Nous avions évoqué le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables au Sénat et à l’Assemblée sous le prisme de l’influence des lobbys (voir ici et ici). Son vote solennel par l’Assemblée Nationale et la préparation de la Commission Mixte Paritaire tendant à résoudre les divergences des deux Chambres donne l’occasion de revenir sur ce texte concernant au premier chef les paysages.
1. Le code du patrimoine mis sous la tutelle du code de l’énergie
L’introduction répétée par le groupe Renaissance d’une dérogation, rédigée par le lobby des ENR (voir ici), au pouvoir d’autorisation des ABF en matière de panneaux solaires a été écartée, mais remplacée par un amendement particulièrement pernicieux.
- De l’élaboration d’un guide à destination des ABF...
Nous demandions, dans notre amendement de suppression déposé par des députés LR (comparer ici et ici), le retour de l’avis conforme des ABF, supprimé en commission, et l’élaboration d’un guide de recommandations permettant d’homogénéiser leurs pratiques dans ce domaine, comme le préconisait le rapport Botteghi, à l’origine du projet de loi (voir ici).
Le rétablissement de l’avis conforme avait été demandé par de très nombreux députés des groupes PS et PC (voir ici et ici), du groupe Horizon (voir ici), du groupe LR (voir ici), du Rassemblement National (voir ici) et même du groupe Renaissance (voir ici). La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, expose, pour sa part, "avoir réfléchi [...], avec la ministre de la culture, à l’élaboration d’une circulaire à destination des ABF, tout d’abord pour leur rappeler le bien-fondé et le caractère prioritaire des énergies renouvelables, mais également pour les guider dans l’instruction des projets, de façon à tenir compte de l’évolution des technologies, comme les tuiles solaires. Un juste équilibre a été trouvé, permettant de donner aux avis des ABF une plus grande homogénéité. Je viens de signer cette circulaire ; Rima Abdul Malak l’a signée également hier et Christophe Béchu devrait la trouver aujourd’hui sur son bureau. En conséquence, la ministre estime que Cette initiative [création d’un guide], ajoutée au fait d’en revenir au droit existant, [lui] paraît un compromis équilibré" (voir débats).
C’est le rapporteur Renaissance de la commission du développement durable, Pierre Cazeneuve, partisan de l’avis simple des ABF, qui proposa un amendement de repli auquel la ministre, qui y était semble-t-il d’abord défavorable, se rallia.
Il s’agit de prévoir que l’ABF, dans les abords des monuments historiques et les Sites patrimoniaux remarquables, « tient compte des objectifs nationaux de développement de l’exploitation des énergies renouvelables et de rénovation énergétique des bâtiments tels que définis à l’article L. 100‑4 du code de l’énergie. » Celui-ci a été rédigé par le député Renaissance des Deux-Sèvres, Bastien Marchive, titulaire d’un master 2 de droit de la construction et de l’urbanisme de Paris I.
Il s’agit d’"intégrer les objectifs de développement des énergies renouvelables et de rénovation énergétique des bâtiments aux critères dont [les ABF] doivent tenir compte dans la rédaction de leurs avis. Une telle mesure permettra d’intégrer les enjeux environnementaux aux missions des ABF sans prévoir de dérogations aux procédures actuelles et de concilier ainsi protection du patrimoine et transition environnementale". En effet, selon la présentation faite en séance par le groupe Renaissance, "un grand nombre de projets, lorsqu’ils sont situés dans des zones classées au titre du code du patrimoine, ne peuvent jamais être menés à terme en raison des avis négatifs qu’ils reçoivent de la part des architectes des bâtiments de France. Chacun a pu rencontrer une situation de la sorte au sein de son territoire, en particulier dans les centres-villes et les centres-bourgs anciens".
Les socialistes et les écologistes de la NUPES se rallièrent à cet amendement, le groupe Républicain et Delphine Batho faisant connaitre leurs interrogations sur les conséquences patrimoniales de la mesure.
