Au cœur du quartier Lyonnais de la Duchère des copropriétaires de l’immeuble Les Erables se battent pour la préservation du patrimoine du XXe siècle. Elu premier éco-quartier de France, la Duchère est en pleine mutation. C’est dans les années 1960 que des architectes de renoms – François-Régis-Cottin (1920-2013), Jean Dubuisson (1914-2011) - penseront des bâtiments dont la valeur patrimoniale et culturelle ne cessent de grandir.
Un bâtiment labellisé par le ministère de la Culture
Les bâtiments des années 60 signent un langage architectural nouveau pour l’époque. Le béton se veut brut, les formes franches, les halls d’entrée impressionnent par leur hauteur, l’habitat lui est raffiné. Jean Dubuisson, élève de Le Corbusier, livrera en 1967, un immeuble de 18 étages nommé Les Érables. Cet immeuble présente une trame, prolongeant celle de sa façade, et une mosaïque sur chacun de ses pignons nord et sud. Il est labellisé depuis le 10 mars 2003 « Patrimoine du XXe siècle » (actuel label « Architecture Contemporaine remarquable »).
A cette époque de l’architecture moderne, précédant les premiers chocs pétroliers, la dimension écologique était bien différente. Le béton a une forte inertie et le chauffage par dalles chauffantes de l’époque est énergivore.
La banalisation de l’architecture par l’isolation
Dans le cadre d’un projet de ravalement des façades, un plan d’isolation par l’extérieur du pignon a été proposé à la copropriété des Érables Nord (le régime des travaux d’isolation sur les bâtiments labellisés est exposé ici). Il est mentionné Erables Nord car l’immeuble est divisé en deux parties avec deux conseils syndicaux bien distincts. Ce projet de ravalement et d’isolation concerne donc uniquement la moitié de l’immeuble. Voté en Assemblée Générale sans connaissance précise de la prestation par les copropriétaires, la gestion de ce dossier par l’entreprise Champagne Façades et par le maître d’œuvre du Cabinet Bazin présage d’un traitement inapproprié du bâtiment causant une dévalorisation immobilière du bien et une dévalorisation du patrimoine architectural.
A l’origine le projet d’isolation par l’extérieur ne prenait pas en compte la trame ni la mosaïque du pignon nord. Ces signatures architecturales se retrouvaient tout bonnement effacées sous un isolant en polystyrène uniforme. Des copropriétaires ont alors fait connaître leur souhait de « reproduire » à l’identique le pignon en préservant la mosaïque, qu’il n’est ni souhaitable si possible de reproduire à l’identique sur l’isolant. Maintenant sa proposition d’isoler le reste de la façade par l’extérieur, le maître d’œuvre propose d’arrêter l’isolant au niveau de la mosaïque et de reprendre l’isolant sous celle-ci. Créant un décroché de 15 centimètres d’épaisseur et des ponts thermiques réduisant l’effet déjà douteux de l’isolant.
La trame, quant-à-elle, serait reproduite sous la forme d’un simple aplat de peinture alors, qu’à l’origine, l’architecte Jean Dubuisson avait accompagné ce lignage d’un creux suffisamment profond pour créer un relief, prenant tout son sens sous le jeu du soleil. Pour justifier cette absence de relief, le maître d’oeuvre explique que l’effet de profondeur « ne se voit plus à partir de 10 mètres »…
Enfin pour légitimer un résultat pouvant s’avérer « médiocre », il sera écrit dans le compte-rendu de travaux CR 03 « Les copropriétaires présents ce jour ainsi que le MOE et le façadier, constatent par soleil rasant de nombreux défauts de planimétrie du pignon. Le Maître d’œuvre attire l’attention sur le fait que les défauts de supports ne pourront pas être masqués et resteront visibles par soleil rasant après la mise en œuvre du complexe d’isolation par l’extérieur ».
La « médiocrité » est le maître mot qui va venir habiller ce bâtiment exceptionnel de l’architecte Jean Dubuisson.
Une isolation par l’extérieur inutile
Au 24 septembre 2019, soit un mois avant le démarrage des travaux, la copropriété prenait connaissance du compte-rendu d’une rencontre entre le syndic de copropriété et l’ALEC (Agence Locale de l’Energie et du Climat de la Métropole de Lyon) qui stipulait que l’économie possible suite à l’isolation du pignon serait de 4% sur la somme de ces 5 usages, chauffage, eau chaude, ventilation, auxiliaires de chauffage (les pompes chauffage sous station) et éclairage des parties communes.
