Depuis 3 ans le quartier Bel-Air Nord, dans le 12e arrondissement de Paris, est en émoi : les 60 arbres, dont une vingtaine centenaires et un majestueux cèdre de l’Himalaya, situés au 77 avenue du Docteur Arnold Netter, sur un terrain de 5000 m2, risquent d’être abattus dans les prochaines semaines pour laisser place à 5 immeubles d’habitation de 6 à 8 étages. Le permis de construire a été délivré au promoteur Logis-Transport - filiale de la RATP - le 5 février 2018.
Il y a 30 ans le quartier s’était déjà mobilisé pour sauvegarder la Cité Debergue voisine, constituée d’un ensemble de petits bâtiments en briques de 1 à 2 étages datant du début du XXe siècle, préemptés par la Mairie de Paris et menacés de destruction. Les riverains avaient obtenu gain de cause, les bâtiments ont été préservés et réhabilités en logements sociaux.
Ce quartier a, jusqu’à présent, réussi à conserver un équilibre, avec le maintien d’une mixité sociale et d’une cohérence du bâti, mêlant harmonieusement immeubles haussmanniens ou 1930 et petits bâtiments à un ou deux étages de la fin XIXe ou du début du XXe siècle. Le meilleur exemple en est la rue du Rendez-Vous, dont la réputation des commerces dépasse largement les limites de l’arrondissement.
Depuis 2009, l’avenue Arnold Netter a été dénaturée par de nombreux projets immobiliers remplaçant les petits immeubles et hôtels particuliers par des bâtiments de 7 à 9 étages. A titre d’exemple, le petit hôtel particulier de 2 étages datant de 1881, situé au no 64, a été détruit et remplacé par un bâtiment de 7 étages entièrement noir (façade et stores des fenêtres), en rupture totale avec la couleurs « sable » mitoyenne.
Jusqu’à la fin 2017, le terrain du 77 de l’avenue Arnold Netter était dédié aux activités sportives (haltérophilie, judo, escrime, pétanque) de l’Union Sportive de la RATP. Il est fréquenté depuis 60 ans par les jeunes et moins jeunes. Aux beaux jours, ce vaste terrain arboré était le rendez-vous des clubs de pétanque de la région parisienne, qui pouvaient y organiser des tournois. Des animations de quartier très appréciées des riverains (pique-nique, projections de film en plein air) étaient également proposées.
Jusqu’en 2009, le PLU de Paris avait classé cette parcelle de 5000 m2 en « réserve pour espace vert jardin public ». Cette réserve devait permettre d’étendre le jardin Debergue voisin, largement sous dimensionné, pour accueillir les promeneurs et les familles du quartier particulièrement nombreux en été.
Une première modification du PLU, approuvée par le Conseil de Paris lors de ses séances des 29 et 30 septembre 2009, réduisit l’emplacement réservé pour l’espace vert et ajouta un périmètre pour les équipements publics (crèche, équipements sportifs et espace vert). Le terrain gardait ainsi sa fonction initiale ouverte aux besoins du quartier.
Une deuxième modification du PLU intervient en 2016, approuvée par le conseil de Paris lors des séances des 4, 5 et 6 juillet 2016. Elle entraîne cette fois le déplacement de l’équipement sportif au 37 avenue Netter, dans un ancien hangar RATP beaucoup plus exigu, annule la réserve Espace Libre à Végétaliser (ELV) et autorise la construction de 60 à 80 logements. Au final, le permis de construire comportera 5 immeubles, 91 logements (pour environ 300 occupants) et une crèche de 99 places.
Pour légaliser cette densification, la Mairie de Paris modifiera en profondeur le PLU du quartier par la création d’une nouvelle voie piétonne d’une largeur de 5 mètres, traversant le terrain et permettant l’extension de la « bande Z » et appliquera arbitrairement à cette voie un filet de couleur « bleu clair continu » autorisant une hauteur d’immeubles de 22,5 mètres alors que cette voie s’inscrira dans le prolongement d’une rue dont les bâtiments ne peuvent excéder 14,5 mètres (filet vert tireté mixte).
Le promoteur ne tiendra pas compte des avis très critiques (mais seulement consultatifs) exprimés par l’architecte voyer de la DEVE et par l’ABF (Architecte des Bâtiments de France). De même, les avis des riverains exprimés dans les réunions publiques n’ont jamais été pris en compte.
La Mairie de Paris soutient que le projet est équilibré car la moitié de la surface (2500m2) sera consacrée à l’agrandissement du jardin Debergue mitoyen et que les arbres abattus (40 à 60 suivant les comptages) seront remplacés par une centaine de jeunes arbres.
Les riverains, rassemblés en association (voir ici) ne font pas le même constat :
- L’arrivée de 300 nouveaux habitants et la présence d’une crèche hors norme de 100 places n’est pas compatible avec le gabarit de l’étroite avenue Netter déjà saturée aux heures de pointe ;
- L’évacuation des ordures des nouveaux riverains (30 à 40 poubelles par jour) n’a pas encore été étudiée par les services de la Mairie ;
- Le Jardin Debergue restera saturé car les 2500m2 supplémentaires (dont seulement environ 50 % sera réellement accessible aux visiteurs d’après une récente présentation en réunion publique) s’accompagnent d’une densification démesurée pour le quartier ;
- Le bilan écologique est négatif : ce ne sont pas les murs et toits végétalisés (dont l’utilité écologique est très contestée) ni la plantation de jeunes arbres (dont une partie en pots) qui pourront remplacer les arbres actuels, dont une vingtaine sont centenaires, tous plantés en pleine terre ;
- Les riverains à proximité des nouveaux bâtiments subiront une très forte dégradation de leur qualité de vie ; fenêtres bouchées, perte de lumière, vue totalement occultée par des immeubles surplombant les immeubles actuels de 4 ou 5 étages ;
- Ce projet immobilier, compte tenu de sa taille, n’est malheureusement pas tenu « légalement » de faire l’objet d’une étude d’impact avec rapport officiel. Une telle étude aurait permis de mettre en évidence les impacts négatifs nécessitant des réaménagements en profondeur.
Depuis janvier 2018, le terrain est occupé dans le cadre d’une « convention intercalaire » par un collectif d’artistes qui ont réaménagé les bâtiments des anciens clubs sportifs – l’un d’eux a été transformé en une belle salle de spectacle de 100 places - et proposent des spectacles de théâtre et de cirque de qualité, des projections de films, ainsi que des initiations au yoga ou à la capoeira. Un jardin partagé de 500 m2 a été aménagé dans lequel les riverains cultivent tomates, courges et herbes aromatiques.
Malheureusement, cette situation reste précaire, la convention actuelle s’achevant fin octobre 2018 et le promoteur souhaitant démarrer les travaux sans attendre la purge des recours pendants.
Ce projet n’est que l’un des nombreux projets immobiliers soutenus par la Mairie dans le 12e arrondissement - projet Paul Valéry, rue des Meuniers, Bercy-Charenton - et visant à densifier toujours plus Paris intra-muros (Paris est déjà l’une des capitale les plus dense au monde) et en totale contradiction avec le discours écologique de la Mairie de Paris.
Les riverains espèrent encore pouvoir sauvegarder la qualité de vie et l’aspect du quartier en préservant l’îlot de verdure Netter-Debergue.
Une pétition en ligne a déjà recueilli à ce jour près de 1600 signatures.
Gilles Liévin, président de l’association Netter-Debergue