Étonnamment, alors que le débat portait sur une catégorie particulière d’ENR, l’amendement concerne en définitive l’ensemble des énergies renouvelables, mais aussi la rénovation énergétique, pourtant totalement exclue de l’objet du projet de loi !
- ... à la prise en compte d’objectifs de développement des énergies renouvelables et de rénovation énergétique
Le renvoi par l’amendement à l’article L. 100‑4 du code de l’énergie, définissant les objectifs nationaux de développement des énergies renouvelables et de rénovation énergétique, est problématique. Ce texte, dont les ABF devront désormais "tenir compte" (ce qui oblige traditionnellement en droit à ne pas s’écarter de la règle), prévoit : "4° De porter la part des énergies renouvelables [...] à 33 % au moins de la consommation finale brute d’énergie en 2030" (elle est aujourd’hui de 20% en raison de leur priorité d’accès au réseau), ce qui aura une conséquence sur les avis des ABF.
Surtout, cet article vise "7° à disposer d’un parc immobilier dont l’ensemble des bâtiments sont rénovés en fonction des normes "bâtiment basse consommation" ou assimilées, à l’horizon 2050", ce qui n’est possible qu’à un coût patrimonial considérable. Comment, dans ce cadre, sauver les dernières portes et croisées du XVIIIe siècle ornant nos villes et bourgs anciens ? Comment s’opposer à la placoplatrisation des intérieurs dans les SPR dotés de PSMV ? Comment, enfin, s’opposer aux isolations par l’extérieur ? Que restera-t-il en 2050 du bâti patrimonial à ce compte ?
Ces deux objectifs sont la résultante d’un autre, celui "5° De réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2035", que nous dénonçons régulièrement pour ses conséquences indirectes sur le patrimoine naturel et bâti. Au moins, le lien de causalité entre cette mesure aujourd’hui très contesté et la dégradation de notre cadre de vie sera-t-il patent ! Si toutefois elle subsiste dans le texte.
- Le principe d’indépendance des législations mis à mal
La digue constituée par le principe d’indépendance des législations, qui protégeait jusqu’alors le code du patrimoine de la pression d’autres codes "dominants", vient de céder. Le code du patrimoine est désormais mis sous la tutelle du code de l’énergie, haut lieu de l’irrationalité et de l’idéologie, tandis que les ABF, en sous effectif chronique et peinant déjà à accomplir leurs missions les plus élémentaires, sont désormais en charge d’une nouvelle politique publique.
Rappelons que l’appel hiérarchique des avis des ABF, organisé par l’article L. 632-2 du code du patrimoine, permettait au préfet d’arbitrer entre d’éventuelles contradictions de nos politiques publiques sans confusion de missions.
Bien évidemment, en "intégrant les objectifs de développement des énergies renouvelables et de rénovation énergétique des bâtiments aux critères dont doivent tenir compte [les ABF] dans la rédaction de leurs avis" (voir débats), le législateur crée une très forte incertitude juridique sur les avis des ABF en cas de contentieux.
2. Un "intérêt public majeur" pour mieux détruire la biodiversité
L’article L. 411-1 du code de l’environnement prévoit une interdiction de principe des perturbations intentionnelles et de la destruction de l’habitat des espèces protégées, avec une possibilité de dérogation « dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique » (article L. 411-2 4° c du même code).
- Une dérogation existante pour les projets d’envergure
Sites & Monuments avait rencontré ce concept en avril 2021 dans un arrêt du Conseil d’État relatif au parc éolien de la forêt de Lanouée (Morbihan), saignée pour l’occasion afin d’y établir 17 éoliennes. La reconnaissance d’un tel intérêt permettait en effet de déroger à l’interdiction de porter atteinte aux soixante espèces animales protégées qui y étaient dénombrées. Dans cette affaire, le Conseil d’État a considéré qu’un tel intérêt public majeur était bien constitué, ce parc devant permettre « l’approvisionnement en électricité de plus de 50 000 personnes ».
