C’est l’histoire d’une belle rescapée des guerres et des destructions de Saint-Cloud, celle d’une maison d’époque Napoléon III condamnée à disparaître.
Située au 24-26 rue Dailly, perchée sur la colline et proche du Pont de Saint-Cloud, elle bénéficie d’une vue panoramique remarquable sur le bois de Boulogne et l’ouest parisien. Appelée aussi "château de Pélican", elle fut édifiée à l’époque du développement du chemin de fer et de l’engouement des parisiens pour ce lieu de villégiature, coteau bordé par la Seine et rendu célèbre par son illustre château, ses fêtes, son parc et ses nombreuses guinguettes.
C’est en 1866 qu’Annie Moray, veuve de John Dowson, achète le terrain constitué de 4 maisons pour y édifier un hôtel particulier en lieu et place de ces habitations. Mais, douze ans plus tard, en 1878, très endettée, elle est contrainte de vendre aux enchères à Charles Porgès. Ce scientifique introduit en France l’éclairage électrique et fonde la Compagnie Continentale Edison. Amateur d’art, collectionneur de grands maîtres comme Rubens, Teniers, et J.J. Henner. Il accueille, dans sa nouvelle demeure, ses amis artistes et politiques, dont Gambetta.
André Chevrillon, son gendre, l’habitera à son tour avec sa famille de 1906 à 1940. Ce neveu de Taine, écrivain, académicien, anglophile, reçoit souvent dans cette maison ses nombreux amis anglais et américains dont Rudyard Kipling, John Galsworthy, T.S. Eliot ou Herbert Hoover, prédécesseur de F.D. Roosevelt à la présidence des Etats-Unis d’Amérique. Ainsi, à travers eux, André Chevrillon a su faire connaître et aimer Saint-Cloud hors de nos frontières.
Puis en 1940, les allemands s’y installent. Après-guerre, André Chevrillon et son épouse se résignent à la vendre, offensés par ces occupants, qui auraient détruit toute sa correspondance anglaise.
L’ADAPT, association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées, l’achète en 1950, pour déménager en 2010, laissant la maison sans entretien et avec des fenêtres ouvertes aux intempéries.
Une demande de permis de construire valant permis de démolir a été déposée et acceptée le 10 novembre 2014. Celui-ci précise : "l’ensemble des bâtiments […] feront l’objet d’une démolition totale, le bâtiment dit Lescoeur, considéré comme remarquable selon le PLU de Saint-Cloud, étant reconstruit à l’identique sur trois façades et la toiture".
Le projet prévoit la construction de soixante-douze logements et cinq niveaux de parkings souterrains de 146 places.
L’architecte des bâtiments de France (ABF) a autorisé cette démolition à la condition que trois façades sur 4 du bâtiment dit Lescoeur ou Napoléon III, désignées par l’article 7 du règlement du Plan local d’urbanisme (PLU) comme des éléments du patrimoine "remarquables" à protéger, soient "reconstruites à l’identique". Les pierres conservées seront démontées, numérotées et remontées après stabilisation des fondations du bâtiment et consolidation des sous-bassement de la rue Dailly.
Le prétexte avancé pour justifier cette démolition est la vétusté du bâtiment et la fragilité des fondations rendant le coût de sa réhabilitation bien trop élevé, des arguments que la Mairie met en avant pour refuser de préempter. Ce projet a été élaboré entre le Maire, l’ABF et le propriétaire sans concertation des habitants.
Lire des arguments de la municipalité : Saint-Cloud Magazine - février 2015
Rappelons que Saint-Cloud subit une pression immobilière depuis des années, pression renforcée grâce à un PLU dont certaines zones, notamment celle de la rue Dailly, profitent d’une majoration de leurs droits à construire. La liste de 23 bâtiments "remarquables" annexée au PLU est insuffisante et inutile puisque ne garantissant aucune protection réelle, celle-ci se traduisant, à Saint-Cloud, souvent par un accord pour démolir avec certaines préconisations architecturales.
Ces éléments mettent en lumière une curieuse interprétation, voire une contradiction évidente, un bâtiment remarquable faisant l’objet d’une démolition...
Cette maison est une miraculée de l’histoire clodoaldienne. Elle survit à l’incendie de la ville par les prussiens en 1871, rescapée parmi les 21 bâtiments indemnes du centre-ville, elle échappe aux répercussions des bombardements de la dernière guerre et se maintient lors des constructions des grands ensembles immobiliers des années 1960 et 1970.
Cette maison est un monument important pour la ville de Saint-Cloud, ville impériale, signalée comme telle aux entrées de la ville, comme sa voisine Rueil-Malmaison, dernier témoin d’un passé glorieux. Elle est mentionnée depuis plus de 20 ans à l’Inventaire du ministère de la Culture (Base Mérimée, voir ici, ici et ici). Tout cela pour être démolie en 2015 !
Pouvons-nous consentir à la démolition de ce bâtiment inventorié comme "remarquable" et emblématique de la ville de Saint-Cloud et accepter à son emplacement une "reconstruction à l’identique" qui ne serait qu’un pastiche, quelques éléments décoratifs anciens appliqués sur une structure moderne en béton ?
Une seule raison suffit pour sauver cette maison, sa beauté brandie comme un étendard en entrée de ville, beauté qui appartient à tous et que nous avons le devoir de transmettre aux générations futures.
Sophie Michaud, correspondante de la SPPEF pour la ville et le domaine de Saint-Cloud
Saint-Cloud, le 7 février 2015.
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A lire également l’article de La Tribune de l’Art sur Saint-Cloud