La démolition d’un presbytère à Boussay (Loire-Atlantique), un cas loin d’être isolé

La façade sud du presbytère donnant sur son jardin. © DR.

Située au carrefour de la Loire-Atlantique, de la Vendée et du Maine-et-Loire, à 45 kilomètres au sud-est de Nantes, Boussay est une commune rurale de 2 800 habitants.

Vierge du presbytère dans sa niche à Boussay (façade nord tournée vers l’église). © DR.

Depuis 2022, la municipalité s’est engagée dans un projet d’extension de son école primaire située en centre-bourg. Afin de pouvoir le réaliser, elle a pris la décision radicale de démolir le presbytère voisin dont la restauration lui semble trop onéreuse. Si cette affaire nous intéresse particulièrement, c’est qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé. En effet, l’argument des contraintes économiques, budgétaires et normatives est souvent avancé par une municipalité pour démolir un bâtiment notable. Or, il convient de rappeler que le patrimoine fait partie de l’histoire d’une commune et de ses habitants.

Plan général de l’église et du presbytère projetés de Boussay, 1868. En rose, les rues et bâtiments projetés
(le presbytère à gauche sur le plan). Archives paroissiales de Boussay © Archives diocésaines de Nantes

Le presbytère : une bâtisse imposante, bien préservée mais sans protection

Le presbytère est implanté au sud de l’église Sainte-Radegonde et Saint-Sébastien sur une parcelle d’environ 1 000 m² en plein centre-bourg. Dans un tissu bâti où l’architecture est simple mais de qualité, il se démarque par sa volumétrie, son toit en croupe couvert d’ardoise et sa très belle niche ornée d’une statue de la Sainte-Vierge.

Photographie de la façade nord (côté église) du presbytère, date inconnue © ABTA

Datant de 1868, la propriété est constituée de plusieurs bâtiments, un logement principal avec un étage, construit sur un plan carré et deux dépendances latérales, construites sur un plan rectangulaire en rez-de-chaussée, accolées de part et d’autre de la maison.

Carte postale de la façade sud du presbytère depuis le jardin, date inconnue © DR

La façade orientée nord du pavillon central, en retrait de quelques mètres par rapport à la rue, possède plusieurs éléments architecturaux notables appareillés en granit : encadrements d’ouvertures disposées symétriquement, corniche filante sous la toiture, chaînages d’angle en moellons, niche protectrice de la Sainte-Vierge, etc. Quatre cheminées surmontent les pans ouest et est de la toiture.

L’arrière du presbytère (façade sud) et son jardin entouré de hauts murs maçonnés © DR
Place formée par l’église de Boussay et son presbytère (avec sa Vierge à l’enfant). © GSV
La façade nord (côté rue et église) de la bâtisse et ses éléments architecturaux en granit (encadrements d’ouvertures, corniches, niche centrale, etc.) © GSV

Engager la "modernisation" du centre-bourg

En 2018, la municipalité engage une réflexion globale d’aménagement de son cœur de bourg afin de pouvoir « moderniser le centre-ville. Le rendre plus en phase avec les aspirations actuelles en termes de mobilité, de l’environnement, d’accès aux services et d’habitat » pouvait-on lire dans un article du quotidien Ouest-France du 16 octobre 2020. Face à l’augmentation des effectifs scolaires, l’agrandissement de l’école est un sujet prioritaire. La mairie sollicite alors l’agence foncière de Loire-Atlantique en vue de mener les négociations foncières pour les parcelles voisines de l’école, dont celles du presbytère, pour le compte de la collectivité.

Projet à l’emplacement du presbytère de Boussay (élévation).
Projet à l’emplacement du presbytère de Boussay (plan masse).

Pour le CAUE 44, il faut "faire avec l’existant"

La mairie sollicite également le Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement de Loire-Atlantique (CAUE 44) qui les accompagne dans ce projet pour les conseiller sur des orientations de projets (urbains, architecturaux, paysagers…) et rédiger un cahier des charges. Dans son rôle de conseil, le CAUE 44 - qui encourage largement les communes du département à « faire avec l’existant » - a toujours indiqué et préconisé aux élus de Boussay d’étudier la piste d’une réhabilitation du presbytère lors des différentes réunions de travail. Dans le journal L’Hebdo de Sèvre-et-Maine, en date du 21 novembre 2019), l’architecte de CAUE expliquait à ce propos que « quoiqu’il advienne, il est important de conserver les deux bâtiments actuels, le presbytère et le plus ancien de l’école ».

Eglise et presbytère de Boussay. Carte postale, vers 1950.

En 2020, la mairie décide de monter un groupe de travail composé d’élus, de l’équipe enseignante, du personnel scolaire, des parents d’élèves et des bénévoles de la bibliothèque, dans le but d’examiner les scénarios envisageables pour l’évolution de l’école ainsi que l’éventuelle réhabilitation du presbytère.

En 2021, le presbytère est acheté par la mairie via l’Agence foncière de Loire-Atlantique pour un montant de 175 000 €. Depuis lors, le bâtiment est à l’abandon, seuls les pompiers l’ayant utilisé pour effectuer des exercices.