À Andon (Alpes-Maritimes), une centrale photovoltaïque de 61 hectares a remplacé la végétation du Parc naturel régional des Préalpes d’Azur. L’arrêté préfectoral du 29 octobre 2019, décidant du défrichement de la forêt, donne également « dérogation à l’interdiction de destruction et de perturbation d’espèces animales protégées » au motif d’une production d’« environ 50 000 MWh par an [pouvant] alimenter près de 30 000 foyers » (en ignorant naturellement le facteur de l’intermittence et celui de la priorité d’accès au réseau)…
- La généralisation de la dérogation à tous les projets
Souhaitant généraliser la reconnaissance de cet intérêt public majeur dérogatoire, le gouvernement prévoit, dans son projet de loi, que « les installations de production d’énergie renouvelable, y compris leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d’énergie, sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur […] dès lors qu’ils satisfont à des conditions définies par décret » (voir ici).
- Un amendement conçu par un lobby industriel
Cette disposition a heureusement été supprimée lors de l’examen du texte en commission du développement durable après que dix amendements de suppression aient été déposés, émanant de toutes les formations politiques excepté le groupe Renaissance.
La présomption d’intérêt public majeur a cependant été réintroduite en séance, avec le soutien du gouvernement, dans un amendement provenant d’un lobby : l’Union Française de l’Electricité (UFE), fédérant 21 membres, dont le Syndicat des Energies Renouvelables, France Energie Eolienne, RTE, Total Energies, le gazier ENI... Il s’agit d’octroyer automatiquement la reconnaissance d’un intérêt public majeur aux "projets d’énergie renouvelable [qui] peuvent être actuellement considérés comme ne répondant pas à une raison impérative d’intérêt public majeur notamment au motif que leur puissance serait trop modeste pour participer aux objectifs énergétiques nationaux".
"L’avantage" procuré par la production d’ENR, mis en balance avec l’atteinte portée à la biodiversité, pouvait alors être jugé insuffisant... En abandonnant cette logique de mise en balance au profit d’une présomption favorable aux ENR, le nouveau texte favorise le mitage des paysages comme de l’habitat de la faune.
- Un champ d’application maximisé
Cette disposition s’applique aux installations de production d’énergie renouvelable mais aussi "de stockage d’énergie, de gaz bas‑carbone ou d’hydrogène renouvelable ou bas‑carbone" (de véritables usines), à "leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d’énergie" (balafres dans les paysages) mais aussi, apport de l’amendement retenu, aux "stations de transfert d’énergie par pompage (STEP)", retenues d’eau remplies par pompage utilisant l’électricité inutile produite dans les périodes creuses. Il s’agit de l’équivalent des "bassines", décriées pour la destruction de terres agricoles et de biodiversité, sans parler de leurs conséquences pour les paysages.
L’exposé des motifs de l’amendement adopté explique que, "compte-tenu des besoins de stockage à venir, il sera indispensable de disposer également de ces moyens de stockage centralisés, en capacité d’absorber des surplus de production très importants, quel que soit l’endroit où ils sont produits. La rédaction proposée vise donc à les inclure dans les simplifications proposées pour accélérer leur développement".
La députée écologiste Delphine Batho réagit a cette présentation en expliquant que : "La question est [...] de savoir si tout projet de production d’énergies renouvelables – mais aussi d’installation du réseau, de transformateurs et autres lignes à haute tension –, quel que soit ce projet et où qu’il soit implanté, est présumé par principe être autorisé à détruire des espèces protégées. À titre personnel, je réponds non." (voir ici)
La rédaction adoptée par l’amendement supprime en outre tout renvoi à un décret en Conseil d’État définissant les caractéristiques des projets susceptibles de bénéficier de la présomption d’intérêt public majeur.
