Chacun connaît le grand axe parisien courant du palais du Louvre à la Grande Arche de la Défense et au-delà. Celui-ci trouve son origine historique dans la construction, sous l’impulsion de Catherine de Médicis en 1564, du palais des Tuileries - aujourd’hui disparu.
Ce palais était agrémenté d’un vaste jardin géométrique de style Renaissance qui a été le point focal à partir duquel le jardinier du roi Louis XIV, André Le Nôtre, a tracé l’actuel jardin des Tuileries ainsi que l’avenue des Champs-Élysées, alors en pleine campagne, pour en continuer la perspective.
Le Nôtre proposa en effet d’ouvrir le jardin des Tuileries sur le paysage environnant en remplaçant ses clôtures, à l’origine aveugles dans la tradition des jardins clos du Moyen Age, par un système de terrasses permettant la promenade avec une large vue sur le fleuve et la colline de Chaillot vers l’ouest ; surtout, il eut l’idée de percer la fortification de la ville, qui fermait le jardin de ce côté, pour l’ouvrir sur la campagne au moyen d’une ouverture qui a conservé sa largeur : c’est l’actuelle entrée occidentale du jardin, au cœur du fer à cheval, qui n’a reçu une grille sobrement décorée - clôture transparente - qu’au XIXe siècle.
Prolongeant sa composition, le même Le Nôtre, dont on connaît l’importance dans l’aménagement paysager français du Grand Siècle, perça à travers champs une large allée plantée d’une double rangée d’arbres, l’avenue des Champs-Elysées, qui monte jusqu’à une place en étoile, le fer à cheval des Tuileries ayant pour fonction de projeter visuellement cette allée vers l’Ouest.
Jadis dans la campagne, elle s’apparentait aux grandes allées forestières des châteaux de l’époque. Ce faisant, le fameux paysagiste ouvrait Paris sur l’horizon par un axe majeur, qui allait devenir l’épine dorsale du développement de la capitale jusqu’à la Défense au milieu du XXe siècle.
Pour préserver cette perspective qui court depuis le Carrousel, les Régimes successifs ont soigneusement respecté l’œuvre de Le Nôtre :
– Ange-Jacques Gabriel aménagea ainsi la place Louis XV (1755), devenue notre place de la Concorde, qui n’est bâtie que sur son côté nord et pourvue d’un monument central servant de point de mire (l’obélisque actuel, succédant à la statue équestre de Louis XV, ayant été posé en 1836) ;
– Napoléon Ier a souhaité ériger au sommet de la colline un arc de triomphe, achevé par Louis-Philippe, qui laisse le grand axe louis-quatorzien filer vers l’ouest ;
– enfin, cette transparence se poursuit jusqu’à l’Arche de la Défense (1989), voulue par François Mitterrand comme un cube évidé pour ne pas offrir d’obstacle.
Le point d’articulation de ce système de perspective urbaine mondialement connu est donc l’entrée occidentale du jardin des Tuileries, voulue par le Nôtre comme un "œil de visée" vers l’ouest, dans une mise en scène qu’ont respecté tous les architectes depuis trois siècles.
Cette perspective est pourtant aujourd’hui régulièrement obstruée par une grande roue de 70 m de diamètre, associée à un important dispositif commercial sous forme de "chalets", de nombreux "portants" accueillant des "souvenirs", d’un mobilier disparate (tables, tonneaux, chaises, radiateur...) renforçant l’encombrement d’un lieu conçu pour être libre.
La mairie de Paris, propriétaire de la place, autorise ce dispositif par une "convention d’occupation du domaine public" définissant des emprises au sol au mètre carré près.
Mais c’est évidemment la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) qui a le dernier mot en la matière, la place de la Concorde ayant été classée au titre des monuments historiques par arrêté du 23 août 1937.