Une estimation peu fondée du coût de la réhabilitation

En décembre 2023, lors d’un conseil municipal, le cabinet programmiste EYTO (assistance à la maîtrise d’ouvrage) présente ses conclusions et huit scénarios différents. Il annonce une estimation du coût de réhabilitation de 900 000 €, au minimum. Précisons que cette estimation n’a pas été établie d’après une étude structurelle du bâti, mais d’après un simple ratio au m² selon les élus. La mairie décide donc d’écarter ce scénario et ce malgré « l’attachement des Boussirons au patrimoine du presbytère ». Lors du conseil municipal du 28 mars 2024, les arguments avancés sont :

  • Coûts de construction plus maîtrisés sur du neuf que sur de la rénovation ;
  • Inquiétude sur la jonction presbytère/nouvelle école concernant notamment les questions d’étanchéité et de hauteurs sous plafond ;
  • Coûts de fonctionnement plus limités sur une construction neuve que sur un bâtiment rénové, en particulier en matière d’énergie ;
  • Faisabilité en rapport au coût global de l’opération.

Pourtant, lors du jury de concours (une cinquantaine de réponses reçues), certains participants s’interrogent sur l’absence d’un projet de réhabilitation du presbytère. À cela, l’édile répond avoir fait le choix de ne pas proposer aux équipes participant au concours la possibilité de réhabiliter le presbytère au regard des coûts avancés par le cabinet ETYO et parce que les financements potentiels et déjà engagés (fonds friches…) pourraient être perdus si les travaux ne respectent pas le plan-guide. L’architecte du département précise cependant que ces subventions peuvent être reconduites.

« L’analyse a révélé que la réhabilitation du bâtiment était impossible, en raison des surcoûts importants et des incertitudes techniques liées à son état » pouvons-nous lire dans un article Ouest-France du 29 octobre 2024.

À ce jour, l’origine de ce coût n’a pas encore été clairement précisée. Selon la maire, il a été estimé d’après un simple ratio au m² et non à la suite d’une première étude structurelle du bâti. Après l’annonce de ce montant, le conseil municipal a donc décidé de procéder à la « déconstruction » - pour ne pas dire démolition - du presbytère.

Eglise et presbytère de Boussay. Carte postale, vers 1950.

Intervention de l’association des "Amis de Boussay à travers les âges"

Très active et impliquée dans la commune, l’Association des amis de Boussay à travers les âges (Abta) se mobilise face à cette destruction programmée. Nous voyons ici le rôle primordial des associations locales de nos territoires, sentinelles vigilantes face aux menaces qui pèsent sur nos patrimoines.

La démolition du patrimoine non protégé, une démarche trop fréquente

En Loire-Atlantique - comme dans bon nombre de départements français - la démolition de bâtis anciens, présentant pourtant un intérêt patrimonial ou architectural, n’est pas un cas isolé. Ces bâtiments, souvent non protégés au titre des monuments historiques et situés hors des périmètre de protection dans lesquels l’architecte des bâtiments de France (ABF) doit donner son avis, pâtissent d’études inexistantes ou superficielles. Leur potentiel de transformation pour de futurs projets n’est pas pris en considération. Malgré le remarquable travail de sensibilisation, de conseil et de formation que mènent les CAUE sur nos territoires, les municipalités s’enferment dans la voie de la démolition, trop souvent mal accompagnées par des bureaux d’études ou des consultants peu respectueux de l’existant.

Les élus, perdus, choisissent la page blanche, la tabula rasa, écartant ainsi la piste de la réhabilitation, souvent considérée comme coûteuse, complexe et synonyme de longs travaux.

Dans un contexte de raréfaction des ressources, de nécessaire sobriété énergétique et de réchauffement climatique, démolir ces bâtis, traiter et stocker leurs matériaux puis bâtir à neuf est une incohérence évidente, en contradiction totale avec nos préoccupations écologiques et un pari risqué.

Eglise et presbytère de Boussay. Carte postale, vers 1950.

L’"argument" de la loi Zéro Artificialisation Nette (ZAN)

Pour tenter de justifier leurs projets de destruction de ces bâtis en centre-bourg, les élus avancent depuis peu l’argument de la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette), une démarche qui nous invite à réduire de 50 % le rythme de consommation des sols naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030. Rappelons que cette loi vise à ce que l’on construise mieux ; il ne s’agit pas de démolir pour reconstruire, mais de mieux construire en limitant l’impact sur l’environnement.

Les bâtiments anciens, qu’ils possèdent ou non un intérêt architectural ou historique, ont l’avantage d’être déjà présents - souvent depuis longtemps - et ils sont parfois immédiatement mobilisables pour de nouveaux projets. Ils sont des emblèmes pour les habitants, des repères identifiables dans un bourg. Ils différencient nos communes les unes des autres. Les projets de « modernisation », de « revitalisation » qui ne tirent pas parti du patrimoine existant, banalisent nos paysages, nos centres-bourgs et nos villages. Ils viennent en effacer le caractère, les particularités, les détails vernaculaires et simples, créant des lieux impersonnels. Le bâti ancien offre pourtant un potentiel évident pour renforcer le caractère et l’attractivité d’une commune.

Vincent Guiné, délégué de Sites & Monuments pour la Loire-Atlantique

 


SOURCES