La députée Delphine Batho le souligne en séance : "Puisque le rapporteur a souhaité le vote de cet amendement, je veux tout de même insister sur ses conséquences, à savoir la suppression de tout encadrement par le décret en Conseil d’État : désormais, il n’y a plus aucune limite." Marjolaine Meynier-Millefert, députée Renaissance ayant porté l’amendement de l’Union Française de l’Electricité, explique que son "amendement no 2079, défendu par Mme Brulebois, visait avant tout à donner l’occasion au Gouvernement de faire connaître sa position. Nous ne souhaitions pas qu’il soit adopté" (voir ici) !
Le renvoi à un décret d’application sera probablement rétabli par la CMP, ce qui permettra au gouvernement d’expliquer qu’il tient compte des critiques. Cette modification ne changera pourtant rien à la nature de l’article 4 du projet de loi, qu’il faudrait supprimer comme le demandent de nombreux députés de toutes tendances.
- "Anticiper" les exigences européennes
Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, explique que "Cet amendement permet également d’aligner l’article 4 sur le texte qui vient d’être voté au Parlement européen, et ainsi d’anticiper la directive relative aux RIIPM qui s’ensuivra, avec laquelle nous sommes d’ailleurs pleinement d’accord [...] ; avec ce projet de loi, nous prenons les devants.".
Dans le même temps, un projet de directive européenne 2022/0160 (COD) - auquel les association s’opposent fermement - vise en effet à conférer à « la planification, la construction et l’exploitation d’installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables », ainsi qu’aux réseaux et stockages afférents, un caractère d’« intérêt public supérieur » ressemblant furieusement à la notion française d’intérêt public majeur.
Notons que la Recommandation de la Commission du 18 mai 2022, accompagnant le projet de directive, est sans ambiguïtés sur les conséquences de la reconnaissance d’un tel intérêt aux ENR : « Les États membres devraient veiller à ce que la mise à mort ou la perturbation d’espèces données d’oiseaux sauvages et d’espèces protégées au titre de la directive 92/43/CEE du Conseil ne fasse pas obstacle au développement de projets dans le domaine des énergies renouvelables […] » (§ 24).
Il est révélateur de constater que, malgré les protestations de l’écologiste Delphine Batho, la présomption d’intérêt publique majeur soit reconnue aux projets d’ENR situés en dehors des "zones d’accélération" dédiées à l’accueil de ces énergies (voir ci-dessous).
Cette reconnaissance d’un intérêt public majeur, n’est pas présentée par certains grands médias pour ce qu’elle est, une disposition facilitant la destruction des espèces protégées, mais comme un dispositif permettant de "réduire les recours" (voir ici et ici).
3. Un éolien "planifié" (zones d’accélération des ENR) s’ajoutant à l’éolien anarchique
Le projet de loi entend planifier le développement éolien en créant des "zones d’accélération". Il s’agit de s’appuyer sur les communes volontaires pour accueillir des ENR. Le texte précise par conséquent qu’"Aucune zone d’accélération ne peut être identifiée sans l’avis conforme de la commune concernée". Les communes déterminent ainsi, "Après concertation du public selon des modalités qu’elles déterminent [...], des zones d’accélération pour l’implantation des énergies renouvelables".
- Des "zones d’accélération" incitatives
Si le "comité régional de l’énergie, [dans un avis] rendu au plus tard trois mois après la réception du recensement [...] conclut que les zones ainsi définies ne sont pas suffisantes pour l’atteinte de les objectifs [régionaux], les référents préfectoraux demandent aux communes, dans un délai de trois mois, l’identification de zones complémentaires." Les nouvelles propositions sont alors soumises, "dans un délai de trois mois, au comité régional de l’énergie, qui émet un nouvel avis" (voir article 3), sans que l’on en connaisse la sanction, certains députés précisant qu’en absence de propositions satisfaisantes il ne se passera... "rien" (intervention du député MoDem Philippe Vigier).
