Sept associations demandent l’expropriation du monastère de la Visitation au profit des Parisiens

Le 4 décembre 2023, sept associations ont adressé à Monsieur Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, madame Rima Abdul Malak, ministre de la Culture et madame Anne Hidalgo, maire de Paris, une demande de placement sous instance de classement et d’expropriation pour cause d’utilité publique du jardin, des chapelles et de la ferme urbaine du monastère de la Visitation à Paris.
Nous livrons ci-dessous de texte de notre lettre commune, illustrée pour l’occasion.
C’est un véritable désastre, conduit par l’archevêché de Paris, qui attend ce lieu unique et hors du temps à Paris, célébré par Emile Zola.
La DRAC Ile-de-France se rendra sur place le 18 décembre 2023.
JL

Ferme urbaine et jardin du monastère de la Visitation à Paris. L’hôtel ISMH de Chambon (1805), à droite, sera écrasé par le bâtiment prévu rue du Cherche-Midi (voir ci-dessous). Photo DR.

Un permis de construire a été délivré sur les bâtiments du monastère de la Visitation implantés sur une parcelle traversante située entre les 110-110B rue de Vaugirard et le 93 rue du Cherche-Midi à Paris. Ce permis, à l’issue de différents recours, a été jugé conforme à l’actuel PLU de Paris et une entreprise de démolition établie sur le site pour des travaux préparatoires.

Chapelle funéraire néogothique incorporée dans la vacherie (1886) du monastère de la Visitation donnant sur la rue du Cherche-Midi. Les sœurs du monastère de la rue Saint-Jacques y fut réinhumées, notamment les supérieures issues de la famille de Lamoignon. Ensemble décrit par Émile Zola menacé de démolition. Photo Sites & Monuments.
Vacherie édifiée en 1886 en s’appuyant sur le mur de clôture de l’hôtel de Clermont-Tonnerre (XVIIIe siècle). Ce témoignage unique de l’agriculture dans Paris, décrit par Emile Zola (voir ci-dessous), soit être démoli. Photo Sites & Monuments.
Vacherie du monastère Visitation (1886). Carte postale, vers 1950 (extrait).
Sœurs de la Visitation avec l’une de leurs vaches devant l’oratoire sud du jardin (voir plus bas). Photo DR.

Ce monastère, fondé en 1819 dans l’hôtel de Clermont-Tonnerre, construit vers 1775, comprend plusieurs extensions réalisées au cours du XIXe siècle pour accueillir l’ordre cloîtré de la Visitation.

Plan masse monastère de la Visitation avec indication des parties à démolir.
Hôtel de Clermont-Tonnerre (vers 1770) agrandi pour les sœurs de la Visitation à partir de 1820 avec effigie de sainte Jeanne de Chantal, fondatrice de l’ordre de la Visitation en 1610. Non concerné par le projet de démolition mais non protégé. Photo Sites & Monuments.
Cour de l’hôtel de Clermont-Tonnerre (vers 1770), agrandi pour les sœurs de la Visitation à partir de 1820. Non concernée par le projet de démolition mais non protégée. Photo Sites & Monuments.

Il s’agit d’un ensemble monacal exceptionnellement conservé, y compris pour son mobilier, et dépourvu de toute protection opposable dans le PLU. La parcelle du monastère y est simplement "signalée pour son intérêt patrimonial, culturel ou paysager", mais à titre de simple "information", sans appartenir pour autant aux bâtiments protégés par le PLU au titre de l’article L. 123-1 7° du code de l’urbanisme.

L’Œuvre (1886) d’Emile Zola, quatorzième volume de la série des Rougon-Macquart, comportant une description de la vacherie du monastère de la Visitation "exhalant des souffles tièdes de litière".
Description de la vacherie du monastère de la Visitation dans L’Œuvre (1886) d’Emile Zola. Le projet de l’archevêché mettrait fin à la "bonhomie provinciale" qu’avait conservé de la rue du Cherche-Midi.

Le projet actuel, consistant à démolir 2400 m2 de plancher pour construire 5836 m2 de plancher (soit un gain de 3400 m2), entraînerait notamment la destruction de son infirmerie (1879), de sa boulangerie (1889), de sa blanchisserie (1897) et des oratoires de son jardin (antérieurs à 1867), privant le monastère de sa cohérence fonctionnelle.

Monastère de la Visitation avec, en haut à droite, le bâtiment de la vacherie édifié en 1886 au-dessus d’une chapelle funéraire plus ancienne. Ensemble devant être détruit. Carte postale, vers 1950. Coll. Sites & Monuments.
Vue transversale du jardin du monastère de la Visitation le long du mur de l’hôtel de Chambon. Photo Sites & Monuments.
L’un des superbes platanes du jardin du monastère de la Visitation. Photo Sites & Monuments.