Par ailleurs, des copropriétaires ont déjà procédé à une isolation par l’intérieur, ce qui réduit de 10 cm maximum la surface au sol des pièces et a l’avantage de préserver l’aspect du bâtiment. Ce constat réduit encore l’utilité d’une isolation par l’extérieur, travaux supportés financièrement par l’ensemble des copropriétaires des Érables Nord.
Nous constaterons au service d’urbanisme appliqué de Lyon que la déclaration préalable est floue ; le relevé des teintes et leurs nuances n’ont pas été prise en compte, le choix des matériaux, les prestations annoncées sont incomplètes et ne mentionnent pas certaines préconisations de mise en œuvre, elle ne traite pas du sujet du soubassement par exemple, la coupe quant à elle est incomplète.
A ce jour, aucune étude patrimoniale ne permet de définir convenablement quelle prestation réaliser pour préserver la qualité initiale de l’ouvrage. Ce constat pose question, pourquoi notre patrimoine du XXe siècle devrait-il disparaître au profit de solutions esthétiquement inappropriées et surtout quasi-inefficaces ? Nous déplorons donc qu’un isolant vienne diviser le pignon nord en deux parties distinctes pour faire apparaître la mosaïque d’origine créant ainsi de nombreux ponts thermiques réduisant une efficacité déjà très faible (4% possible).
Pourtant, la première plaque d’isolant va être apposée sur le pignon Nord à compter de fin octobre 2019. En effet, malgré un avis défavorable de la DRAC à ce projet, la ville de Lyon a validé la déclaration préalable incluant le projet d’isolation.
Le soutien des héritiers de Jean Dubuisson
Les enfants de Jean Dubuisson, détenteur de son droit moral, ont manifesté leur opposition au projet le 21 septembre 2018 en écrivant au gestionnaire de la copropriété que « la qualité architecturale est un enjeu national : cette volonté clairement affirmée émane du ministère de la Culture. Nous y souscrivons intégralement. […] nous exigeons que ce projet soit soumis à l’agrément de la DRAC et qu’un architecte nommé d’un commun accord avec la DRAC étudie la réhabilitation dans les règles de l’art. Cet architecte aurait du être missionné dès le début de ce projet, ce qui ne semble pas avoir été le cas. Les travaux ne sauraient être engagés sans que toutes les autorisations nécessaires aient été accordées et notre avis intégré dans le déroulement du projet de rénovation. » Sylvain et Marie-Aurore Dubuisson ont également alerté par courrier séparé Monsieur le Maire de Lyon et Monsieur le Maire du 9e arrondissement ainsi que la DRAC, mais sans succès. En amont de ce courrier des ayants-droit, deux recours gracieux par deux copropriétaires de l’immeuble des Erables Nord et Sud auront eux aussi été repoussés.
Parce que les copropriétaires Nord et Sud ne cesseront de défendre la valeur de leur immeuble et de préserver ce patrimoine du XXe siècle, ils décident de fonder l’Association des Amis de l’Immeuble Les Érables (ADILE). Par ce biais, ils obtiennent des soutiens venus de tous les horizons, politiques, architectes, résidents du quartier de la Duchère, etc. Une action se prépare à l’occasion des Journées nationales de l’architecture les 18, 19 et 20 octobre, pour défendre l’ouvrage de Jean Dubuisson devant la presse.
En ce mois de septembre 2019, Les Érables Nord et Sud ont obtenu une rencontre avec Monsieur Bernard Bochard, Maire du 9e arrondissement de Lyon, afin de demander une étude patrimoniale et d’obtenir qu’un ravalement de la façade soit effectif sur l’intégralité du bâtiment afin de garantir une unité de traitement.
Dans le souhait d’obtenir un soutien national, l’association des Amis de l’immeuble Les Érables fait appel à l’association Sites & Monuments (SPPEF). Rappelons, qu’aujourd’hui, la prestation définitive reste très imprécise et incompatible par la technique mise en oeuvre avec la sauvegarde de cette « Architecture contemporaine remarquable - Label XXe ». Elle a pourtant fait l’objet d’une borne culturelle au sein d’un parcours urbain didactique. Le bâtiment est au programme des Journées Nationales de l’Architecture et fait l’objet de visites répétées d’étudiants en architecture, d’écoles d’art, de visiteurs de toute nationalité, etc... Il participe à la revalorisation du Quartier de la Duchère et est mis en valeur dans l’ensemble de l’arrondissement. Ce patrimoine du XXe siècle est un témoignage précieux que nous devons préserver dans le temps.
L’ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterand qualifia Jean Dubuisson de « grand architecte de la modernité ayant apporté une contribution majeure au patrimoine architecturale de notre XXe siècle ». Que des conséquences pratiques soient aujourd’hui tirées de cette déclaration !
Association des Amis de l’Immeuble Les Érables (ADILE), adhérente de Sites & Monuments