Mais au-delà de l’établissement de ces zones d’accélération au régime bonifié pour les promoteurs, la ministre de la transition énergétique n’entend pas renoncer à la contrainte normative introduite à l’occasion de la loi climat et résilience voulant que les SCOT soient compatibles aux SRADDET et les SRADDET eux-mêmes compatibles avec les objectifs régionaux de développement des ENR : "Vous demandiez si, à la fin, les maires auront le dernier mot s’agissant de la définition des zones d’accélération dans leur commune : la réponse est oui. Cela étant, il faudra que les surfaces désignées correspondent à la programmation pluriannuelle de l’énergie… [M. Pierre Dharréville : "Donc en fait, c’est non."] car l’objectif est bien de produire de l’électricité : il ne s’agit pas de donner un témoignage en ne consacrant qu’un mètre carré de terrain à la production d’énergies renouvelables et en sauvegardant le reste." (voir ici).
- Un territoire en réalité totalement disponible pour les ENR
La question su sort du reste du territoire, celui situé hors des "zones d’accélération", fut posée par de nombreux parlementaires.
Le député Les Républicains Marc Le Fur, à l’appui de sa demande de suppression des "zones d’accélération", pointe ainsi : "vous proposez de créer des zones dans lesquelles le développement de l’énergie éolienne sera encouragé. Il restera [pourtant] possible sur l’ensemble du territoire, mais le sera davantage dans les zones d’accélération..." (voir ici).
Côté écologistes, Delphine Batho affirme qu’"il manque un élément [...] : quand un territoire fait le travail, définit ses zones d’accélération, qu’il est dans les clous au vu des objectifs à atteindre [...], à ce moment-là, dans ce territoire-là, on ne peut pas faire autre chose que ce qui a été planifié par les élus locaux. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.) [...] Là où les élus locaux ont fait le travail de planification, la planification s’applique [...], à l’exclusion de toute autre zone", comme le propose son amendement.
La députée Insoumise Clémence Guetté renchérit : "le but est d’établir une vraie planification [...] contraignante car nous souhaitons [...] que les zones d’accélération deviennent des zones dédiées aux énergies renouvelables. En dehors de celles-ci, il s’agit de mettre fin à la guerre économique à laquelle se livrent les développeurs privés, qui déstabilise les communes, les élus locaux et les riverains." (voir l’amendement]).
La députée Rassemblement National Mathilde Paris tente d’embrasser par un amendement l’ensemble des interventions : "Nous voulons rendre les zones d’accélération opposables. [...] il faut faire en sorte qu’en dehors de ces zones, on ne puisse pas implanter d’installations. Le fait que plusieurs amendements aillent en ce sens montre un certain accord entre nous ; j’espère donc que l’un d’eux sera adopté".
Le député horizon Henri Alfandari, rapporteur de la commission des affaires économiques, répondit benoitement qu’"il s’avère impossible de le faire, car à l’heure actuelle, nous sommes incapables d’établir un ratio entre le besoin en puissance et la surface nécessaire à l’installation des équipements. De la même manière, les objectifs de la PPE sont des objectifs nationaux régionalisés, que nous ne parvenons pas, du moins pour le moment, à décliner territorialement."
L’éolien "planifié" s’ajoutera par conséquent à l’éolien anarchique.
