La concertation énergie-climat, ouverte par le Gouvernement jusqu’au 16 décembre 2024, consiste à présenter au public une première version des projets de « Stratégie nationale bas-carbone 3 » et de « Programmation pluriannuelle de l’énergie 3 » (PPE), afin de recueillir les propositions de chacun. Dans ce cadre, Sites & Monuments a fait part de ses propositions dans le cadre d’un "Cahier d’acteur", afin que la décarbonation ne défigure pas - le mot n’est pas trop fort - nos paysages urbains et naturels.
Nous mettons en balance dans cette contribution la certitude et la massivité de la dégradation du cadre de vie - atout majeur pour notre pays - et l’incertitude ou la modestie du gain réel pouvant être espéré des mesures proposées en matière d’indépendance énergétique et de diminution des rejets de GES.
JL
Sites & Monuments, ancienne Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France (SPPEF), est une association nationale fondée en 1901 (JO n° 115 du 27 avril 1902, p. 3042), reconnue d’utilité publique par décret du 7 novembre 1936 (JO n° 288 du 9 décembre 1936, p. 12662) et agréée dans le cadre national pour la protection de l’environnement depuis 1978, en dernier lieu par arrêté du 11 mai 2023 (JO n° 124 du 31 mai 2023, t. 13/91). Elle participe à la commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA), aux commissions régionales du patrimoine et de l’architecture (CRPA), à la commission supérieure des sites, perspectives et paysages (CSSPP) et à de nombreuses commissions départementales de la nature, des paysages et des sites (CDNPS).
Elle a pour but de « défendre sur le territoire métropolitain et ultra-marin de toute atteinte, notamment destructions, dégradations […] le patrimoine paysager, rural et environnemental, bâti, architectural, urbain, historique, artistique, archéologique ou pittoresque […] ».
EN BREF
La concertation énergie-climat, ouverte par le Gouvernement, consiste à présenter au public une première version des projets de « Stratégie nationale bas-carbone 3 » et de « Programmation pluriannuelle de l’énergie 3 » (PPE), afin de recueillir les propositions de chacun. Dans ce cadre, Sites & Monuments fait part de ses recommandations afin que la décarbonation ne défigure pas - le mot n’est pas trop fort - nos paysages urbains et naturels.
Nous mettons en balance, dans cette contribution, la certitude et la massivité de la dégradation par l’industrialisation extensive de notre cadre de vie - pourtant un atout majeur pour le pays - et l’incertitude ou la modestie du gain découlant des mesures proposées en matière d’indépendance énergétique et de diminution des rejets de GES.
Le patrimoine français, naturel ou culturel, est un enjeu de premier plan en ce qu’il contribue à définir l’un des termes de la consultation : « Décarboner la France ». Ces politiques touchent en effet à la substance fondamentale de notre pays, ses paysages, faisant en outre corps avec la biodiversité qu’ils abritent.
Afin de préserver et de faire fructifier cet héritage, Sites & Monuments est favorable à des rénovations thermiques respectueuses du bâti ancien et à des énergies très productives et concentrées dans l’espace, comme à des énergies diffuses, mais discrètes.
OBSERVATIONS
Notre cadre de vie, notion intégrant le patrimoine naturel et bâti, est une source d’équilibre (au sens de l’article 1 de la Charte de l’environnement), d’enracinement et de fierté légitime pour les Français
Il est aussi une source majeure d’activité non délocalisable pour notre pays. Le tourisme a aujourd’hui retrouvé ses niveaux pré-COVID, notre pays restant la première destination touristique mondiale, avec 98 millions d’arrivées enregistrées sur le territoire national en 2023, générant 63,5 Md€ de dépenses internationales (chiffre correspondant à l’intérêt annuel de la dette française).
Ces performances exceptionnelles s’expliquent par la beauté et la grande diversité des paysages français, comme par l’importance de son patrimoine bâti et mobilier (musées), indissociables d’un patrimoine immatériel de premier plan, allant de la gastronomie aux savoir-faire artisanaux et du luxe.
Cette prédominance mondiale a été renforcée par l’accueil, en 2024, de Jeux olympiques mettant en valeur le patrimoine français et par la réouverture d’une cathédrale Notre-Dame spectaculairement restaurée.
A ces chiffres s’ajoutent ceux du tourisme domestique, représentant 70 % du PIB touristique. La consommation touristique intérieure avoisinait ainsi les 180 milliards d’euros avant le COVID, soit plus de 7 % du montant du PIB. Inciter les Français à rester en France pendant leurs vacances est donc un enjeu économique essentiel auquel le respect de nos patrimoines contribue.
Il est, par conséquent, impératif que la politique de production d’énergies décarbonées et d’économie d’énergies ne porte pas atteinte au visage de notre pays, notamment par la multiplication de centrales éoliennes hors d’échelle, par un mitage photovoltaïque, par le changement des menuiseries extérieures (portes anciennes notamment), l’isolation par l’extérieur des bâtiments, la banalisation des intérieurs (placoplâtrisation des isolants), etc.
La certitude et le caractère massif de la perte en termes d’attractivité par la banalisation de nos paysages et de notre bâti ancien et l’incertitude ou le caractère minime du gain en matière d’indépendance énergétique (caractère intermittent de certaines ENR) et de réduction des gaz à effet de serre (effet rebond après rénovation thermique) nous font fortement douter du bien fondé et de la cohérence des objectifs du projet de PPE au regard des autres politiques publiques.
