L’extraction du lithium contenu dans le mica du granit fait peser une menace sur nos paysages et sur la biodiversité. Le site de Tréguennec, tout au bout du Finistère, est tout particulièrement dans le collimateur.
Il pourrait être exploité pour les batteries des voitures électriques ou le stockage de l’électricité issue des éoliennes bretonnes !
Pourtant, Tréguennec et ses marais appartiennent à la zone la plus sauvage du Pays bigouden, en plein cœur de la baie d’Audierne. C’est une zone à la flore et à la faune exceptionnelle, à la fois sur terre et en mer, lieu de passage des oiseaux lors de leurs migrations, de repos, de reproduction, jouant, selon le Muséum national d’histoire naturel (MNHN), un « rôle capital comme halte migratoire ».
Un dossier qui pose la question du développement des énergies renouvelables et de leurs conséquences immédiates sur la nature.
JL
Il y aurait du lithium à Tréguennec, une commune bigoudène fière de ses espaces naturels et sauvages...
On en parle depuis si longtemps qu’il s’agit presque d’une légende : il y aurait du lithium [1] à Tréguennec… Il y aurait eu des carottages, des études, un jour il y aurait une mine, un jour des camions, peut-être de l’argent à se faire… En fait, on parle de mines de lithium en Bretagne depuis les années soixante [2], et à Tréguennec depuis les années quatre-vingt [3]. Aucun projet de mine n’a jamais été sérieusement évoqué, mais régulièrement le BRGM établit un inventaire des ressources minières du site [4].
De surcroît, l’exploitation du sous-sol est souvent présentée comme une future richesse pour la région [5], voire une « opportunité régionale » par le club Mediapart [6] qui envisage le stockage de l’électricité issue des éoliennes bretonnes grâce au lithium de Tréguennec. De manière générale, l’enjeu est stratégique : le lithium, classé « matière première critique » depuis 2020 selon l’Union européenne, est actuellement nécessaire pour fabriquer les batteries des voitures électriques dont la demande explose. Et à la fin du mois d’octobre 2022, Emmanuel Macron a annoncé au Mondial de l’auto, le développement des mines de lithium en France « grâce au nouveau code minier » [7]. Dans la foulée, a été créé l’Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi) afin de sécuriser l’approvisionnement du pays. Et lorsque ces besoins sont mentionnés dans la presse, comme ailleurs, on invoque le nom de Tréguennec, même s’il s’agit d’un gisement encore non exploitable [8] : l’on ne sait pas encore comment extraire ce type de lithium contenu dans le mica du granit.
Une zone fragile et protégée
Tréguennec et ses paluds appartiennent à la zone la plus sauvage du Pays bigouden, tout au bout du Finistère, en plein cœur de la baie d’Audierne. C’est une zone humide d’importance internationale, à la flore et à la faune exceptionnelle, à la fois terre et mer, lieu de passage des oiseaux lors de leurs migrations, de repos, de reproduction [9]... Le rapport du Muséum national d’histoire naturel (MNHN) d’avril 2021 précise que cet endroit joue un « rôle capital comme halte migratoire pour des milliers d’oiseaux ». C’est même un « intérêt mondial » pour deux espèces, dont l’anguille et environ 1 000 espèces animales dont 320 oiseaux, trouvent asile dans ce refuge [10]. C’est un lieu protégé, une zone sous les labels Natura 2000 et Ramsar [11], dont les paluds appartiennent au Conservatoire du littoral. Cet espace, préservé avec soin et confié à la nature depuis près d’un demi-siècle, est devenu un sanctuaire pour la faune et la flore ; on y retrouve les espèces endémiques du Pays bigouden ou de passage [12]. Certes, cette zone fragile a déjà été exploitée à petite échelle : d’abord pour ses pierres (extraction de quelques m³ de petits galets pour un simple granulat routier), puis de manière plus conséquente, il a de nouveau été utilisé au cours de la Seconde Guerre mondiale pour édifier le mur de l’Atlantique et reconstruire les villes de Brest et de Lorient. Suite à cette extraction abusive des galets, le trait de côte a très rapidement reculé de plus de cent mètres. Ce phénomène a été limité grâce à l’heureuse initiative de la SEPNB, aujourd’hui Bretagne vivante, et du Conservatoire du littoral : les dunes ont été reformées grâce à la plantation d’oyats et l’installation de ganivelles. Le haut de la plage demeure néanmoins vulnérable, en raison de la fragilité de ces protections, de la force du vent, des courants marins et des vagues dans cette zone proche de la pointe du Raz, mais aussi de la faible altitude des paluds situées derrière le cordon dunaire. Pour preuve, les blockhaus qui, à l’origine, surplombaient la plage, sont désormais régulièrement immergés.