Seraient également détruits, en fond de parcelle, rue du Cherche-Midi, des bâtiments agricoles, dont un poulailler-clapier (1886) et une ancienne vacherie, rare témoignage de l’élevage à Paris. Ce beau bâtiment en brique, élevé en 1886 et décrit la même année par Emile Zola, a la particularité d’enjamber une chapelle néogothique édifiée plus anciennement, qui s’y trouve comme enchâssée.

Monastère de la Visitation avec, en haut à droite, le bâtiment de l’infirmerie (1879) et, en bas, le clapier-poulailler (1886) destinés à être détruits. Carte postale, vers 1950. Coll. Sites & Monuments.
Clapier-poulailler (1886) devant être détruit dans le jardin pour réaliser un square accessible au public. Photo Sites & Monuments.
Jardin vu depuis l’intérieur du clapier (1886) devant être détruit. Photo Sites & Monuments.
Etage du clapier - poulailler destiné à être détruit dans le jardin pour réaliser un square accessible au public. Photo Sites & Monuments.
Nichoir en terre cuite installé par les sœurs de la Visitation à proximité de la Vacherie. Photo Sites & Monuments.

La façade sur jardin de la vacherie est prolongée d’une élégante claustra ajourée destinée à préserver l’intimité des Sœurs, tout en laissant passer la lumière et voir les arbres, tandis que le mur de la rue du Cherche-Midi, sur lequel s’adosse la vacherie, est celui du jardin de l’ancien hôtel de Clermont-Tonnerre, comme en témoignent deux beaux pilastres cannelés en pierre de taille d’époque Louis XVI.

Plan de Turgot (1739), montrant l’hôtel Desclapon (puis de Clermont-Tonnerre), surélevé par les sœurs de la Visitation après 1820, et son mur sur la rue du Cherche-Midi (anciennement rue des Vieilles Tuileries). Source Gallica.
Monastère de la Visitation incorporant l’ancien hôtel de Clermont-Tonnerre (XVIIIe siècle, voir plan de Turgot), matérialisé ici par un trait rouge. Les croisées de menuiserie des 1er et deuxième niveaux datent du XVIIIe siècle. Photo Sites & Monuments.
Enceinte (vers 1770) de l’hôtel de Clermont-Tonnerre avec claustra en brique de la vacherie (1886) et, à droite, hôtel ISMH de Chambon (1805). L’importante dent creuse laisse aujourd’hui entrer le soleil dans la rue du Cherche-Midi et voir les arbres. Photo Sites & Monuments.
Pilastres cannelés en pierre de taille (vers 1770) et murs du jardin de l’ancien hôtel de Clermont-Tonnerre rue du Cherche-Midi avec claustra en brique (1886) surmontant la vacherie et préservant les visitandines des regards. Photo Sites & Monuments.

Sur l’emprise végétalisée d’environ 5500 m2 du monastère, seule une superficie de 4000 m2 est inscrite dans le PLU comme « espace vert protégé ». Le reliquat sera utilisé, avec l’emprise des bâtiments historiques détruits, pour accueillir différentes constructions mal intégrées à leur environnement et coupant le jardin de la ville en l’encavant. Vingt-et-un arbres anciens seraient en outre abattus pour réaliser les travaux, s’ajoutant à vingt-deux « abattages sanitaires ».

Vue axiale du jardin du monastère de la Visitation. Photo Sites & Monuments.
Vue transversale du jardin du monastère de la Visitation. Photo Sites & Monuments.

Le jardin, ainsi amoindri, comportera un petit « square » ouvert au public et sera divisé, pour le surplus, entre les différents bâtiments construits à sa périphérie, à l’image de la regrettable division du jardin des pères Lazaristes situé de l’autre côté de la rue du Cherche-Midi (square du père Armand David créé en 2018 ; EHPAD Antoine Portail). Or, au-delà de projets ponctuels, même d’intérêt général, il est impératif de conserver à Paris de grands espaces naturels d’un seul tenant ouverts aux Parisiens et sur la ville (dent creuse ménageant des vues et permettant une circulation de l’air).

