La place Cujas à Bourges (nom d’un éminent juriste qui y enseigna sous la Renaissance) a été créée entre 1955 et 1978 au prix de destructions regrettables. De nombreuses maisons dépendantes de l’ancien couvent des Carmes, construites entre la fin du XVIIe siècle et la Révolution (notamment celle de l’imprimeur berruyer Christo), y ont été rasées, ainsi que la charmante école des beaux-arts édifiée entre 1880 et 1882 à l’emplacement de l’ancienne église des Carmes (elle-même détruite en 1878). Ce bâtiment curieux faisait pendant à la fameuse maison des forestines (confiserie emblématique de la ville), édifiée concomitamment, à la fin du XIXe siècle. Après l’abandon d’un projet de siège pour la chambre de commerce (vers 1960), un parking arboré desservant le centre-ville s’y est définitivement établi (voir ici).
Déplorons, en préambule, qu’à la suite d’un incendie en 2015, le comble de l’immeuble de la maison des forestines ait pu être modifié pour y loger un niveau supplémentaire doté de balcons particulièrement disgracieux.
La nouvelle municipalité souhaite faire du réaménagement la place Cujas le symbole de son engagement pour l’écologie, ce qui n’est pas critiquable. L’objectif de l’aménagement est clair : « il s’agit de transformer ce parking à ciel ouvert en un espace de vie, une agora, ou la végétalisation sera centrale ». Comme l’explique le maire Yann Galut : « Nous allons rendre la place Cujas, cœur battant de notre ville, aux Berruyères et aux Berruyers. C’est une décision fondatrice dans le renouveau du cœur de ville ».
L’investissement sera de l’ordre de 6 millions d’euros et les commerçants du centre, déjà éprouvés par le déménagement en août 2021 de la Fnac toute proche en périphérie de la ville, s’émeuvent de la disparition des stationnements que comportait la place Cujas.
Son aménagement se veut participatif avec son lot d’« espace permettant aux habitant.es de réaliser et d’exposer des œuvres (individuelles ou collectives) réalisées en matériaux recyclés », de « bacs de plantes sauvages », de « panneaux solaires », de « panneaux présentant les bienfaits de la biodiversité en centre-ville » ou « visant à transmettre des messages environnementaux » et de nichoirs divers, adoubés par une consultation publique.
Les visuels du projet diffusés à ce stade sont séduisants. On y remarque un cheminement axial plus ou moins dirigé vers la cathédrale. Pourtant, un examen plus attentif montre que la parcelle du parking, close par un îlot bâti ayant échappé aux démolitions, a été rendue triangulaire par la suppression de ces bâtiments.
Un article du Berry Républicain du 29 mars 2022, titré « Cujas, plus belle la vue sur la cathédrale » confirme ces craintes puisque l’adjoint à l’urbanisme y explique que « très clairement ce bâtiment [il s’agit en réalité de plusieurs constructions], qui semble un peu coincé, interroge alors que le quartier va être profondément repensé ». Alors qu’un successeur (un salon de coiffure) avait été trouvé après la fermeture du dernier magasin d’électroménager du centre-ville qui occupait une partie de l’îlot, la mairie dit être en pourparlers pour l’acquérir.
Ce supplément de programme serait évidemment désastreux puisque les bâtiments concernés, de belle qualité, édifiés en pierre de taille avec une corniche moulurée, viennent clore une sorte de petite placette, rue Coursarlon, à l’extrémité de la rue Porte Jaune, voie menant à la cathédrale Saint-Etienne. Il ménage un effet de surprise, canalise le regard et constitue un vis-à-vis de qualité pour un bel hôtel particulier du XVIIe siècle, à toute proximité de la maison Colladon, inscrite au titre des monuments historiques. La suppression de cet îlot déstructurerait l’urbanisme du quartier, déjà rendu "flottant" par la création du parking.
Par ailleurs et surtout, la particularité de Bourges est d’avoir conservé une cathédrale dans son tissu urbain, malgré des projets de dégagement au XIXe siècle, heureusement inaboutis. Les touristes ont ainsi le plaisir de découvrir ce joyau de l’architecture gothique au détour des rues, toujours dans sa gangue urbaine. Aussi, ce projet de démolition nous semble dépourvu de sens et nous tenons à la disposition de la municipalité la liste des nombreuses maisons pouvant être détruites afin de ménager des vues sur la cathédrale...
La ville, qui attend la proposition financière du propriétaire, précise que la démolition aura lieu « si, évidemment, financièrement nous sommes en capacité de le faire », ce qui est plutôt rassurant. Mais le programme "Action Cœur de Ville", à qui l’on doit des démolitions d’édifices patrimoniaux à Saint-Dizier, Dunkerque, Prades, Verdun ou dernièrement à Foix, semble à nouveau en embuscade, bien qu’en principe dédié à la revitalisation par la valorisation du patrimoine. Comme l’explique l’adjoint à l’urbanisme : « Le projet Cujas est la première brique de la démarche « Action cœur de ville ». Elle présage d’un travail très large qui traitera, dans les années à venir, à la fois les questions d’habitat, de commerce, d’accessibilité et de rénovation des espaces publics. » (voir ici).
La mairie précise que « selon le plan de sauvegarde et de mise en valeur, en cours de révision, l’immeuble non protégé peut être « conservé, amélioré ou remplacé » ». Il ne s’agit donc en principe pas de dégager cette zone, mais d’une possibilité - très contestable - de substituer aux maisons existantes de nouvelles constructions dont les caractéristiques sont fermement encadrées par une "règle architecturale figurant au règlement", tandis, qu’à l’arrière de l’îlot, figure en rouge une "emprise de construction imposée". A défaut d’une densification par une construction contemporaine de qualité, le revers de l’îlot pourrait être simplement habillé d’un mur végétalisé, possibilité d’ailleurs soumise au suffrage des Berruyers et approuvée à 79 %.
Le traitement de l’îlot de la place Cujas inquiète sur le sens donné à la révision en cours du Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) du secteur sauvegardé de Bourges (dénommé aujourd’hui Site patrimonial remarquable), dont on constate qu’il a beaucoup vieilli depuis 1994, comme en témoigne cette lacune manifeste dans la protection d’immeubles d’accompagnement de qualité. Il ne protège en outre aucunement les riches intérieurs des maisons de la ville, comme le montre la disparition tragique de salons boisés d’un hôtel particulier de la rue Porte Jaune. Celle-ci avait donné lieu à une plainte de Sites & Monuments classée sans suite par le Procureur de la République.
Nous utiliserons évidemment l’ensemble des moyens à notre disposition, y compris judiciaires, pour convaincre la municipalité de Bourges de renoncer à ce très regrettable supplément de projet pour la place Cujas.
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Lire notre lettre au maire de Bourges
Lire l’article de La Tribune de l’Art
Le 14 juin 2022, nous recevions la réponse suivante de M. le maire de Bourges :
Cette lettre du maire ne répond à aucune des trois questions que nous lui posions : devenir de l’îlot Coursarlon, politique éventuelle de protection des menuiseries extérieures et des précieux intérieurs berruyers.
Pire, les maisons de l’îlot Coursarlon ont été acquises le 1er juillet 2022 par la ville (point 38 de son conseil municipal 1er juillet 2022) - soit seulement 20 jours après la rédaction de la réponse du maire - preuve de sa détermination à démolir.