Le 15 avril 2019, jour de l’incendie de Notre-Dame de Paris, Sites & Monuments déposait un recours en annulation contre le décret du 12 février 2019 « pris pour l’application de l’article 20 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique » (voir ici), plus communément dénommé « décret Tour Triangle ».
Ce décret a pour but de faire profiter - de façon injustifiée à notre sens - la Tour Triangle des dérogations introduites progressivement dans la Loi Olympique pour « simplifier » et accélérer l’édification des installations utiles aux Jeux, loi dont nous avons par ailleurs dénoncé les dispositions en matière de publicité sur les sites et monuments protégés (voir ici). Ces exceptions au droit commun de l’urbanisme tiennent notamment au mode de participation du public (voir ici).
Ces dérogations, portées par la Loi Olympique, avaient une première fois été étendues par amendement aux sites olympiques comprenant « seulement pour partie » un équipement nécessaire aux Jeux (voir ici et ici). Cette première extension du projet d’origine était déjà injustifiée.
C’est au cours de l’examen de la loi ELAN, promulguée le 23 novembre 2018 (voir ici, art. 20) - dont nous avons par ailleurs souligné les méfaits en matière de patrimoine (voir ici) - que le dispositif de la Loi Olympique a été une nouvelle fois étendu, cette fois aux projets situés « à proximité immédiate d’un site nécessaire » aux Jeux (!) Ni l’amendement correspondant, déposé par une sénatrice RDSE des Bouches-du-Rhône avec le soutien du Gouvernement (voir ici), ni les débats parlementaires tenus le 17 juillet 2018 (voir ici) n’ont évoqué le cas - évidemment sensible - de la Tour Triangle parmi les bénéficiaires des nouvelles dérogations introduites dans la Loi Olympique.
Ce n’était pas suffisant. L’effet de cet amendement de "simplification" touchant au droit de l’urbanisme (voir ici) doit être combiné avec celui d’un décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018 (voir 9° ici), également passé inaperçu. Il prévoit notamment que le Tribunal administratif statue sans possibilité d’appel pour les bénéficiaires de cette dérogation introduite par la loi ELAN ! Mais il était toujours impossible de déterminer concrètement à quels projets ces 2 textes exorbitants bénéficieraient...
C’est un décret du 12 février 2019, exhumé par Le Journal du Grand Paris (voir ici), qui révéla la raison d’être de ces dispositifs particulièrement abscons : la Tour Triangle. Le Canard enchaîné y consacra un article, mis en Une le 6 mars 2019 (voir ici).
Une question parlementaire fut également posée le 5 mars 2019 à la ministre chargée de la Cohésion des territoires. Le 30 avril 2019, le Premier ministre y répondit que « la poursuite d’un chantier d’ampleur aux abords immédiats d’un site olympique ne serait pas compatible avec l’image que la France souhaite donner d’un pays prêt à accueillir les jeux et mobilisé sur cet événement ». Il était par ailleurs précisé que « la solution de la suspension du chantier par décision unilatérale de l’Etat était envisageable mais qu’elle aurait un coût important à la charge du budget olympique » (voir ici).
Le recours contre le permis de construire de la Tour Triangle déposé par 4 associations (SOS Paris, FNE Ile-de-France, l’ADHPVE et Monts 14) ayant été rejeté par le Tribunal administratif de Paris le 6 mai 2019 (voir ici), la combinaison de ces 3 textes prive notamment les requérants d’une possibilité d’appel indispensable au réexamen des faits de ce dossier. Rappelons que cette dérogation à l’une des garanties fondamentales de notre système judiciaire est justifiée par la tenue, en 2024, de 17 jours de compétition de ping-pong et de hand-ball... Les principes de notre droit et les perspectives monumentales parisiennes ne valent décidément pas cher !
Procédant de la même logique, un projet de loi pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, déposé le 20 avril 2019 (voir ici), prévoit également de déroger aux règles patrimoniales et d’urbanisme (etc...) les mieux établies pour permettre l’achèvement des travaux de "reconstruction" avant l’ouverture des Jeux Olympiques de 2024.
Sites & Monuments a saisi le Conseil d’Etat de la légalité du décret Tour Triangle afin de rendre possible l’appel des associations requérantes et de replacer ce projet dans le cadre du droit commun. Il s’agit également de protester contre la méthode employée et contre la multiplication des textes d’exception ou de déréglementation nuisibles au patrimoine.