La sucrerie de Bourdon, située entre Aulnat et Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), est la plus ancienne sucrerie de France. Construite dans les années 1850, elle connaît un développement exceptionnel de sa production, faisant d’elle l’une des plus importantes fabriques françaises des XIXe et XXe siècles.
En 2019, la sucrerie est contrainte de fermer définitivement ses portes. L’année 2022 verra sa cession à sept entreprises auvergnates. Les 50 hectares du site, divisés en plusieurs parties, ne suffisent pas aux industriels qui souhaitent davantage de surface. Si certains bâtiments devraient bénéficier d’une réhabilitation comme le silo de stockage, la distillerie et les ateliers de maintenance, d’autres sont condamnés à être démolis.
C’est le cas d’une structure adjointe de la seconde moitié du XXe siècle, mais surtout de l’ensemble des bâtiments originels subsistants au centre de l’usine. Ces bâtiments-ci avaient jusqu’à maintenant échappé à la destruction (malgré des démolitions partielles survenues dans les années 1960 et 1970. [1]
De style néo-toscan, cet ensemble architectural est apprécié pour son esthétique, comme l’écrit Nadine Halitim-Dubois dans un dossier réalisé pour l’Inventaire général du patrimoine culturel [2] : "Les ateliers construits entre 1853 et 1855 sont de très belle qualité architecturale, une belle composition de matériaux (pierre de Volvic). Le bâtiment central est conçu selon un plan en U qui rappelle celui des châteaux classiques, avec ailes en retour plus basses et pavillons aux extrémités. Le style relève du style rustique à l’italienne."
Ces bâtiments sont attribués à Agis-Léon Ledru (1816-1885) qui fut, entre autres, architecte de la ville de Clermont-Ferrand et architecte départemental du Puy-de-Dôme dans la seconde moitié du XIXe siècle. On lui doit la construction de plusieurs églises, d’écoles et de mairies, de presbytères et stations thermales dans le département. C’est un architecte important du Puy-de-Dôme, formé aux Beaux-Arts de Paris et prix de Rome. Certaines de ses constructions sont classées au titre des Monuments historiques. [3]
La sucrerie de Bourdon ne bénéficie d’aucune protection au titre des Monuments historiques. Afin d’éviter la démolition des bâtiments du XIXe siècle, l’ABF (Architecte des bâtiments de France) et la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles - Auvergne-Rhône-Alpes) ont été alertés. Interrogée sur l’utilité d’une instance de classement de la sucrerie, la DRAC a répondu que cet outil juridique n’était pas approprié dans cette situation. Cependant, consciente de l’intérêt du site, elle a informé les services du préfet de cette démolition et pris contact avec les porteurs du projet afin de visiter les lieux et d’assurer la sauvegarde des éléments patrimoniaux.
Début 2022, le CILAC (Comité d’information et de liaison pour l’archéologie, l’étude et la mise en valeur du patrimoine industriel) [4] a adressé un courrier au président de Clermont-Auvergne-Métropole, Olivier Bianchi, demandant de surseoir au permis de démolir déposé le 29 décembre 2021.
Le but étant de "prendre le temps d’une concertation qui permettra de définir ce qui doit être maintenu ou non". L’association insiste sur le caractère exceptionnel du site en raison de "son architecture et son histoire" ; elle rappelle qu’il s’agit d’un "témoignage remarquable et peu connu de l’activité sucrière en Auvergne" et que "parmi les sites protégés au titre des Monuments historiques, il n’existe que trois sucreries à betteraves, deux en Picardie, aujourd’hui Hauts-de-France, et la troisième en Bourgogne-France-Comté". Afin d’appuyer sa demande, le CILAC s’en rapporte au dossier rédigé par le service régional de l’Inventaire général du patrimoine culturel à la suite d’une enquête effectuée sur le site en 2020.
Début Avril, la fédération Patrimoine Environnement a également adressé un courrier à Monsieur Bianchi, lui demandant d’intervenir pour faire cesser les démolitions en cours.
Les bâtiments originels de la sucrerie de Bourdon présentent un intérêt patrimonial unique, car ils sont le dernier témoignage d’une industrie sucrière du XIXe siècle et de son savoir-faire, comme le rappelle Nadine Halitim-Dubois (auteur du dossier de l’Inventaire général du patrimoine culturel) : "La conservation des 2/3 des bâtiments originels de 1853 est exceptionnelle et mérite une protection Monuments historiques ou bien être intégré dans un projet urbain de qualité qui tiendrait compte de ce site industriel majeur".
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Le duc de Morny (1811-1865), personnage incontournable du Second Empire, est le père de la sucrerie de Bourdon qu’il acquiert en 1837. Il la développe, la fait prospérer et la dote, en 1855, d’un ensemble de bâtiments dont une partie est encore préservée aujourd’hui - mais jusqu’à quand ?
Le premier directeur général est Herbert, nommé en 1845. En 1852, le duc de Morny fonde la société Herbert, dissoute peu après, en 1859. Une nouvelle société, la société Meinadier (l’un des principaux actionnaires et ami de Morny) est créée. Cette dernière est également dissoute en 1866 et c’est la société de Bourdon qui la rachète.
En 1952, la société de Bourdon devient la Sucrerie de Bourdon, puis la SICA Sucrerie de Bourdon en 1975, et enfin une société coopérative en 1978. En 2011, elle rejoint la coopérative Cristal Union qui prendra la décision de fermer le site en 2019, faute de repreneur.
Yaëlle Desmartin, pour Sites & Monuments