Les hypothèses du scénario DGEC de la Programmation pluriannuelle de l’Energie sont en effet particulièrement inquiétantes de notre point de vue. Ainsi, passer de 21 GW d’éolien terrestre installés en 2022 à 40-45 GW en 2035 (x 2,1) et de 0,6 GW d’éolien en mer en 2022 à 18 GW en 2035 (x 30) ou de 16 GW de photovoltaïque installés en 2022 à 75-100 GW en 2035 (x 6,2), comme de 0 GW d’hydrogène en 2022 à 10 GW en 2035 ou de 17,7 TWh de biogaz à 50-85 TWh aux mêmes dates (x 4,8) suppose d’industrialiser massivement nos paysages en les privant d’attractivité.
PROPOSITIONS
Afin de préserver les paysages naturels et urbains, Sites & Monuments est favorable à des rénovations thermiques respectueuses du bâti ancien et à des énergies très productives et concentrées dans l’espace, tout comme aux énergies diffuses mais discrètes.
1. Une rénovation thermique différenciée et respectueuse du bâti ancien
Notre association a, de concert avec le « G7 patrimoine », l’AAP et l’ANABF, élaboré seize propositions pour une rénovation thermique différenciée des logements français selon leurs caractéristiques (logique de perspirance du bâti antérieur à 1948). Les menaces d’appauvrissement et de banalisation de nos villes, bourgs et villages et du petit patrimoine rural sont en effet sans précédent, pour une baisse de consommation ex post négligeable, comme le montrent toutes les études européennes en la matière (inexactitude des estimations des diagnostics et audits énergétiques et « effet rebond »).
Il s’agit ainsi de s’opposer à l’industrialisation du bâti ancien sans réelle diminution de sa consommation énergétique.
Voir synthèse des propositions et propositions développées
2. Des énergies très productives et concentrées dans l’espace
dans l’espace par excellence. Ainsi, environ 70 % de notre électricité est produite de façon pilotable par seulement 18 sites nucléaires en France. Cette énergie étant décarbonée, son développement n’appelle aucune observation de notre part. Cette efficacité et pilotabilité de la production électrique permet également de limiter les réseaux de transport et de stockage d’électricité, autre menace pour les paysages.
Sites & Monuments s’oppose, en revanche, à tout mitage énergétique de nos paysages par des éoliennes, des panneaux photovoltaïques, des structures de méthanisation ou d’électrolyse épars.
Ainsi, au 31 mars 2024, 9719 éoliennes étaient opérationnelles sur l’ensemble du territoire Français, réparties sur 2 262 sites (comportant un peu plus de 4 machines), mais ne produisant que 8,5 % de notre électricité de façon non pilotable, qui plus est en décimant l’avifaune et les chiroptères.
Les dispositifs permettant le transport de ces énergies « décentralisées » et aléatoires, comme leur stockage, notamment par la création de bassins de rétention (STEP), accentue leur coût paysager.
3. Des énergies diffuses mais inoffensives pour les paysages
inoffensives pour le patrimoine et les paysages. Ce peut être le cas de la géothermie, des pompes à chaleur, de structures de méthanisation ou photovoltaïques bien intégrées.
Les pompes à chaleur nous semblent pouvoir être encouragées en milieu rural, à condition d’être bien intégrées à leur environnement (dissimulées par des végétaux, par des structures en bois, etc). Elles sont plus difficilement intégrables en milieu urbain, notamment en façade et peuvent conduire à des enlaidissements importants. Aussi les garde-fous des codes de l’urbanisme et du patrimoine doivent-ils être maintenus et renforcés, comme les effecitifs des STAP.
Les panneaux photovoltaïques ne sont admissibles que sur certains bâtiments existants (hangars fonctionnels, immeubles à toitures plates, etc) et ne peuvent être prétextes à l’implantation de bâtiments supports sans usage significatif autre que celui de la production d’électricité. D’imposants hangars « agricoles » à pans de toiture dissymétriques apparaissent ainsi malheureusement dans les territoires.
Le photovoltaïque ou le solaire thermique en autoconsommation doit également être proscrit. Il s’agit d’un mitage inefficace et dévastateur pour nos paysages. Les garde-fous des codes de l’urbanisme et du patrimoine doivent par conséquent être maintenus et renforcés, comme les équipes des ABF, en sous-effectif chronique, et non pas annihilés (comme le prévoit, dans sa mouture sénatoriale, le projet de loi de simplification de la vie économique).
Les installations photovoltaïques en ombrière, dans des zones périurbaines non protégées (parkings de zones commerciales en particulier) présentent généralement peu d’inconvénients.
En pleine terre, les installations solaires ne doivent pas conduire à des défrichements et être limitées à des zones dégradées, avec des contreparties paysagères très significatives (plantations de haies, désimperméabilisation, etc).
CONCLUSION
La certitude et la massivité de la dégradation de notre cadre de vie - atout majeur pour notre pays - induites par le projet de PPE doivent être comparées au coût, à l’incertitude ou à la modestie du gain pouvant être espéré dans le domaine de l’indépendance énergétique et de la diminution des rejets de GES. Ce constat doit conduire à revoir les objectifs de la PPE en y intégrant notamment une évaluation des utilités économiques, environnementales et patrimoniales.
Le sacrifice de nos paysages - que rien ne justifie - est d’autant moins compréhensible dans une période de diminution de la consommation et de surproduction d’électricité, avec une variabilité des prix de plus en plus forte pénalisant les exportations (prix négatifs).
Privilégier des rénovations thermiques douces du bâti ancien, des énergies très productives et concentrées dans l’espace, comme des énergies diffuses, mais discrètes, permettrait en revanche de respecter notre pays, ses habitants et ses visiteurs.
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Lire notre cahier d’acteur au format pdf
Consulter notre cahier d’acteur sur le site de la concertation (n°354)