Avis du 16 juin 2021 de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages (CSSPP) sur l’éolien en mer

La Commission supérieure des sites, perspectives et paysages (CSSPP), placée auprès de la ministre de la Transition écologique, s’est autosaisie de la question de l’éolien en mer. La SPPEF - Sites & Monuments y était représentée par son président.

Inquiète des objectifs de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (5,2 GW à installer en mer pour 2028) et, plus encore, de l’identification d’un potentiel pour le littoral français de 57 GW par la Commission Européenne à l’horizon 2050 (voir ici) - le projet de 62 éoliennes en baie de Saint-Brieuc représentant à titre d’exemple seulement 0,5 GW installés, tout comme celui d’Yeu-Noirmoutier - la CSSPP a rendu, le 16 juin 2021, un avis particulièrement clair sur les conséquences de cette industrialisation de la mer pour le patrimoine naturel et paysager.

JL

Eoliennes en Mer du Nord, à 23 kilomètres des côtes d’Ostende (Belgique), le 27 octobre 2019. Photo : afp / Eric Feferberg

COMMISSION SUPÉRIEURE DES SITES, PERSPECTIVES ET PAYSAGES

Séance du 16 juin 2021

"Avis de la Commission sur le paysage et l’éolien en mer

À la suite d’un point d’information et d’échanges sur le paysage et l’éolien en mer lors de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages en ses séances des 18 mars 2021 et 20 mai 2021, la Commission formule les observations suivantes :

1. La Commission estime que les paysages littoraux se caractérisent par un rapport unique entre un trait de côte fini et un horizon marin infini, une harmonie du mariage entre la terre et la mer. En s’imposant entre les deux, les éoliennes en mer modifient radicalement la nature et la valeur de ces paysages maritimes, jusqu’alors non industrialisés. Visibles depuis la côte, nos eaux territoriales participent pleinement à la qualité de nos paysages terrestres côtiers. Les paysages marins et leur littoral, peints par les plus grands artistes tels Monet, Maufra, Moret, Gauguin, Turner, ont une valeur artistique, touristique et mémorielle inestimable.

2. La Commission considère que le développement de l’éolien en mer a un impact important sur le paysage, en raison de la taille des éoliennes, de leur mouvement et de l’absence d’écrans végétaux ou de reliefs contrairement aux paysages terrestres, qui les rendent visibles parfois jusqu’à 70 km (ex : études menées en Bretagne Sud qui permettent d’estimer la visibilité depuis la côte). L’ensemble de ces éléments, le clignotement des éoliennes et, dans certains cas, les effets de reflets sur l’eau, peuvent entrainer une pollution visuelle et lumineuse, notamment nocturne.

3. Certains membres de la Commission estiment que le choix des sites des premiers parcs a été fait sans tenir suffisamment compte de ces enjeux paysagers (Fécamp, Courseulles, Saint-Nazaire, Yeu-Noirmoutier, Dieppe le Tréport, Saint-Brieuc et Dunkerque), pour beaucoup en face de sites classés voire mémoriels (plages du débarquement), et trop proches des côtes (de 30 à 20 km voire 10 km pour Dunkerque), contrairement aux intérêts socio-économiques qui ont été pris en compte. La Programmation Pluriannuelle de l’Energie révisée en 2020 prévoit notamment des zones d’implantation d’éoliennes s’étendant des côtes d’Aquitaine jusqu’au Pas-de-Calais ainsi qu’en Méditerranée ; elle ne doit pas remettre en cause les efforts constants de protection des paysages du littoral par l’Etat, depuis la loi de 1906 relative à la protection des sites, puis complétés par l’action du Conservatoire du Littoral et la loi Littoral. Ils estiment que ces conséquences seront décuplées avec les propositions communiquées en 2020 par la Commission Européenne pour 2050 selon lesquelles la France disposerait d’un potentiel jusqu’à 57 GW en offshore, autant que le parc nucléaire français.

