Après un long combat (lire notre précédent article) devant les juridictions administratives, jusqu’au Conseil d’État, l’APTERR, Sites & Monuments et plusieurs riverains ont obtenu le démantèlement de trois socles d’éoliennes que le promoteur, sûr de son fait, avait eu l’imprudence de faire construire en 2020 sans attendre le résultat de l’appel des requérantes.
Une victoire au fondement intéressant : l’atteinte à "la commodité du voisinage"
Le Conseil d’État a finalement choisi de rendre définitif l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 20 juillet 2021 retenant « l’effet d’écrasement et de trouble excessif des commodités de voisinage ».
En effet, l’article L. 511-1 du code de l’environnement prévoit que "Sont soumis aux dispositions du présent titre [...] les installations [...] qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, [...] soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, [...] soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique."
Or, l’article L. 181-3 du code de l’environnement prévoit que « L’autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu’elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles [...] L. 511-1 », l’article R. 181-34 du même code précisant que « Le préfet est tenu de rejeter la demande d’autorisation environnementale [...] Lorsqu’il s’avère que l’autorisation ne peut être accordée dans le respect des dispositions de l’article L. 181-3 ».
Les emplacements prévus des aérogénérateurs étaient en effet particulièrement proches et en surplomb des hameaux et de leurs habitations, situation à laquelle il était impossible de remédier...
La Cour administrative d’appel, dans son arrêt confirmé en cassation, précise, qu’"à l’issue de l’enquête publique, le commissaire enquêteur a émis un avis défavorable au projet compte tenu de la grandeur des éoliennes, des caractéristiques topographiques du site et de la proximité d’un grand nombre d’habitations, retenant notamment que " cet espace ouvert ne permet pas d’atténuer la présence des éoliennes à partir des hameaux et villages, principalement les hameaux situés au sud du site qui subiront un phénomène d’écrasement dû à la position inférieure de 30 m". Il résulte de l’instruction, notamment du cahier des photomontages et des photographies produites par les requérants, que les hameaux de Dinametz, de Douet-Robert, de la Douettée et de l’Hôtellerie, situés à moins de 700 mètres des éoliennes projetées, seront particulièrement exposés à un phénomène de surplomb lié à la topographie du site, à la grande hauteur des aérogénérateurs et à la proximité de leur implantation. Il suit de là que le projet litigieux présente des inconvénients excessifs pour la protection de l’environnement et la commodité du voisinage qui ne sauraient être prévenus par des prescriptions spéciales. Par suite, l’arrêté du 5 mai 2017 a été pris en méconnaissance des dispositions de l’article L. 511-1 du code de l’environnement et doit, dès lors, être annulé."
Comme l’explique un avocat spécialisé dans le Journal de l’Eolien : "Cet arrêt apparaît comme inédit en ce que le juge administratif dessine ici une modalité de police préventive de protection des troubles excessifs du voisinage éolien. Jusque-là, le juge judiciaire est traditionnellement compétent pour trancher les litiges avérés relatifs aux troubles anormaux de voisinage en tant qu’il est appelé à connaître des contentieux liés à la propriété immobilière et donc aux troubles excessifs qui peuvent en résulter."
Retour sur les dispositions du code de l’environnement relatives au démantèlement des socles éoliens
Le promoteur, qui n’avait pu achever son chantier, était dès lors tenu de remettre le site en son état originel conformément à l’article R. 515-106 du code de l’environnement résultant principalement d’un décret du 26 janvier 2017 prévoyant que les opérations de démantèlement comprennent : "1° Le démantèlement des installations de production ; 2° L’excavation de tout ou partie des fondations ; 3° La remise en état des terrains sauf si leur propriétaire souhaite leur maintien en l’état ; 4° La réutilisation, le recyclage, la valorisation ou à défaut l’élimination des déchets de démolition ou de démantèlement dans les filières dûment autorisées à cet effet."
Un arrêté du 26 août 2011, dans sa version modifiée par un arrêté du 22 juin 2020, précise que le démantèlement comprend :
"- l’excavation de la totalité des fondations jusqu’à la base de leur semelle, à l’exception des éventuels pieux. Par dérogation, la partie inférieure des fondations peut être maintenue dans le sol sur la base d’une étude adressée au préfet et ayant été acceptée par ce dernier démontrant que le bilan environnemental du décaissement total est défavorable, sans que la profondeur excavée ne puisse être inférieure à 2 mètres dans les terrains à usage forestier au titre du document d’urbanisme opposable et 1 m dans les autres cas. Les fondations excavées sont remplacées par des terres de caractéristiques comparables aux terres en place à proximité de l’installation. [...]
- la remise en état du site avec le décaissement des aires de grutage et des chemins d’accès sur une profondeur de 40 centimètres et le remplacement par des terres de caractéristiques comparables aux terres à proximité de l’installation, sauf si le propriétaire du terrain sur lequel est sise l’installation souhaite leur maintien en l’état."
Le promoteur allemand Bayware (ayant racheté le projet au Français Valorem) s’est exécuté, l’opération a duré presque un semestre. L’ampleur des travaux de démolition, d’extraction du béton armé et de terrassement des sols démontre s’il en était besoin le caractère pleinement industriel de ces "parcs" éoliens, et souligne les difficultés à venir face aux friches industrielles que représenteront les sites éoliens dans quelques années, dans les cas d’un dépôt de bilan des sociétés exploitantes.
Malgré les démolitions intervenues, il se murmure que le promoteur reviendrait à la charge. La vigilance reste par conséquent de mise à Trédias.
Julien Lacaze et Marguerite Décard, pour Sites & Monuments
Jugement du tribunal administratif de Rennes du 19 décembre 2019
Arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 20 juillet 2021
Arrêt du Conseil d’Etat n° 456301, 457003 du 17 décembre 2021