Que fait donc la mairie après s’être battue pour obtenir le prestigieux label Ville d’art et d’histoire ?
À Calais, une des promenades d’un grand intérêt architectural consiste à parcourir la rue des Soupirants depuis la rue des Quatre coins jusqu’à son numéro 139. Le promeneur passe de logements bourgeois décorés à des maisons de plus en plus modestes, pourtant élégantes et harmonieuses. Les bâtiments d’usines, trônent, bien fragiles à ce jour, dans les rues adjacentes. L’ensemble est de façon regrettable dans triste un état, reflet du manque d’intérêt de la ville pour son histoire et son architecture.
Malgré la mobilisation des associations (voir ici), au 139 de la rue des Soupirants, les pelleteuses sont malheureusement passées et il ne reste rien de l’immeuble d’habitation de quatre appartements conçu par l’architecte Roger Poyé et construit en 1929. Destiné à loger des ouvriers, il faisait partie d’un ensemble de deux îlots de maisons individuelles.
Les façades avec des décors en faux-colombages, sans emploi de la brique, reflétaient ici un style néo-rural inspiré de la pureté géométrique de l’Art Déco. Mentionné page 66 dans le dossier de candidature de Calais au label Ville d’Art et d’Histoire, label obtenu il y a quelques mois, le bâtiment est également référencé dans l’ouvrage d’Ellen Cazin, Roger Poyé, architecture et modernité à Calais (1911-1958).
Tous ces éléments remarquables, n’ont pas empêché la maire Natacha Bouchart de délivrer, le 21 octobre 2019, une autorisation de démolir au propriétaire bailleur Terre d’Opale Habitat, après un avis favorable de l’architecte des bâtiments de France (A.B.F), cheffe du service de l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine du Pas-de-Calais. Avis est d’autant plus surprenant que l’immeuble se trouve aussi dans le périmètre d’un Site Patrimoine Remarquable.
Devant les vives réactions des habitants face à la destruction, d’anciens locataires, de l’association Environnement et Patrimoine du Calaisis, des ayant-droits de l’architecte Roger Poyé, de l’historienne Magali Domain, les acteurs de cette démolition ont semblé mal à l’aise. Ils se sont justifiés en arguant que l’habitation n’était plus « aux normes ». Avec cet argument, ce sont tous les logements de cet ensemble – en partie abandonné et dénaturé depuis de longues années dans l’indifférence du bailleur et de la ville – qu’il faudrait raser et reconstruire. L’ABF affirme avoir obtenu de la mairie la reconstruction à l’identique, mais l’adjoint au maire affirme lui, par voie de presse, que seulement quelques éléments seront repris...
Les inventaires préalables nécessaires à la bonne marche du Site Patrimonial Remarquable et à l’animation de la Ville d’art et d’histoire de Calais sont-ils vraiment mis à jour et actualisés pour éviter de telles erreurs ?
Les citoyens peuvent douter à juste titre de la gestion rigoureuse de l’exceptionnel patrimoine social et industriel calaisien, pourtant reconnu, labellisé et protégé.
Collectivités et services de l’État devraient rapidement prendre en charge une étude thématique sur leur patrimoine industriel. Venue d’Angleterre, l’industrie de la dentelle a laissé des bâtiments qui méritent protection : usines, habitations des ouvriers, des contremaîtres ou des propriétaires, écoles, églises ou bourses du travail. Ils sont un point d’attraction de la ville de Calais durement touchée par les destructions des deux guerres mondiales. L’association Sites & Monuments et sa délégation régionale sont particulièrement attachées à de telles études, menées en amont des actions de protection et de valorisation.
Faute de démarches de protection, l’association Sites & Monuments ne manquerait pas de demander le retrait du label Ville d’Art et d’Histoire dont Calais bénéficie à ce jour.
Rappel
L’architecte Roger Poyé
Roger Poyé, devenu architecte conseil de la ville de Calais en 1928, a dans la période de l’entre-deux-guerres, créé de remarquables habitations confortables destinées aux ouvriers tullistes, en évitant l’ »effet coron ». Il a également conçu la Bourse du travail, le siège de l’Automobile Club du Nord de la France – bâtiments aujourd’hui inscrits au titre des monuments historiques – la Maternité, l’école du P’tit Quinquin, l’école professionnelle supérieure de garçons, deux ensembles d’habitations bon marché (HBM) de style différents, deux églises : Notre-Dame-des-Armées et Saint-Joseph, des résidences pour particuliers, des commerces…
Anne de Cherisey, déléguée régionale de Sites & Monuments pour les Hauts-de-France