Qu’est-ce que le "repowering" ?
Plusieurs alternatives se présentent pour l’opérateur de parcs éoliens anciens : le démantèlement pur et simple, la poursuite d’exploitation avec des machines similaires ou le « repowering » (augmentation de dimension et de puissance avec réduction éventuelle du nombre de mâts).
Le renouvellement des éoliennes ou leur démantèlement est d’ores et déjà à l’ordre du jour pour les centrales arrivées à l’obsolescence et/ou qui ne sont plus éligibles au tarif d’achat garanti de l’électricité produite. 1600 éoliennes sont concernées en France d’ici 2022 selon une étude de l’OFATE (Office franco-allemand pour la transition énergétique) d’octobre 2017. Le « repowering » est la grande tendance actuelle, au cœur de notre Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), et conditionne le nombre d’éoliennes à implanter en France d’ici 2030 ou 2060 (voir ici).
C’est dans ce contexte qu’il faut situer le projet de « repowering » de la centrale du Haut-Cabardès dans l’Aude - gérée par RES pour le compte de la société britannique Trig - située sur les communes de Pradelles et de Cabrespine : 16 éoliennes réparties pour moitié sur chaque commune et situées en zone Natura 2000 ou proche de cette zone.
Caractéristiques d’un projet type de "repowering"
Le « repowering » de la centrale éolienne du Haut-Cabardès envisagé par la société RES, selon les annonces faites par la société elle-même, consisterait à remplacer les 16 éoliennes existantes (110 m en bout de pale, 62 m de diamètre de rotor, puissance installée 1,2 MW/unité) par 8 éoliennes de 210 m de hauteur, 120 m de diamètre de rotor et d’une puissance de 3,7 MW/unité, soit un quasi doublement des hauteurs en bout de pale comme du diamètre du rotor et un triplement de leur puissance.
Il est à noter que la société RES est déjà attributaire de 24 MW de puissance installée en Occitanie dans le cadre de l’appel d’offres éolien de septembre 2018 pour le « repowering » de la centrale de Souleilla-Corbières toujours dans l’Aude.
Il est malheureusement difficile d’en savoir plus, la DREAL considérant que le dossier technique n’a pas été déposé par l’opérateur et qu’il est donc impossible d’obtenir quelque information que ce soit. Pas plus d’information sur un éventuel passage du projet devant le « pôle énergie renouvelable » de la Préfecture de l’Aude. Black-out administratif, donc, jusqu’au dépôt officiel du dossier, bien que des discussions soient déjà engagées entre la DREAL et la société RES... Ce n’est pourtant pas un petit projet et l’impact visuel attendu le démontre amplement :
Instruction du 11 juillet 2018 et critères d’appréciation du "repowering"
Le projet de "repowering" de la centrale éolienne du Haut-Cabardès sera très probablement soumis à autorisation environnementale. Il existerait en effet, dans ce dossier, une « modification substantielle » de l’existant au sens où l’entend l’instruction gouvernementale du 11 juillet 2018 relative à l’appréciation des projets de renouvellement des parcs éoliens (voir ci-dessous). Les « critères et seuils d’appréciation » fournis permettent de déterminer si un "repowering" doit être soumis ou non à une nouvelle procédure. L’instruction ministérielle précise en effet que, « généralement », et « en l’absence d’une sensibilité particulière par ailleurs », « une augmentation de plus de 50 % de la hauteur d’une des éoliennes relève d’une modification substantielle », cas de la centrale du Haut-Cabardès. Il est cependant précisé que, « dans le cadre de l’instruction » de la nouvelle autorisation, « l’éventuelle diminution du nombre total de mâts pourra constituer un élément positif d’appréciation au regard de l’éventuelle augmentation de la hauteur des mâts ou de leur déplacement ».
Le projet aurait pourtant des impacts majeurs sur le cadre de vie local...
Un "repowering" à impact fort sur les paysages et la biodiversité
Les simulations propres à la centrale du Haut-Cabardès permettent de constater d’emblée :
- l’existence d’un effet renforcé de domination et d’écrasement
On note ainsi une nette modification du rapport d’échelle entre les structures paysagères existantes et les éoliennes et l’augmentation notable de leur impact visuel malgré la diminution de leur nombre.
La distance du village aux premières éoliennes - actuellement de 1600 mètres - pouvait s’analyser à l’origine comme acceptable par l’administration (on peut d’ailleurs se demander en quoi puisque le ministère de l’écologie n’a jamais publié la circulaire éloignement promise lors du débat parlementaire sur la LTE). À l’évidence, l’augmentation des hauteurs rendrait cette distance insuffisante.
Compte tenu de la proximité de la centrale éolienne du Sambres, située à un peu plus de 5 km au nord-ouest, il conviendrait en outre de mesurer l’évolution effective des impacts cumulés résultant d’un tel « repowering ».