Un rejet massif
Les habitants de Tréguennec et ceux des communes voisines ont d’emblée montré une opposition constructive. Au début du mois de février 2022, la secrétaire d’État chargée de la Biodiversité, Bérengère Abba, représentante de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, se rend sur le site et porte une attention particulière pour le lithium local. Elle n’hésite pas à mettre en avant « la découverte et son ampleur » sur le site même de la réserve, tout en précisant la « forte pression géostratégique » dont le lithium est l’objet. Cet intérêt est confirmé par l’annonce officielle de Barbara Pompili sur la potentielle exploitation d’une mine à Tréguennec. Fin février 2022, les habitants de la commune et ceux de la région (plus de 600 personnes alors que la commune comporte 313 habitants) manifestent sur le parvis de l’ancienne école [13]. La page Facebook "Lithium à Tréguennec, Non, Merci !!!" créée dans la foulée des annonces ministérielles comptabilisait, une semaine après son lancement, près de 9.000 membres [14]. Cette réaction spontanée a eu des échos dans la France entière [15].
Les élus de la région ont été farouchement opposés à tout projet de mine à Tréguennec et l’ont fait savoir dès les interventions de Bérangère Abba et de Barbara Pompili. La communauté de communes du Pays bigouden sud a montré clairement son rejet du projet dès le début de l’affaire [16]. Outre les intéressés, le maire de Tréguennec, Stéphane Morel, et le président de la communauté de communes, Stéphane le Doaré, le président du conseil régional de Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, sont intervenus pour refuser l’exploitation, durant les trente prochaines années, d’un site jugé trop fragile [17]. Dernièrement, le député européen, David Cormand, s’est déplacé sur les lieux mêmes, le 2 mars 2024, pour montrer l’importance de la réserve naturelle [18].
Un projet à haut risques, qui menace d’être réactivé
Placer une mine de lithium en Europe et plus particulièrement à Tréguennec, devient un sujet d’actualité récurrent. De fait, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050, il est nécessaire de construire davantage de batteries électriques, toujours plus performantes. Or, on utilise le lithium dans les batteries à grande échelle depuis 1985, et les besoins ne cessent de croître : pour équiper un véhicule électrique moyen, on a recours à une batterie lithium-ion de 400 kilogrammes, dont 15 de lithium pur ; certaines projections estiment qu’en 2040, la consommation annuelle de lithium, pour les seuls véhicules électriques, représenterait huit fois la production minière actuelle mondiale [19]. La solution qui s’impose donc pour les politiques est de trouver une source de lithium conséquente et le moins éloigné possible. Ce qui explique l’intérêt accru pour des sites sensibles, l’organisation de campagnes de prospection sur l’ensemble du territoire national et plus particulièrement dans la réserve naturelle de la baie d’Audierne. C’est aussi une aubaine pour des grands groupes internationaux spécialisés dans l’exploitation des ressources minières mondiales [20], d’autant plus que les quantités sont considérables et que le prix de la tonne de lithium ne cesse d’augmenter [21]. En effet, le gisement de Prat-ar-Hastel est comparable à une année de production des trois plus gros producteurs mondiaux (Australie, Chili et Argentine [22]).
Pour le moment, le projet est retardé, non pas en raison de la fragilité du lieu et de son importance environnementale, mais parce que l’on ne sait pas extraire son lithium de façon efficace ; l’essentiel de la production mondiale de lithium est tiré de gisements de saumure, alors qu’à Tréguennec, on le trouve dans du granit. C’est pour cela que le rapport publié par le BRGM en décembre 2018 semble attendre et envisager la découverte de nouveaux procédés : « une production de lithium à partir de roche dure ne pourrait donc être réalisée qu’avec le développement de procédés d’extraction du lithium d’échelle industrielle à partir de minéraux comme la série de la lépidolite, de la zinnwaldite et de la série amblygonite-montebrasite » [23]. Son auteur prévoit même que ces nouveaux procédés pourraient voir le jour entre 2019 et 2025 [24] ! Ce qui est certain, c’est qu’au 21 janvier 2023, on ne savait pas encore faire : Eric Gloaguen, chercheur associé à l’université d’Orléans, géologue métallogéniste, et coauteur de rapports pour le BRGM, indique dans une interview pour le journal Ouest-France, qu’il n’y a encore « aucune technique d’extraction industrielle en fonctionnement », mais que « la société Lepidico (Australie) doit avoir un procédé pas très loin de l’échelle industrielle » [25]. Pour le moment, et heureusement, à notre connaissance, on n’y est pas encore.
Il n’empêche que, lorsque l’on évoque les futures mines de lithium françaises, l’on cite Tréguennec, tout en minimisant les risques. Certains journalistes les ont mêmes niés : « aucun dégât pour l’environnement » selon Le Télégramme du 2 février 2014 [26]. Pourtant, déjà, le processus d’extraction est nocif : il faut artificialiser des zones, couper des arbres, agrandir les routes pour permettre un trafic de camions plus dense, trouver des dizaines de milliers de litre d’eau douce dans une zone humide où les étangs sont saumâtres, créer des parcs à résidus à l’air libre… Pour nous rendre compte de l’aspect que peuvent avoir ces derniers, à plus petite échelle, il suffit de regarder les terrils de Poullaouen, déchets des mines d’argent et de plomb, stériles depuis la fermeture de la mine à la fin des années 1860. Ils contiennent des sables, la fraction de minerai techniquement non extractible, ainsi que les produits chimiques de concentration, et tous les autres corps chimiques présents dans la roche et non extraits (le granit breton possède une radioactivité naturelle assez élevée). Un tel parc à résidu anéantirait non seulement la zone de Tréguennec, située au cœur des zones protégées, mais également toute la réserve naturelle. Les stocks de stériles (minerais qui ne contiennent pas de matière exploitable ou en trop faible quantité pour être exploités), au contact de l’eau, risqueraient de se répandre dans les étangs et la mer ; emportées par un vent marin souvent puissant, les poussières risqueraient de retomber et de contaminer toute la zone, terrestre comme maritime.