4. La Commission souligne que depuis la loi pour un État au service d’une société de confiance de 2018 (ESSOC), les débats publics préalables sur de vastes zones potentielles permettent aux services de l’Etat de prendre du recul et d’intégrer ces enjeux paysagers majeurs. En 2020, ces enjeux ont également été pris en compte lors des débats publics en Normandie pour défendre un classement UNESCO à l’initiative d’un élu local ou en Bretagne Sud, par des associations de protection de la nature et des paysages. Certains membres de la Commission remarquent que malheureusement le choix final de la « zone ministre » pour lancer l’appel d’offre notamment en Bretagne sud est encore trop près des côtes, alors que la technologie de l’appel d’offre concerne l’éolien flottant et que la macro-zone s’ouvrait bien plus au large. Pourtant dès les premiers débats publics, l’enjeu paysager a été au cœur des échanges, et a cristallisé les oppositions et les principaux recours juridiques. L’éolien flottant est la technologie qui permet de respecter ces enjeux paysagers puisque les éoliennes peuvent être plus éloignées des côtes, ce qui contribue également à réduire les impacts sur la biodiversité.

Sur la base de ces observations, la Commission formule les recommandations suivantes :

5. Eviter l’éolien en mer proche des côtes pour la préservation du paysage, en privilégiant notamment l’éolien flottant à grande distance en Atlantique et Méditerranée et aussi en Manche en posé ou en flottant avec un moindre impact paysager, ainsi qu’un moindre impact environnemental global sur les habitats et les espèces. La Commission préconise également que la problématique de l’atterrage ne soit pas l’élément déterminant pour justifier le positionnement des éoliennes par rapport à la côte.

6. Généraliser une cartographie précise des sites à enjeux paysagers sur le littoral, depuis lesquels la valeur du regard terrestre sur la mer et la contemplation de la mer sont importantes, tels que les sites classés, les fronts de mer ou les belvédères, les pointes, les caps et les îles. Dès maintenant et à la fin de l’exploitation des parcs existants et lors de la procédure de nouveaux appels d’offre, cette cartographie est indispensable.

7. Tenir systématiquement compte du paysage et de l’ensemble des impacts sur le paysage au niveau national et au niveau déconcentré DREAL-DIRM-DDTM, en amont des projets, au moment des choix des zones ayant vocation à accueillir de l’éolien en mer. Il est nécessaire que cette prise en compte intervienne dès la phase d’élaboration de l’état des lieux des Documents Stratégiques de Façades, dans une perspective de grand paysage, et soit présentée lors des concertations sur les macro-zones et de l’élaboration des études techniques, y compris aux Commissions départementales de la nature, des paysages et des sites (CDNPS), qui sont compétentes en matière de paysage notamment côtiers. Enfin, ces apports devront faire partie des documents nécessaires produits par les maitres d’ouvrage lors des débats publics qui, depuis la loi ESSOC, sont situés en amont du choix des zones d’appels d’offre par le ministre.

8. Développer une approche partant du milieu marin (prenant en compte les activités et la biodiversité) dans une logique de rapport entre la puissance installée, la hauteur de l’éolienne et une distance minimale à respecter du littoral. Il conviendrait également de prendre en compte l’esthétique des supports des installations.

En conclusion :

La Commission supérieure des sites, perspectives et paysages s’inquiète du développement des projets éoliens offshore tels que proposés par la Programmation Pluriannuelle de l’Energie, et du potentiel jusqu’à 57 GW suite aux propositions de la Commission Européenne pour 2050, qu’elle juge disproportionnés eu égard aux enjeux de préservation du patrimoine naturel et paysager.
La Commission estime que la transition énergétique ne doit pas conduire à porter gravement atteinte au littoral français dont la valeur paysagère, artistique, mémorielle et touristique est au premier plan en Europe, sous peine de remettre en cause plus d’un siècle d’efforts constants de protection du littoral par l’Etat.

La Commission recommande la prise en compte du paysage dès l’état des lieux des Documents Stratégiques de Façades au moment des choix des zones ayant vocation à accueillir de l’éolien en mer, et que l’éolien flottant à grande distance des façades du littoral français soit privilégié."

Lire aussi l’avis du 6 juillet 2021 du Conseil national de la protection de la nature