Sites & Monuments a formé, le 7 mai 2020, un référé « mesures utiles » auprès du Tribunal administratif de Toulon visant à faire cesser le chantier de construction de 22 éoliennes de 125 m de haut (soit 3 fois la hauteur de la basilique Notre-Dame-de-la-Garde de Marseille) sur le flanc Est de la montagne Sainte-Victoire, à 10 km seulement de son sommet (voir ici), action financée avec l’appui de l’association Vent de Colère !
Notre association faisait ici valoir le jugement qu’elle avait obtenu du Tribunal administratif de Toulon le 10 février 2020 (voir ici). Celui-ci soumettait ce vieux projet éolien aux garanties actuelles du régime des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), le promoteur ne pouvant plus prétendre se rattacher au régime antérieur d’autorisation, moins contraignant. Une nouvelle demande d’autorisation doit ainsi être formée.
Le chantier devait être arrêté dans l’attente de sa délivrance événtuelle, puisque les permis nécessaires à l’édification des éoliennes ne peuvent recevoir exécution avant sa délivrance, comme le prévoient, à l’unisson, les articles L. 425-14 du code de l’urbanisme et L. 181-30 du code de l’environnement.
C’était sans compter l’action de l’Etat, déterminé à dénaturer les paysages de Sainte-Victoire. Ainsi, le 29 mai 2020, soit 22 jours après le dépôt de notre référé, le préfet du Var prenait un arrêté donnant le choix suivant au promoteur : "mettre définitivement à l’arrêt ses installations en procédant à la remise en état" du site (ce que nous demandons) ou "déposer un dossier de demande d’autorisation environnementale" dans le délai d’un an, tout en poursuivant provisoirement l’exploitation des machines ! Il est vrai, qu’en cas de refus de l’autorisation, le promoteur serait in fine contraint de les démonter... Le représentant de l’Etat invoquait à cette fin l’article L. 171-7 du code de l’environnement.
Cette faculté d’autorisation d’exploiter provisoire, introduite par une ordonnance n°2012-34 du 11 janvier 2012, avait pourtant été durcie, la Commission européenne ayant considéré qu’elle violait la directive européenne 2011/92/UE du 13 décembre 2011 soumettant à autorisation préalable les projets susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement. Ainsi, en application d’une nouvelle ordonnance n°2017-124 du 2 février 2017, le délai de régularisation ne peut excéder 1 an (aucun délai n’était fixé auparavant). La suspension des travaux dépourvus d’autorisation devenait également le principe, « à moins que des motifs d’intérêt général et en particulier la préservation des intérêts protégés par le présent code [de l’environnement] ne s’y opposent », permettant ainsi de poursuivre l’exploitation (voir ici).
Sollicitant au maximum ce texte, l’arrêté préfectoral du 29 mai 2020, refusant de suspendre les travaux, invoquait de « lourdes conséquences sur le plan de l’intérêt général et d’ordre économique et financier qui résulteraient d’une suspension d’activité de la société SAS Provencialis », tandis que le délai maximal d’un an était retenu en raison de l’insertion dans le dossier d’autorisation « d’une étude sur la faune et la flore courant sur quatre saisons »...
L’absence de suspension est évidemment contestable puisque l’autorisation ICPE prévue par le code a justement pour objet, dans l’intérêt général, de prémunir « des dangers et des inconvénients [des projets], soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, […] soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments » (voir article L. 511-1 et 2 du code de l’environnement). Est-il ainsi normal que, dans l’un des sites les plus sensibles de France (pour ses paysages comme pour sa biodiversité remarquable, voir ici), cette suspension - devenue le principe depuis 2017 - n’intervienne pas ? Dans quel cas pourrait-elle intervenir alors ? Fait également contestable, l’arrêté du préfet du Var ne conduit pas à la poursuite d’une exploitation déjà en cours, mais à l’achèvement de travaux lourds conditionnant le début de cette exploitation...
Plus grave, si l’article 3 de l’arrêté du 29 mai 2020 précise que ses prévisions « ne préjugent pas de la décision qui interviendra à l’issue de la procédure de régularisation », comment penser que l’administration délivrera librement son autorisation environnementale sachant qu’un parc de 22 éoliennes est déjà construit et prêt à fonctionner ?
Bref, alors que les décisions prises concernant ce parc éolien sont anciennes et fondées sur une réglementation obsolète, l’intervention de l’arrêté préfectoral du 29 mai 2020 donne à son édification une base légale qu’il avait perdue par décision de justice. De judiciaire, ce dossier devient politique.
Il met aussi en exergue un double discours puisque le Président de la République avait souligné, le 14 janvier 2020, que le « consensus sur l’éolien est en train de nettement s’affaiblir » et que cette énergie se trouvait exclue de ce fait du « modèle français du renouvelable », sa ministre de la Transition écologique déclarant, le 18 février 2020, « ne pas comprendre comment on a pu arriver » à certaines situations de « covisibilité »... Comment croire ces déclarations lorsqu’elles sont confrontées au présent arrêté autorisant l’impensable aux abords de la montagne Sainte-Victoire, contre une décision de justice ? Double discours que confirme l’analyse des décrets du 8 avril 2020 sur les dérogations préfectorales en matière d’environnement (voir ici) ou du 21 avril 2020 sur la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (voir ici).
Ajoutons qu’une pétition, signée à ce jour par plus de 17000 personnes (voir ici), demande au Président de la République et à sa ministre d’intervenir pour pacifier ce dossier, mais pas de cette manière !
Reste la voie judiciaire. Défendre l’annulation de l’autorisation des éoliennes, attaquée en appel par le promoteur, couterait a minima 3900 euros, plus pour une défense complète et encore plus pour faire annuler l’arrêté du 29 mai 2020, sommes dont notre association ne dispose pas à ce jour. Il est évidemment possible d’aider à financer ce dossier emblématique en participant à la cagnotte dédiée (voir ici) ou en donnant directement sur notre site pour une aide plus importante (voir ici).
Merci !
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Consulter l’arrêté du préfet du Var du 29 mai 2020
Consulter l’ordonnance du président du TA de Toulon du 11 juin 2020
Rubrique dédiée "Non à l’éolien à Sainte-Victoire"
Nous remercions Marc-Antoine Chavanis pour ces photos belles et terribles datant de la fin mai 2020.