- de nouveaux affouillements et structures en béton
La diminution du nombre d’éoliennes (de 16 à 8) aurait pour contrepartie technique une augmentation des distances inter-éoliennes (en raison de zones de turbulence étendues), ce qui impliquerait de nouveaux sites d’implantation. D’où notamment la question du démantèlement des anciennes éoliennes et de leurs socles...
- des nuisances lumineuses multipliées
L’impact visuel des éoliennes serait considérablement augmenté, tant au titre des effets stroboscopiques, qu’au titre des feux de balisage diurnes (blanc) et nocturnes (rouge), clignotants ou non. En effet, pour une telle hauteur, 2 feux complémentaires dits « de basse intensité » sont installés sur le fût afin d’assurer la visibilité de l’éolienne dans tous les azimuts.
- des émergences sonores renforcées
Selon la littérature technique accessible, les émissions sonores des éoliennes de grande hauteur ont tendance à augmenter, notamment dans les basses fréquences, par rapport à des éoliennes moins puissantes et plus petites.
- des risques accrus pour la biodiversité
L’augmentation du diamètre du rotor, passant de 62 m à 120 m, n’est évidemment pas neutre pour la biodiversité. C’est même une question essentielle pour la faune volante, pour qui le risque de subir un coup de fouet ou un barotraumatisme augmente avec l’accroissement de la surface de balayage.
Repenser l’intervention de l’Etat en matière de "repowering"
Afin que le « repowering » d’éoliennes n’aggrave ni la situation des habitants ni celle de leur patrimoine naturel et paysager, celui-ci ne peut se concevoir que moyennant les garanties suivantes :
1. L’autorité préfectorale doit considérer que tout renouvellement d’éoliennes assorti d’un repowering au sein d’espaces naturels sensibles présente dans tous les cas un caractère de modification substantielle et justifie à ce titre une nouvelle autorisation environnementale, nécessitant par conséquent dans tous les cas une actualisation complète et sincère de l’étude d’impact sous tous ses aspects.
2. Le « repowering » aboutissant, dans un certain nombre de cas, à augmenter les émissions sonores dans les basses fréquences, la plus grande attention doit être portée sur la « signature acoustique » des éoliennes fournie par l’opérateur, dans toutes les fréquences sonores, audibles et non audibles.
En l’absence de mise en œuvre des recommandations de l’ANSES, et dans l’attente d’un renforcement de la réglementation sur ce point, le principe de précaution eu égard à la santé des riverains devra conduire à des réserves expresses en cas d’augmentation des émissions sonores, y compris dans les basses fréquences et dans les infrasons.
3. L’opérateur doit s’engager à effectuer un « repowering » sans augmenter les hauteurs en bout de pale des aérogénérateurs, en particulier dans les zones environnementales et paysagères sensibles.
En l’espèce, l’opérateur doit rester sous le plafond des 125 m pales comprises. Cette hauteur est celle retenue par la Charte du Parc Naturel régional du Haut-Languedoc proche afin d’éviter un effet désastreux sur les paysages.
4. L’opérateur doit en outre s’engager à effectuer un « repowering » sans augmenter la surface de balayage des pales.
Toute augmentation de celle-ci doit faire l’objet d’une nouvelle étude d’impact, afin de préserver la biodiversité déjà gravement érodée. Signalons que la LPO du Tarn voisin a exprimé récemment les plus vives réserves sur les dispositifs d’effarouchement.
5. Enfin, il y aura lieu de veiller à ce que le remplacement des éoliennes se réalise sans augmentation de la surface de sol artificialisé et d’espace naturel modifié (défrichage, pistes, socles etc.).
Le risque est grand en effet de voir se multiplier les socles bétonnés, même après arasement des socles inutilisés comme les pistes de desserte des installations à l’occasion de leur renouvellement. Par ailleurs, l’impact hydrogéologique des travaux de démantèlement et d’implantation des nouvelles éoliennes doit impérativement être considéré. A titre subsidiaire, l’opérateur doit s’engager à démanteler intégralement toute éolienne mise hors service.
6. En outre, il convient de veiller à ce que l’opérateur ne perçoive pas, à cette occasion, d’aides ou subventions de toutes natures. A cet égard, les dispositions concernant la vente directe d’électricité après la période d’achat de 15 ans et le versement d’une prime ou complément de rémunération versée par EDF dans ce cadre (décret n° 2016-682 du 27 mai 2016) constituent des subventions déguisées. Le repowering doit être réalisé strictement dans les conditions de marché, sans aucun versement d’argent public.
Patrice Lucchini, collectif Toutes Nos Energies - Occitanie Environnement
Bruno Ladsous, délégué régional de Sites & Monuments pour l’Occitanie