Communiqué : la désastreuse loi ÉLAN mise en pratique à Foix

Immeubles destinés à être démolis à Foix sur les rives de l’Ariège. Avant / Après reconstruction. Source : Action Cœur de Ville, janvier 2022.

Les associations de protection du patrimoine et de l’environnement s’étaient unanimement élevées contre la loi du 23 novembre 2018 pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi « ÉLAN ».

Entre autres régressions, un nouvel article L. 632-2-1 du code du patrimoine, introduit à cette occasion, permet à un maire, ayant placé un bâtiment sous arrêté de péril (dont la réalité est généralement invérifiable), de se dispenser de l’autorisation de l’architecte des bâtiments de France (ABF), depuis toujours nécessaire dans les zones patrimoniales (abords des monuments historiques et sites patrimoniaux remarquables).

La dérogation touche également le bâti frappé d’un arrêté préfectoral d’insalubrité ou objet d’un projet de rénovation urbaine.

Immeubles propriété de l’établissement public foncier d’Occitanie devant être démolis contre l’avis de l’ABF de l’Ariège. Le n°10, datant du XVIIIe siècle, sera a minima surélevé, sa toiture étant également modifiée ; le n°12 est moderne dans sa partie regardant l’Ariège ; les n° 14, 16 et 18 datent des XVIIe et XVIIIe siècles ; le n°20, un ancien moulin, date du XVIIe siècle. Ces 5 derniers numéros doivent être démolis. Photo étude S.E.T.E.R.S.O.

Faire taire ABF et associations grâce à la loi ÉLAN

Après Perpignan et Marseille, Foix expérimente les dispositions de la loi ÉLAN. Il s’agit ici de détruire six immeubles des XVIIe et XVIIIe siècles (dont l’ancien "moulin des fées" à encorbellement de l’abbaye Saint-Volusien représenté sur un plan de 1663), établis sur les rives de l’Ariège, en covisibilité avec quatre monuments historiques dont le fameux château de Foix. Les six immeubles ont été progressivement acquis par l’établissement public foncier d’Occitanie, deux parmi eux étant placés sous arrêté d’insalubrité par le préfet en avril 2019 et quatre d’entre eux sous arrêté de péril ordinaire par le maire en mars 2020.

L’ABF s’oppose fermement à la démolition dans un avis devenu malheureusement incantatoire « car elle constituerait une perte irrémédiable sur le plan architectural, historique et patrimonial de nature à altérer gravement et définitivement le caractère et la qualité » du site. Il considère ainsi que le projet touche une « très belle composition pittoresque », « première image qui s’offre de la ville ancienne » et que l’on s’attaque ainsi à la « carte postale de la ville de Foix ».

Avis de l’ABF de l’Ariège (non obligatoire en application de la loi ELAN) s’opposant aux démolitions.
Avis de l’ABF de l’Ariège (non obligatoire en application de la loi ELAN) s’opposant aux démolitions.

Outre la destruction de ces constructions ayant conservé leur second œuvre ancien (voir ici), la massivité et la hauteur des immeubles à édifier, dotés de nombreuses loggias, porteraient une très grave atteinte à la ville par leur absence d’intégration au tissu urbain.

Par ailleurs, l’ABF précise douter de la réalité du péril invoqué par le maire. Ainsi, selon lui, « l’état du bâti concerné ne justifie pas en lui-même une démolition, car il ne présente aucun défaut structurel ». C’est également le constat fait par notre délégué départemental de l’Ariège, architecte du patrimoine de profession.

Les associations ne peuvent attaquer le permis de démolir, délivré sans nécessité dans ce dossier, les bâtiments placés sous arrêté de péril ou d’insalubrité en étant par ailleurs dispensés (voir article R. 421-29 du code de l’urbanisme)... Seuls ces arrêtés, pris très en amont, pouvaient être contestés, à la condition, pour les associations patrimoniales, d’être averties et recevables à le faire !

Délivrance du permis de démolir des bâtiments de la rue du Rival par la ville de Foix invoquant la loi ELAN.
Délivrance du permis de démolir des bâtiments de la rue du Rival par la ville de Foix invoquant la loi ELAN.