Oratoires du jardin (avant 1867) devant être détruits. Le groupe en marbre sera présenté dans l’église Notre-Dame-des-Champs. Photo Sites & Monuments.
Intérieur de l’oratoire sud (avant 1867) destiné à être démoli. Photo Sites & Monuments.
Intérieur de l’un des oratoires (avant 1867) destiné à être démoli. Photo Sites & Monuments.
Intérieur de l’oratoire nord (avant 1867) destiné à être démoli. Photo Sites & Monuments.
Plafond de l’oratoires nord destiné à être démoli. Photo Sites & Monuments.
Groupe en marbre placé entre les deux oratoires devant trouver refuge dans l’église Notre-Dame-des-Champs. Photo Sites & Monuments.
Vue de l’oratoire sud depuis l’oratoire nord. Emplacement destiné à être construit. Photo Sites & Monuments.

Le contexte de crise climatique et d’effondrement de la biodiversité impose de réagir pour créer de nouveaux jardins publics dans notre capitale chaque fois que cela est possible. Nous demandons, par conséquent, le placement de la parcelle du monastère (AZ 26) sous le régime de l’instance de classement afin que son expropriation pour cause d’utilité publique - totale ou partielle - puisse être poursuivie par la ville de Paris avec l’aide financière de l’Etat (« Fonds vert » notamment).

Extrait de la planche F09 du règlement PLU Paris. Seuls 4000 m2 des 5500 m2 d’espaces verts réels sont protégés.
Légende des planches du PLU de Paris.

L’article L. 621-18 du code du patrimoine prévoit en effet que « L’autorité administrative peut toujours, en se conformant aux prescriptions du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, poursuivre au nom de l’Etat l’expropriation d’un immeuble […] soumis à une instance de classement, en raison de l’intérêt public qu’il offre au point de vue de l’histoire ou de l’art. Les collectivités territoriales ont la même faculté. » Réciproquement, l’article L. 621-19 du code du patrimoine prévoit, qu’« À compter du jour où l’autorité administrative notifie au propriétaire d’un immeuble non classé au titre des monuments historiques son intention d’en poursuivre l’expropriation, tous les effets du classement s’appliquent de plein droit à l’immeuble visé. Ils cessent de s’appliquer si la déclaration d’utilité publique n’intervient pas dans les douze mois de cette notification. […] »

En rouge, parcelle du monastère de la Visitation, avec une emprise d’environ 5500 m2 d’espace vert. En vert, les 4000 m2 d’espace vert protégé (EVP) par le PLU de Paris. Les parties non protégées de l’espace vert réel accueilleront les constructions.

Nous rappelons, en outre, que l’expropriation est d’utilité publique lorsque celle-ci permet la création d’espaces verts, à plus forte raison dans une capitale carencée comme Paris. Nous souhaitons ainsi la création d’un jardin public sur toute la parcelle qui, à l’instar du jardin Catherine Labouré, respecte l’esprit monastique des lieux, comme les bâtiments de la ferme urbaine.

Élévation des bâtiments existants (ligne du haut) ; des bâtiments à démolir (ligne du milieu) et des bâtiments à construire (ligne du bas). Première colonne : bâtiments de la rue de Vaugirard ; deuxième et troisième colonnes : bâtiments de la vacherie rue du Cherche-Midi ; quatrième colonne : oratoires du jardin. Permis de construire, agence Duthilleul.
Destruction de la « bonhomie provinciale » de la rue du Cherche-Midi célébrée par Emile Zola et écrasement de l’hôtel ISMH de Chambon (1805), rare construction de l’Empire à Paris. Permis de construire.

Les sommes recueillies permettront à l’archevêché de Paris, propriétaire du monastère depuis quelques années seulement, de poursuive son projet locatif et social en un autre lieu, sans porter atteinte au patrimoine et à l’environnement des Parisiens.

Seul un « square », partie minime de l’espace vert protégé (EVP) et, plus encore, de l’espace vert réel, sera accessible au public par une allée d’arbres traversante. Permis de construire.

Différents éléments du monastère, comme sa chapelle et son mobilier, non concernés par le présent permis, mériteraient par ailleurs d’être protégés au titre des monuments historiques.

Sites & Monuments, Julien Lacaze

FNE Paris, Christine Nedelec

Paris Historique, Gregory Chaumet

SOS Paris, Christine Nedelec

Monts 14, Patrice Maire

GNSA Paris, Alexis Boniface

A.R.B.R.E.S., Georges Feterman

Lettre des associations du 4 décembre 2023 au format pdf
Procès-verbal de la commission du Vieux Paris du 21 novembre 2018
Notice architecturale du permis de construire

Parties du monastère de la Visitation non protégées à ce jour (mais non incluses dans le présent permis de démolir) :

Monastère de la Visitation, vestiges non protégés d’aménagements du XVIIIe siècle. Photos Sites & Monuments.
Monastère de la Visitation, décors datant de la Restauration non protégés (vers 1820). Photos Sites & Monuments.