4. Une interdiction inopérante des défrichements pour parcs photovoltaïques
Le rapporteur Renaissance de la commission de l’économie, Éric Bothorel, a introduit dans le projet de loi un article 11 alinéa 46, créant un article L. 111-32 dans le code de l’énergie au terme duquel : « Les constructions et les installations de production d’électricité à partir de l’énergie solaire implantées sur les sols ne sont pas autorisées dans les zones forestières lorsqu’elles nécessitent un défrichement, au sens de l’article L. 341-1 du code forestier, soumis à évaluation environnementale systématique en application de l’article L. 122-1 du code de l’environnement ou lorsque le terrain d’emprise du projet photovoltaïque a fait l’objet d’une autorisation de défrichement répondant aux mêmes conditions dans les cinq années précédant la demande d’autorisation d’urbanisme. »
- Un texte illisible
Selon l’exposé des motifs de l’amendement, il s’agit « de limiter la concurrence potentielle entre l’exploitation forestière et la production d’énergie électrique d’origine solaire. Ainsi, l’article L. 111-34 interdit l’implantation de telles centrales solaires sur les terrains qui ont pu faire l’objet d’une autorisation de défrichement depuis moins de cinq années, soumise à évaluation environnementale systématique. »
Le rapport de la commission des affaires économiques n’est pas plus explicite en visant « l’interdiction, sous certaines conditions, des installations photovoltaïques dans les zones forestières lorsqu’elles nécessitent un défrichement ».
La pleine compréhension de cet article impliquait la consultation de l’article R. 122-2 du code de l’environnement, permettant d’accéder difficilement à un tableau nous apprenant (catégorie 47) que sont soumis à évaluation environnementale les seuls « défrichements portant sur une superficie totale, même fragmentée, égale ou supérieure à 25 hectares. »
Ce point a été vu par La France Insoumise qui propose, dans un amendement, de « conserver l’ajout bienvenu de la commission des affaires économiques, qui interdit les installations de panneaux photovoltaïques au sol nécessitant un défrichement [en l’élargissant] toutefois à tous les projets d’installation de panneaux photovoltaïques au sol, et non seulement à ceux qui sont soumis à l’obligation d’évaluation environnementale du fait de leurs caractéristiques d’emprise au sol ou de puissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – Mme Sandra Regol [Ecologiste] applaudit également.) » (voir ici)
- Une vaine promesse
Le rapporteur de la commission des affaires économiques, Éric Bothorel, explique alors « rejoindre » l’amendement de LFI « sur un point : comme vous le rappelez […], il est temps de mettre fin à la pratique consistant à déforester pour installer des panneaux photovoltaïques au sol – finito, comme dirait l’autre ! Nous devrons être fermes sur ce point – je le serai. » (voir ici).
Pourtant le texte ne changea pas d’un iota et fut transmis à la CMP (article 11 decies al. 46) avec la possibilité de déboiser jusqu’à 25 hectares de forêt pour établir des panneaux photovoltaïques…
Outre le fait que 25 hectares est une surface importante dont le défrichement peut avoir des répercussions significatives sur la biodiversité et les paysages, il est particulièrement simple de tourner cette interdiction en multipliant les parcs de 25 hectares le long d’un câble de raccordement au point de livraison, ce que l’on observe notamment dans un projet à Saint-Cirq-Lapopie dans le Lot, dont le premier parc photovoltaïque - très décrié - nécessitera le défrichement de 20 hectares, soit la superficie de 30 terrains de football, et l’arrachage de 7000 arbres.
Il aurait pourtant été facilement possible d’interdire les défrichements soumis à évaluation environnementale « au cas par cas » (et non plus « systématique »), ce qui, aux termes du tableau de l’article R. 122-2 du code de l’environnement, aurait permis d’empêcher les déboisement de plus de 0,5 hectares.
La transition énergétique n’ira donc pas de pair avec la sauvegarde de la biodiversité comme le demandaient les associations écologistes !
5. Le refus de toute protection opposable significative
- Rejet d’un avis conforme des ABF dans les 10 km d’un site patrimonial en matière éolienne
Une disposition opposable efficace pour le patrimoine tenait à la création d’un avis conforme des architecte des bâtiments de France pour les éoliennes situées dans les dix kilomètres des monuments historiques et des Sites patrimoniaux remarquables. Cet amendement, que nous avions proposé à l’ensemble des députés - permettant notamment de réduire le périmètre aux seules zones utiles - a été repoussé en séance. Les motifs de ce rejet sont étonnants.
