitat francilien des Trente Glorieuses par la Direction régionale des Affaires Culturelles et relayée par une exposition et des publications institutionnelles régionales et nationales. En 2011, un ouvrage préfacé par le président de l’ANRU et le ministre de la Culture et édité par ce ministère, Les Grands Ensembles, une architecture du xxe siècle, range les Tours-Nuages et leur environnement paysager parmi les éléments insignes du patrimoine français, ce dont témoigne les magnifiques photographies aériennes de l’artiste américain Alex Mac Lean.
D’après l’actuel communiqué de presse des bailleurs, repris dans la presse spécialisée nationale, il semblerait que ce concours, élaboré « en liaison avec les services du Ministère de la Culture », vise à « faire évoluer » l’œuvre d’Emile Aillaud et à proposer « une nouvelle interprétation artistique de l’œuvre de Fabio Rieti. » En termes clairs, la réhabilitation thermique par l’extérieur risque de ruiner l’originalité de la forme des fenêtres dessinées par l’architecte et de supprimer le revêtement poétique et coloré de l’artiste. Un même ministère peut-il tenir un double discours, générateur de conflits ?
Sites & Monuments avait beaucoup œuvré et espéré dans la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la Liberté de la Création, à l’Architecture et au Patrimoine (LCAP) qui met notamment en place plusieurs dispositifs de reconnaissance, de valorisation et de protection du patrimoine – notamment par une attention aux éléments de second œuvre - et renouvelle les perspectives d’attention à l’architecture du XXe siècle. De même, Sites & Monuments, en liaison avec les associations du « G8 Patrimoine », a obtenu de la Ministre de l’Environnement la modification du décret du 30 mai 2016 pour l’isolation par l’extérieur en cas de ravalement important de façade, notamment pour les édifices labellisés « Patrimoine du XXe siècle », afin de préserver leur qualité architecturale (voir communiqué de presse du 23 novembre 2016).
Sites & Monuments souhaite que le ministère de la Culture ne cautionne pas de telles pratiques, allant à l’encontre des politiques qualitatives qu’il entend lui-même promouvoir et des directives de bon sens du ministère de l’Environnement sur l’isolation par l’extérieur des édifices labellisés "Patrimoine du XXe siècle". C’est pour ces raisons que Sites & Monuments a demandé à Madame la ministre de la Culture, dans une lettre en date du 21 mars 2017, que tout soit mis en œuvre pour préserver la qualité de cet ensemble unique, au besoin par une inscription au titre des monuments historiques.
Bernard Toulier, administrateur de Sites & Monuments