La triste perspective de la disparition de l’un des derniers théâtres à l’italienne, œuvre d’Alexandre Durville (1910), encore en place dans l’un des casinos de notre littoral, celui de Trouville, a heureusement suscité une pétition que nous vous encourageons vivement à signer. Ce théâtre est en effet menacé par une opération immobilière d’extension hôtelière pilotée par le groupe Cofinance.
Jack Lang, ancien ministre de la culture, s’est heureusement penché sur ce dossier lancinant puisque ce joyau d’architecture, désormais directement menacé par les opérations du bailleur à construire choisi par la municipalité de Trouville, faisait l’objet depuis des années d’une instruction pour une protection au titre des Monuments Historiques par les services de la DRAC.
On notera, cependant, que dans la station balnéaire voisine de Deauville, des choix municipaux plus pertinents en matière de protection et de valorisation du patrimoine artistique auront pu être faits : le théâtre du casino de Deauville, récemment restauré, est une vraie merveille…
Mais il y a, hélas, peut-être plus inquiétant… Bernard Toulier, administrateur de la SPPEF et commissaire général d’une grande exposition prochainement organisée à Paris à la cité de l’architecture et du patrimoine sur le thème de l’architecture et de l’esthétique des bains de mer (« Tous à la plage, les villes balnéaires du XVIIIe siècle à nos jours », octobre 2016), a pu récemment constater la disparition de deux toiles peintes marouflées de grande dimension signées d’André Lagrange (1889-1958) et datées de 1927 qui ornaient l’ancienne salle de baccara du casino de Trouville.
Le conservateur honoraire, tout à son désir de montrer à Paris ces deux superbes panneaux, magnifiques témoins du style raffiné et épuré de l’Art Déco, a plusieurs fois tenté de contacter le maire de Trouville, Christian Cardon, pour obtenir le prêt de ces œuvres : en vain car, manifestement, ces deux toiles marouflées ont disparu corps et bien et nous sommes en droit de savoir ce que ces deux peintures originales de grande qualité sont devenues.
On apprend, à la lecture de l’hebdomadaire Le Pays d’Auge du 17 mai 2016, que le conseil municipal de Trouville avait voté en 2013 un avenant au contrat de bail à construire signé avec le groupe Cofinance stipulant l’obligation pour le preneur de conserver « les fresques (sic) de la salle des congrès », c’est-à-dire, de l’ancienne salle de baccara du casino.
Outre le fait que, dans cet avenant, une paire de toiles peintes marouflées deviennent des fresques, on constatera surtout que ces décors originaux ont disparu du lieu où ils pouvaient être conservés. Manifestement, les stipulations de cet avenant n’ont pas été respectées et le devoir de la municipalité de Trouville serait de poursuivre en justice le groupe Cofinance, d’autant plus que les fameuses « fresques », à en croire le maire de Trouville lui-même, auraient été détruites !
D’après Monsieur Cardon, leur mauvaise qualité n’aurait pas permis de les enlever pour les conserver. "Elles ont donc été numérisées et certains morceaux ont été reproduits dans les chambres" aurait-il déclaré à la journaliste du Pays d’Auge. Etait-ce vraiment le cas ? Des reproductions partielles et éclatées en divers lieux après numérisation ne sauraient, en droit, équivaloir à une conservation et une restauration des œuvres originales !
Le maire de Trouville connaît pourtant bien son sujet puisqu’il avait préfacé, en 1992, un livre de Maurice Culot consacré à l’art balnéaire, livre illustré d’une reproduction d’un détail de l’une des toiles peintes par André Lagrange. Il ne saurait donc confondre une toile marouflée avec une fresque, d’autant que la première peut être bien plus facilement enlevée que la seconde.
Nous attendons que le maire de Trouville veuille bien nous apporter les preuves irréfutables que ces œuvres magistrales ont été malheureusement détruites ou qu’elles sont, par bonheur, en lieu sûr et entre de bonnes mains afin d’être restaurées. Tout juste aura-t-on pu savoir de la bouche du maire, lors du dernier conseil municipal en date du 27 mai 2016, que des coups de ballons de basket (lire ici) auraient endommagé définitivement les peintures dans une salle laissée à l’abandon !
Philippe Cléris, délégué de la SPPEF pour le Calvados