Ainsi, le rapporteur Renaissance Pierre Cazeneuve explique : "Je ne laisserai pas des députés s’arroger le rôle de grands défenseurs du patrimoine car cette préoccupation est partagée par tous. Le Gouvernement et la majorité se sont clairement positionnés à de maintes reprises et nous n’avons aucune leçon à recevoir à ce sujet", ce qui fait sourire quand on connait la dérégulation inédite de la protection du patrimoine depuis 2017. Le rapporteur invoque également sa propre turpitude en expliquant qu’"Il n’y a que 120 architectes des bâtiments de France pour tout le territoire. Ils auront donc du mal à traiter l’ensemble des dossiers". Nous demandons pourtant depuis 2017 l’augmentation du nombre des ABF (en dernier lieu dans le cadre des auditions de la loi de Finance)... Nous savons désormais que les ABF sont volontairement maintenus en sous-effectif afin de pouvoir s’en prévaloir.
La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, renchérit en déclarant : "Soyons clairs : ces amendements manifestent un refus de développer les énergies renouvelables. Assumez votre opposition à l’indépendance énergétique de notre pays ! (Vives protestations sur les bancs des groupes RN et LR.) Assumez que vous ne voulez pas d’une production d’électricité bas-carbone. Assumez que vous préférez laisser les Français dans le noir demain plutôt que de sortir des énergies fossiles. (Mêmes mouvements.)". Aggravant son cas, alors même qu’elle allait proposer une planification non opposable, la ministre explique : "Pensez-vous qu’un maire soit mal placé pour défendre son patrimoine, sa politique touristique et l’attractivité de son territoire ? Je ne comprends pas le sens de vos amendements. (Brouhaha.)" (voir débats de l’article 1er CA).
Aussi, nous reproposons cet amendement, avec un exposé des motifs étoffé, dans la perspective de la CMP.
- Rejet d’une distance de principe de 40 km des côtes en matière d’éolien maritime
Une autre mesure importante pour les paysages, celle tenant à l’éloignement des parcs éoliens en mer à 40 km des côtes a lui aussi été repoussé.
Au sortir du Sénat, l’article 12 du projet de loi prévoit que "le document stratégique de façade identifie, pour chaque façade maritime, une cartographie des zones maritimes et terrestres propices à l’implantation, sur une période de dix ans suivant sa publication, d’installations de production d’énergies renouvelables en mer à partir du vent et de leurs ouvrages de raccordement au réseau public de transport d’électricité."
Le texte précise immédiatement, à la faveur d’un compromis négocié par le Sénat avec le Gouvernement, que « Pour l’élaboration de la cartographie prévue au premier alinéa du présent II, sont ciblées en priorité des zones propices situées dans la zone économique exclusive » (zone située au-delà des 12 milles nautiques, c’est-à-dire à 22, 2 km) (voir ici). Nous demandions que les "zones d’implantation soient situées à une distance minimale de 40 kilomètres du rivage, lorsque les contraintes techniques et technologiques le permettent" (voir ici)
Le député MoDem du Morbihan, Jimmy Pahun, navigateur de profession, est l’auteur d’un amendement visant "à préciser le texte, car les mots « en priorité » ne sont pas contraignants. Le député remercie la ministre pour le travail fait au Sénat pour établir prioritairement les parcs éoliens au-delà d’une distance de 12 milles nautiques. Toutefois, quelle signification donnez-vous exactement à l’article 12 dans sa rédaction actuelle ? Fixe-t-il une obligation de méthode ou une obligation de résultat ? Concrètement, dans quelles conditions les planificateurs pourront-ils prévoir des parcs éoliens en deçà des 12 milles nautiques ? [...] Nous proposons ainsi d’écrire dans le projet de loi que seules des « contraintes techniques et technologiques insurmontables » autoriseront à déroger au principe des 12 milles nautiques." (voir ici).
