On sait que la commission de la Culture du Sénat, spécialiste reconnue du droit du patrimoine, s’est opposée à la suppression de l’« avis conforme" (c’est-à-dire obligatoire) des Architectes des bâtiments de France (ABF) pour les bâtiments patrimoniaux dégradés (insalubres, faisant l’objet d’un arrêté de péril ou soumis à un projet de l’ANAH), comme pour l’implantation d’antennes relais. La commission, d’accord avec les associations (voir notamment ici), considère en effet, outre l’effet intrinsèque de ces exceptions (voir ici), que porter pour la première fois atteinte au caractère conforme de l’avis est un précédent d’une particulière gravité.
Des arguments étonnants contre l’avis conforme des ABF
Les arguments du Gouvernement sont précisés par Jacques Mézard, ministre chargé de la Cohésion des territoires, au cours des débats sénatoriaux (voir ici) :
Le ministre rappelle ainsi avec insistance aux sénateurs qu’ils sont élus par les maires et les conseillers municipaux (évidemment souvent hostiles aux ABF puisque soumis à leur avis conforme) et tente avec succès de les mettre en porte-à-faux vis-à-vis de leur corps électoral. Une incitation à la médiocrité assez étonnante...
Au passage, Monsieur Mézard explique que certains ABF n’ont "pas toujours en tête la défense du patrimoine », accusation grave et même diffamatoire qui rend d’autant plus criante l’absence de la ministre de la Culture en séance (soulignée à deux reprises lors des débats). Rarement un corps de fonctionnaires - si nécessaire à la défense du patrimoine - aura été traité de la sorte.
Le ministre allait parvenir à ses fins, puisqu’avec l’aval du Gouvernement l’amendement de rétablissement de l’avis conforme fut repoussé à 3 voix de majorité. Le détail du vote est évidemment instructif (voir ici ; pour trouver votre sénateur, voir ici). On y voit les 22 sénateurs LREM votant d’un seul bloc contre le maintien du droit actuel, avec les 11 sénateurs "Indépendants République et territoire", tandis que les 70 sénateurs socialistes, les 15 sénateurs communistes et les 49 sénateurs de l’Union Centriste votaient pour le maintien de l’avis conforme, la situation étant plus nuancée parmi les autres groupes politiques, notamment chez Les Républicains (25 pour le maintien et 118 contre) et les écologistes et apparentés (4 pour, 19 contre).
Bientôt la réduction du champ d’action des ABF ?
Aussi grave, le Gouvernement, après avoir remis en question la nature du contrôle des ABF, entend également porter atteinte à leur périmètre d’action.
Il s’agit ici de permettre aux collectivités d’imposer la redélimitation des périmètres de protection des monuments historiques existants aux ABF (fameux 500 m, première source de protection du patrimoine en France puisque chacun des 45 000 abords de monuments couvre en principe 78 ha). Or l’ABF était, jusqu’à présent, le seul à pouvoir proposer cette redélimitation (qui peut évidemment être justifiée dans certains cas). Le Sénat a heureusement pu maintenir par amendement sa capacité de refuser la proposition du maire (voir ici)...
Mais le Gouvernement aura la possibilité, lors de la commission mixte paritaire (CMP) ou à l’Assemblée, de faire adopter son amendement donnant à l’ABF un "avis simple" (c’est-à-dire non obligatoire) sur la redélimitation proposée par le maire (voir ici).
On peut alors se demander qui, du maire ou de l’ABF, le préfet de département suivra pour créer le nouveau périmètre (voir texte) ?
Vers une extension rapide de l’avis simple ?
En se plaçant à moyen terme, l’inquiétude demeure. En effet, d’autres exceptions à l’avis conforme ont d’ores-et-déjà été proposées aux sénateurs au cours des débats. On trouvait ainsi :
– Un amendement "PVC" proposant de supprimer l’avis conforme pour les changements de portes ou fenêtres et pour la pose de "coffrets de volets intégrées" ou d’isolations thermiques par l’extérieur (voir ici), au motif que "l’impact en serait très limité" ;
- Mais aussi un amendement proposant la suppression pure et simple de tous les avis conformes (voir ici), sous prétexte que les maires sont responsables devant les électeurs...
Ces propositions, aujourd’hui repoussées, seront dans le futur reprises et pourront se prévaloir de l’introduction dans le code du patrimoine d’un article L. 632-2-1 dédié au patrimoine sous-protégé, celui soumis à l’avis simple de l’ABF.
Le projet de loi sera soumis à une commission mixte paritaire le 19 septembre 2018 avant son vote définitif.
Julien Lacaze, vice-président de Sites & Monuments