Le cas de Foix montre un dispositif « bien ficelé » qui paralyse les défenseurs du patrimoine, ABF comme associations.

Il a, par conséquent, été demandé au ministère de la Culture, qui a porté cette réforme du code du patrimoine, de remédier à ses conséquences immédiates à Foix en plaçant les immeubles de la rue du Rival sous le régime de l’instance de classement, seule solution permettant d’éviter leur démolition en raison de la paralysie de l’autorisation de l’ABF.

Demande de placement sous instance de classement des immeubles de la rue du Rival (avec copie au DRAC).
Demande de placement sous instance de classement des immeubles de la rue du Rival (avec copie au DRAC).

Le fonds « Action Cœur de Ville », tiroir caisse du vandalisme

L’État mobilise, qui plus est, son programme « Action Cœur de Ville » pour financer le projet de Foix, chiffré à plus de 2,1 millions d’euros. Il s’agit de démolir (pour près d’un million d’euros) et de reconstruire pour une somme équivalente la série d’immeubles des rives de l’Ariège, pouvant être réhabilitée pour moitié moins.

Ce fonds, doté de 5 milliards d’euros sur 5 ans, ne devrait aider que des projets exemplaires de « réhabilitation-restructuration », l’un de ses cinq piliers prônant même « la mise en valeur de l’espace public et du patrimoine ». Le programme a pourtant notamment financé la démolition de la très belle caserne Miribel de Verdun, de la halle années 20 de Saint-Dizier, de bâtiments Art Déco à Dunkerque, comme d’un îlot entier d’habitations à Prades

Présentation de la démolition de la rue du Rival par le programme Action Cœur de Ville à l’occasion d’une visite à Foix de son directeur le 21 janvier 2022 (couverture et p. 19).

Le constat est simple : aucune sélection n’est faite des dossiers en fonction des objectifs énoncés par le programme, aboutissant ainsi à des réalisations contraires à l’intérêt général.

À Foix, d’autres immeubles doivent être victimes de démolitions, souvent contre la volonté de l’ABF, selon les mêmes mécanismes légaux et de financement : une ancienne imprimerie, place Freycinet, ayant conservé ses machines dans un bâti du XVIIIe siècle et une série de quatre immeubles de qualité sur le cours Gabriel Fauré, bâtiments pouvant être conservés et réhabilités et dont seules les façades seraient, au mieux, maintenues.

Bâtiments du XVIIIe siècle à usage d’imprimerie (machines conservées) et d’hôtel particulier devant être démolis dans le cadre du programme Action Cœur de Ville sur opposition de l’ABF.
Bâtiments devant être démolis dans le cadre du programme Action Cœur de Ville. Seules leurs façades seraient conservées.

Le gouvernement renoue ainsi avec l’idée, que nous pensions condamnée par l’expérience, d’une « revitalisation » des centres anciens par leur destruction. Il fait ainsi preuve d’absence de mémoire urbaine. Ces opérations brutales ont en effet montré leur échec depuis les années 60 : la vie ne prend pas dans ces nouveaux quartiers, rapidement paupérisés. Il faut réhabiliter, pas détruire, pour des raisons tenant à la beauté, à l’histoire, au respect des habitants, mais aussi à l’écologie.

L’effet de la régression des textes, dénoncés dès leur élaboration, est ici à nouveau palpable.

Julien Lacaze, président de Sites & Monuments

Contact presse :
Julien Lacaze, président
julien.lacaze@sitesetmonuments.org
0624335841

Pascal Robert-Cols, délégué pour l’Ariège
robertcolsarchitecte@gmail.com
0663184917

Signez la pétition

Consulter l’avis de l’ABF
Consulter la délivrance du permis de démolir
Consulter le programme "Action cœur de Ville" à Foix
Consulter notre demande de mise sous instance de classement

Préparatifs de la démolition rue du Rival à Foix (immeubles donnant également sur l’Ariège). Photo Pascal Robert-Cols / Sites & Monuments.