À cet amendement de bon sens, le rapporteur Renaissance Pierre Cazeneuve répondit : "Gardons la flexibilité que nous donne actuellement le texte et évitons de fixer des contraintes à une filière industrielle en plein développement. On l’a beaucoup dit, elle pourrait être demain un bijou français. Elle représente 6 600 emplois aujourd’hui, qui pourraient passer à 20 000 dans dix ans si la tendance actuelle se confirme."(voir ici). Nous considérons, pour notre part, que le véritable "bijou français" et la beauté de son littoral...
Comme en matière d’éolien terrestre, il s’agit d’intéresser les communes au massacre de leurs paysages. Ainsi, le député MoDem Mickaël Cosson, "souhaitant voir le verre à moitié plein", "rappelle que les communes situées à moins de 12 milles marins se partageront le butin de 9,228 millions d’euros par an pendant les vingt prochaines années : 50 % seront en effet reversés aux communes littorales, 35 % aux comités des pêches [...], 5 % à la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) et 10 % pour financer des projets favorisant le développement durable d’autres activités maritimes." (voir ici).
La sécurisation effective de la zone des 12 milles marins ayant été repoussée, le député écologiste M. Nicolas Thierry tenta de faire interdire l’éolien en mer dans les "parcs naturels marins", expliquant notamment qu’"Il n’y en a que huit en France, [qu’]il s’agit de zones particulièrement riches sur le plan de la biodiversité et [que] leur préservation est essentielle à l’équilibre des écosystèmes. J’insiste sur ce point : si même ces parcs n’étaient pas préservés, la biodiversité marine ne serait plus protégée nulle part des installations industrielles. C’est pourquoi, je le répète, préserver les parcs naturels marins est le minimum que nous puissions faire pour trouver un équilibre entre biodiversité et lutte contre le changement climatique." (voir ici).
Ce à quoi le rapporteur pour avis, approuvé par le gouvernement, répondit que cet amendement "reviendrait à annuler les deux projets de parcs en Méditerranée qui ont déjà fait l’objet d’un appel d’offres". L’ancienne ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, appuya le rapporteur par cet argument singulier : "Pour ma part, je ne voudrais pas que l’interdiction d’implanter des éoliennes à l’intérieur d’une zone protégée entraîne, par contrecoup, davantage de difficultés à créer de nouvelles zones protégées. [...] Cela nous évitera de tomber dans le piège qui serait de ne plus pouvoir créer de nouvelles zones protégées parce qu’on y aurait implanté des éoliennes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)"
Comme pour l’éolien terrestre, il n’est pas question d’élaborer des principes de protection opposables. Les promoteurs doivent être chez eux partout, sur terre comme en mer.
Conclusion
La France sera plus que jamais un Far West pour les promoteurs ENR (soumission des ABF à leurs objectifs, reconnaissance de l’"intérêt public majeur" de leurs projets), avec quelques avantages supplémentaires dans certains territoires, les "zones d’accélération des ENR". Mais que deviendront nos paysages, terrestres ou maritimes, et leur biodiversité si la CMP n’y met pas bon ordre ? Des zones semi-industrielles dépotoirs de nos métropoles ?
Nous préconisons par conséquent l’adoption de six mesures : la suppression de l’article 1er quater A du projet de loi (soumission du code du patrimoine au code de l’environnement) ; la suppression de l’article 4 (conférant automatiquement un "intérêt public majeur" aux ENR) ; de rendre opposables les zones favorables à l’implantation des ENR (article 3) afin d’épargner le reste du territoire ; d’interdire les défrichements pour la création de parcs photovoltaïques y compris en deçà de 25 hectares ; de créer un avis conforme des ABF dans les 10 km des principaux sites patrimoniaux (article 1er CA) et de conditionner l’implantation des éolienne marines dans le bande des 12 milles à la démonstration d’une contrainte insurmontable (article 12 al 7).
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Texte transmis le 23 janvier 2023 aux membres de la CMP