« Guerre aux démolisseurs » et « Du péril de l’ignorance », deux pamphlets de Victor Hugo qui devraient être constamment relus par ceux qui nous gouvernent, du sommet de l’Etat jusqu’au niveau des plus petites communes de France. On pourrait ajouter « Guerre aux projets qui ne tiennent pas compte de l’existant sans essayer de le comprendre ». Autrement dit, il faut que celui qui intervient « sache habilement souder son génie au génie de l’architecte ancien » disait Hugo. Et il ajoutait, arrêtons « le marteau qui mutile la face du pays », et par extension, celle d’une simple commune comme Pesmes, néanmoins considérée jusqu’alors comme l’un des « plus beaux villages de France ». Il y a deux choses ajoutait-il à propos d’un édifice : « son usage et sa beauté, son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde ; c’est donc dépasser son droit que le détruire », phrase au combien valable aussi pour un tissu urbain.
Certes, il ne s’agit pas à Pesmes de détruire un monument historique, mais une parcelle très significative de l’histoire de cette cité : une rue à peine courbe au nom évocateur de « rue des Fossés » et son environnement immédiat, notamment une petite maison du XVIe siècle et une frange de l’esplanade du château. Pas grand-chose, me direz-vous, mais qui touche à un point extrêmement sensible du village correspondant à la limite des deux bourgs formant l’agglomération : le bourg castral d’un côté et le bourg marchand de l’autre.
Toucher -quel que soit le projet sous-jacent- à ce point sensible, équivaudrait à provoquer un acte irréversible et gravissime ne permettant plus d’avoir une idée claire de la formation et de la morphologie de ce village, puisqu’on en détruirait la jonction, en créant un enlaidissement certain, comme à un jet d’acide sur un beau visage de femme. Ce que huit siècles de guerres, de pillages et de destructions n’ont jamais fait, nous le ferions en 2021 ?
Qui sommes nous pour oser priver ce petit coin de France de son exceptionnelle unité ? D’autant que, pour ce projet très louable en soi, il existe des solutions de rechange beaucoup moins chères et qui ne toucheraient pas fondamentalement à l’ADN du bourg.
Christiane Roussel, conservateur en chef du patrimoine, spécialiste des tissus urbains et auteur (entre autres) de « Pesmes, le bourg et le château… », dans Actes du Congrès archéologique de France (Haute-Saône 2020), à paraître.
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