Le site de la SPPEF a évoqué à deux reprises déjà (décembre 2013, puis mars 2014) le projet de modification des règles du plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) du secteur sauvegardé de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) s’agissant d’une ancienne succursale de la Banque de France acquise par un promoteur.
La SPPEF souhaite éviter en effet une modification qui permettrait au promoteur de démolir ce bâtiment et son jardin cédés par la Banque de France en 2005 (bâtiment classé « à conserver » dans le PSMV arrêté en 1988) pour y construire plusieurs immeubles beaucoup plus hauts que les immeubles mitoyens (R+4 voire R+5 au lieu de R+2+combles).
Le dossier d’enquête publique était, comme on va le comprendre, lacunaire et « à charge » :
– la notice affirmait une absence d’intérêt historique et patrimonial d’un bâtiment pourtant appelé autrefois « hôtel de Richelieu » (le promoteur a néanmoins considéré préférable de détruire il y a quelque semaines les cheminées, trumeaux et escaliers, comme s’il craignait que ces éléments décoratifs n’empêchent l’autorisation de démolir… et ce sans réaction des autorités) ;
– la notice affirmait que les bâtiments existants ne pouvaient être, au mieux, qu’« une trace de l’implantation d’une ancienne dépendance » ;
– Il était indiqué que l’hôtel antérieur pouvait avoir un lien avec le maréchal de Richelieu, mais pas avec le Cardinal, et avait au demeurant « disparu » à la Révolution ;
– aucune datation n’était enfin indiquée pour les bâtiments existants, alors que plusieurs bâtiments voisins étaient datés...
La SPPEF et l’association locale (« Les amis du quartier Lorraine »), mobilisées pour la défense du secteur sauvegardé, ont effectué des recherches et ont découvert que la Banque de France était, avec une quasi-certitude, l’ancien hôtel de Richelieu : une aile est apparue très certainement du XVIIe siècle et l’autre a été édifiée entre 1789 et 1805. Voir le document de synthèse des associations :
12 bonnes raisons de conserver l’hôtel de Richelieu
Cette redécouverte d’un patrimoine oublié vient d’être confirmée par l’étude du cabinet Grahal, que le maire avait bien voulu missionner afin d’expertiser l’histoire des bâtiments, et par une étude archéodendrométrique effectuée par le propriétaire de l’immeuble voisin (non mentionné dans l’enquête publique mais qui s’avère désormais être une autre partie de l’hôtel de Montmorency/ Richelieu).
L’étude Grahal indique qu’il s’agit, antérieurement à 1633, de l’hôtel de Montmorency (l’une des familles les plus puissantes sous les Valois) puis de l’hôtel de Richelieu lui-même. Il s’agit donc d’un des édifices les plus anciens de Saint-Germain.
Alors que le dossier indiquait que l’hôtel antérieur avait peut-être appartenu au maréchal de Richelieu, sans autre précision, les recherches des associations et du cabinet établissent que le Maréchal-duc a vécu dans les murs existants. Il est intéressant de préciser que cette personnalité à la vie haute en couleurs (assignée à résidence dans sa maison de Saint-Germain par le Régent) a inspiré le personnage du vicomte de Valmont à Choderlos de Laclos pour ses « Liaisons dangereuses ».
Alors que le dossier indiquait que l’hôtel antérieur n’avait sans doute aucun lien avec le cardinal de Richelieu, Grahal a retrouvé l’acte d’achat de 1633 par... le Cardinal lui-même. Celui-ci l’a acheté à la princesse de Condé, sœur du dernier duc de Montmorency, qu’il venait de faire exécuter après sa révolte du Languedoc, et il a considéré la prise de cet hôtel comme un "trophée".
Quant à la datation par l’analyse du bois, elle aboutit à la période 1545-1550. L’hôtel a donc sans doute été construit par le connétable Anne de Montmorency, à l’époque où il retrouva toute sa puissance avec l’avènement de Henri II (anecdote amusante, il fut l’arbitre du duel de la « botte de Jarnac » en 1547 à Saint-Germain).
Au total, même si, comme souvent à Saint-Germain, s’agissant de résidences temporaires, la construction en est très simple et dépourvue de tout caractère monumental, il s’agit d’une des maisons les plus anciennes et prestigieuses par son histoire de la ville. L’aile fin XVIIIe siècle, construite en 1789-1790 par l’échevin de Saint-Germain, est, quant à elle, caractéristique de l’architecture du secteur sauvegardé.
L’ensemble peut être aisément réhabilité et il est choquant que le crépis ciment des années 50, ou encore le changement des fenêtres et des garde-corps, aient pu être considérés comme justifiant de faire disparaître cet immeuble en secteur sauvegardé (face au bâtiment inscrit au titre des monuments historiques de l’institut Saint-Thomas), très bien conservé puisque ouvert au public jusqu’en 2005 (si l’on met à part les dégradations intérieures volontaires du promoteur).
L’avenir est maintenant dans les mains de la mairie (qui a d’ores et déjà décidé de n’accepter des bâtiments neufs que de la hauteur des édifices anciens mitoyens) et de l’Etat. Vont-ils décider d’imposer au promoteur la conservation des bâtiments anciens, comme cela paraîtrait évident en secteur sauvegardé (ce qui n’exclurait pas la construction d’immeubles neufs à côté) ?
On notera, à ce stade, qu’il n’est pas prévu de réunion de la commission locale du secteur sauvegardé (qui n’a, au demeurant, pas été rétablie depuis les élections municipales), alors que celle-ci s’est prononcée favorablement au projet, en 2012, sur la base d’informations inexactes et lacunaires.
La SPPEF a bien évidemment saisi la DRAC et l’ABF des Yvelines de ce dossier.