Un nouveau déni de démocratie environnementale
Un précédent décret, celui n°2018-1054 du 29 novembre 2018, pris en application de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance, supprimant notamment le double degré de juridiction dans le contentieux éolien, avait fait l’objet d’une consultation publique suscitant l’opposition de 95 % de ses participants (voir ici).
Un nouveau décret n°2018-1217 du 24 décembre 2018, ayant pour objet d’expérimenter en Bretagne et dans les Hauts-de-France la substitution d’une consultation Internet à l’enquête publique (voir ici), a, pour sa part, provoqué l’opposition de 93 % des participants (voir ci-dessous). Le Gouvernement n’en poursuit pas moins inexorablement sa route...
Ainsi, en ne respectant pas les 93 % d’avis défavorables de la consultation Internet, le ministère de la Transition écologique annonce ce qui adviendra lorsque des consultations Internet auront été substituées aux enquêtes publiques ! Bref, la consultation sur les consultations annonce leur future portée... Il est vrai que l’expression sur Internet se prête naturellement au discrédit. Le ministère souligne ainsi, dans sa synthèse de la consultation, « la référence aux gilets jaunes, qui revient fréquemment »...
Un texte donnant les pleins pouvoirs aux promoteurs et à l’administration
Sur le fond, l’idée du texte est de substituer à l’enquête publique, menée par un commissaire enquêteur, une double procédure. Une concertation préalable dotée d’un "garant" sera ainsi organisée en amont et complétée, en aval, par une participation électronique du public dont la synthèse sera confiée aux préfectures. Il s’agit finalement de passer d’une enquête publique menée par un commissaire-enquêteur indépendant à une concertation préalable à la main des promoteurs éoliens, assortie d’une participation électronique dont la synthèse sera confiée à des préfectures par ailleurs soumises à des objectifs en matière d’implantation d’éoliennes...
Les réponses données par le ministère dans la synthèse de la consultation publique sonnent comme un aveu : ainsi, « ce n’est pas le préfet qui est à la manœuvre dans la concertation amont, mais le porteur de projet [promoteur éolien] qui doit être à l’écoute des retours du public » ! Concernant la phase aval, c’est-à-dire la « procédure par voie électronique », « la principale différence avec l’enquête publique est l’absence de commissaire enquêteur. Néanmoins, [...] il y a lieu de rappeler que l’autorité compétente pour autoriser un projet (le préfet) répond aux même obligations de mettre en balance l’ensemble des intérêts concernés (économiques, sociaux et environnementaux) [...] et assurera donc un traitement objectif des observations du public en rédigeant la synthèse » (voir ci-dessous la Synthèse de la consultation publique).
On peut en douter, tout comme la Compagnie Nationale des Commissaires Enquêteurs (CNCE) qui souligne, lors de la consultation, l’absence de « tiers indépendant » au stade de la participation électronique entraînant un déficit de « crédibilité vis à vis du public concerné » (voir ci-dessous).
Dans l’ancienne procédure, l’indépendance du commissaire enquêteur était pourtant centrale, comme le prévoit l’article R. 123-4 du code de l’environnement : « Ne peuvent être désignés comme commissaire enquêteur [...] les personnes intéressées au projet [...] soit à titre personnel, soit en raison des fonctions qu’elles exercent ou ont exercées depuis moins de cinq ans, notamment au sein de la collectivité, de l’organisme ou du service qui assure la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre ou le contrôle du projet [...] soumis à enquête [...]. Avant sa désignation, chaque commissaire enquêteur [...] signe une déclaration sur l’honneur attestant qu’il n’a pas d’intérêt personnel au projet. Le manquement à cette règle constitue un motif de radiation de la liste d’aptitude de commissaire enquêteur ».
Des avis défavorables étaient ainsi régulièrement rendus par les commissaires enquêteurs aux préfets, comme dans le cas des éoliennes du château de La Bourbansais (voir ici). Ces avis pouvaient ne pas être suivis par les préfets, mais leur publication préalable (voir article L. 123-15 du code de l’environnement) rendait l’opération délicate, tandis que le juge des référés, saisi d’une demande de suspension d’une décision prise sur conclusions défavorables, devait en principe y faire droit (voir article L. 123-16 du code de l’environnement).
Avec le système expérimenté en vertu du décret, ce sont les préfectures (Direction départementale des territoires) qui instruiront directement les dossiers : autant dire que l’administration sera - à ce stade qui nécessite une véritable neutralité - juge et partie. Le préfet sera en effet par ailleurs soumis aux objectifs gouvernementaux de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) dévoilée le 25 janvier 2019 et prévoyant de « faire passer le parc éolien de 8000 mâts fin 2018 à environ 14 500 en 2028, soit une augmentation de 6500 mâts » (voir ci-dessous), estimation plus qu’optimiste, puisqu’à technologie et à hauteur égale, il faudrait en réalité 11 000 éoliennes supplémentaires pour atteindre l’objectif de 34,1 GW de puissance implantée en 2028...
Cet objectif est même décliné par la PPE sous la forme d’objectifs trimestriels à atteindre (voir ci-dessous), auxquels les préfets devront bien se soumettre... Ainsi, au 2e trimestre 2019, 0,5 GW d’éolien terrestre devront être implantés, 0,5 GW au 3e trimestre et 0,6 GW au 4e trimestre, soit un total de 1,6 GW pour 2019, ce qui représente environ 730 éoliennes supplémentaires (1,6 GW/2,2 MW), en se basant sur la moyenne de la puissance des nouveaux modèles ; en 2020, les appels d’offres devront permettre, sur 2 trimestres, l’implantation de 1,8 GW (soit 820 nouveaux aérogénérateurs) ; puis, à partir de 2021 et jusqu’en 2024, permettre chaque année l’implantation de 2 GW d’énergie éolienne supplémentaire (soit environ 910 nouvelles machines par an).
L’autorité environnementale doit ainsi, en principe, « mettre en balance l’ensemble des intérêts concernés (économiques, sociaux et environnementaux) » avant d’autoriser l’implantation d’un parc éolien. Cette affirmation est cependant contredite par des objectifs de plus en plus importants en termes d’implantations. Il est ainsi légitime de penser que la suppression des enquêtes publiques indépendantes sera l’instrument de l’effacement de certains de ces intérêts, pourtant eux aussi publics (en admettant que les éoliennes puissent entrer dans cette catégorie)...
Julien Lacaze, vice-président de Sites & Monuments
Consulter la synthèse de la consultation publique en date du 17 décembre 2018
Consulter la synthèse de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie 2019-2028