Ce dispositif, autorisé généralement pour 3 mois, l’est aujourd’hui officiellement pour 5 mois, sachant que ces périodes légales d’occupation ne sont jamais respectées (voir ici concernant le 14 juillet 2016), le propriétaire de la roue ne cachant d’ailleurs plus sa volonté de maintenir son installation à demeure.
C’est la dernière autorisation de la DRAC, en date du 18 novembre 2016, d’une durée inédite de 5 mois, que Sites & Monuments conteste dans un mémoire en annulation déposé le 18 janvier 2017. A l’argument de l’erreur manifeste d’appréciation de la DRAC s’ajoute celui du dépôt d’un dossier non conforme, conduisant à une autorisation dont on peine à saisir les contours... Cette autorisation de la DRAC succédait d’ailleurs curieusement à une plainte de cette même administration pour occupation illégale d’un monument historique, déposée 9 jours plus tôt (voir ci-dessous) !
Consulter le procès-verbal d’infraction de la DRAC du 9 novembre 2016
Consulter l’autorisation de la DRAC du 18 novembre 2016
Parallèlement, notre association déposait, le 30 janvier 2017, une plainte auprès du Procureur de la République, les différentes emprises au sol autorisées par la convention d’occupation du domaine public du 4 juillet 2016 - communiquée à fin d’autorisation à la DRAC - ayant été très largement dépassées.
Ainsi, le 17 janvier 2017, Sites & Monuments faisait constater par voie d’huissier que l’emprise au sol totale de l’attraction, de ses accessoires et dépendances, est approximativement comprise entre 1016,92 m2 et 1146,76 m2, alors que celle-ci ne devrait pas dépasser 651 m² aux termes de la convention d’occupation du domaine public.
Consulter le constat d’huissier du 17 janvier 2017
On note, en particulier, que la superficie commerciale cumulée des différents "chalets" est approximativement de 115,66 m2 (5 chalets et stand vin chaud), alors que celle-ci était fixée à 66 m² par la convention d’occupation du domaine public.
Ces baraquements commerciaux sont disposés en U, alors que le plan communiqué à la DRAC prévoit une implantation linéaire et parallèle à la grande roue, qui a - contrairement à ce qui a été réalisé - pour effet d’éviter la création d’un effet "de nasse" au sortir du jardin des Tuileries et de laisser libre la vue sur l’Hôtel de la Marine.
De très nombreux équipements commerciaux mobiles ("portants" en nombre supérieur à douze, tables diverses, enseignes, radiateur...) sont présents au centre du U délimité par les chalets, alors que la convention d’occupation du domaine public n’autorise la présence que de "douze portants"...
Sites & Monuments a également écrit, le 30 janvier 2017, à la maire de Paris, qui avait prévu de débattre à nouveau de la convention en raison de son irrespect chronique (voir ici, p. 89-90), pour lui demander, devant les nouvelles irrégularités constatées par voie d’huissier, de mettre en oeuvre les dispositions contractuelles lui permettant de « résilier la convention, sans indemnité, en cas de faute de l’organisateur qualifiée de délit ou lorsque celui-ci ne respecte pas l’une de ses obligations contractuelles […]. La résiliation est prononcée par arrêté de la Maire de Paris, après mise en demeure de 5 jours. » (chapitre 10).
Une lettre recommandée a également été adressée, le même jour, à la ministre de la Culture, lui demandant d’appliquer les dispositions de l’article L. 624-2 du code du patrimoine prévoyant que « le ministre chargé de la culture ou son délégué peut prescrire la remise en état des lieux [classés] aux frais des délinquants. Il peut également demander de prescrire ladite remise en état à la juridiction compétente, laquelle peut éventuellement soit fixer une astreinte, soit ordonner l’exécution d’office par l’administration aux frais des délinquants. »
Sites & Monuments, qui ne fait ici que satisfaire son objet social, n’a évidemment rien contre l’activité foraine, qui doit cependant s’épanouir dans des lieux appropriés.
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