Comment peut-on minimiser un tel projet ? Geoffroy Griveaud, un architecte qui a fait un mémoire de recherche sur Tréguennec en 2016 [27], propose un photomontage pour illustrer une relance de l’activité minière sur le site qui nous intéresse, Prat-ar-Hastel, à Tréguennec. Ce dernier n’a pas modifié le paysage de départ, la forme des parcelles, et n’a même pas élargi les chemins ; il a placé la mine à l’endroit exact des prospections, à quelques mètres de la mer. Finalement, le résultat de son travail est très proche de la mine prévue dans l’Allier (même si le lithium auvergnat est contenu dans de l’eau saumurée et non dans du granit) [28]. Ce n’est sans doute qu’une reconstitution imparfaite, mais elle a le mérite de mettre en lumière le danger que représente ce projet. Le gisement se situe presque sur la plage, sur les dunes, dans la zone humide et la mine se retrouve trop proche du rivage. L’emprise au sol de la carrière, correspondant au tonnage attendu de lithium, est immense. Les conséquences d’une telle exploitation semblent catastrophiques et les dégâts en partie irréversibles. En somme, l’intégralité de la zone Ramsar, à l’exception de Men Meur au Guilvinec et des falaises de Plozévet, est menacée par la pollution des déchets. Plus grave encore, par la submersion marine, qui se produit quand on détruit le cordon dunaire. Comment, dans de telles conditions, ce paysage unique peut-il être conservé ? Comment une réserve naturelle peut-elle subsister ? Comment la côte pourra-t-elle résister à l’avancée de la mer, si l’on place un lourd site industriel dans une zone particulièrement vulnérable ? Combien de temps cette exploitation restera-t-elle hors d’eau ? Finalement, un tel projet mérite-t-il que l’on fasse un sacrifice si lourd ?
Pour conclure
De fait, une mine de ce type à Tréguennec serait une catastrophe à plusieurs titres : les espèces endémiques de la flore locale risqueraient de s’éteindre, des animaux en voie de disparition n’auraient plus de refuge ; le paysage s’en trouverait à jamais bouleversé ; la mer risquerait de progresser très rapidement dans les terres ; les étangs et les champs seraient régulièrement atteints par les marées ; des habitations devraient être abandonnées ; tout le Pays bigouden serait défiguré. Quand on sacrifie des espaces aussi importants pour la planète, parcelle après parcelle, on s’attaque à tout l’environnement : un jour, plus rien ne méritera d’être sauvé.
Certes, il n’y a pas assez de lithium, mais il n’y en aura jamais assez ; asséner qu’ouvrir une mine en France permettrait d’en fermer une autre dans le monde est un argument fallacieux. Notre société veut toujours avoir plus et plus vite, en créant de nouveaux besoins et sans se soucier des destructions que cela produit. Une nouvelle mine s’ajoutera simplement à toutes les autres. Pour un avenir plus serein, il convient de développer une gestion sensée, équilibrée et durable des ressources, respectueuse de la nature, des sites et des habitants, et non une exploitation des ressources naturelles outrancière. C’est une question qui ne se pose pas seulement à l’échelle d’une région, mais de la planète : le site économique Bloomberg a affirmé récemment que l’opposition aux mines de lithium est « le plus grand défi [de l’industrie minière] pour l’avenir » [29]. Dans le monde entier désormais, des protestations se manifestent presque systématiquement lorsqu’un projet d’exploitation minier de grande ampleur est annoncé [30]. À l’évidence, la multiplication des forages est une fuite en avant, et les populations ont conscience du désastre.
Somme toute, pour sauver des sites tels que celui de Tréguennec, il convient de s’éloigner du modèle consumériste actuel, de concevoir un système de vie plus respectueux de la nature. Il faudrait à minima mettre au point un moyen efficace de recycler les batteries et cesser d’en placer dans tous les appareils électriques. Mieux vaut diminuer les besoins de l’industrie minière plutôt que de lui donner des alibis.
Les chercheurs ont aujourd’hui engagé une course de vitesse. Certains s’attellent à découvrir des moyens de recyclage nouveaux des batteries au lithium ; d’autres mettent au point un type de batteries plus propre tandis que d’autres mènent le projet funeste de détacher le lithium du mica à bas coût. En un mot, il est urgent de réfléchir, tout en restant vigilants : l’avenir de sites tels que celui de Tréguennec repose sur ceux qui les premiers viendront à bout de leurs recherches. Et sur la capacité de la société civile à choisir son destin !
Sophie Grosjean-Agnes
Frédéric Hérembert, délégué de Sites & Monuments pour le Finistère
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